INTERVIEW DU DOCTEUR CAROLINE EVEN – LA CHIMIOTHÉRAPIE
Responsable de l’unité oncologie médicale ORL à l’institut Gustave Roussy et coordinatrice du REFCOR, le docteur Caroline Even répond à toutes vos questions sur la chimiothérapie.
En quoi consiste un traitement de chimiothérapie ?
Plus qu’un traitement de chimiothérapie, j’aime bien parler de traitement systémique, qui s’oppose aux traitements locorégionaux que sont la radiothérapie et la chirurgie, centrées sur la tumeur, vraiment localement. Le traitement systémique, et on va voir qu’il en existe plusieurs sortes, va se diffuser de façon générale dans l’ensemble du corps par voie sanguine. Il peut comprendre : la chimiothérapie classique cytotoxique, l’immunothérapie, l’hormonothérapie et les thérapies ciblées.
Est-ce un traitement utilisé systématiquement dans le traitement des cancers tête et cou ?
Non, pas systématiquement. En fonction du stade de la tumeur ou du type de tumeur, on va utiliser soit la chirurgie, soit la radiothérapie, et on peut y adjoindre effectivement de la chimiothérapie. Dans certaines situations, on utilisera aussi la chimiothérapie seule.
À quel moment du parcours de soins dans le traitement des cancers tête et cou la chimiothérapie est-elle proposée ?
Elle peut être proposée quand on traite une tumeur localement avancée, soit en concomitance avec la radiothérapie, soit aussi avant la radiothérapie ou avant la chirurgie.
L’autre phase importante où elle peut intervenir est quand le malade est en rechute ou qu’on a une évolution métastatique, et qu’on ne peut justement plus proposer de traitement locorégional curatif. À ce moment-là, elle est utilisée dans un but plus palliatif, afin de contrôler la maladie.
Il existe les chimiothérapies dites « préventive », « adjuvante », « curative » et « palliative ». Pouvez-vous décrypter ces termes pour nous ?
La chimiothérapie préventive n’est pas vraiment utilisée dans les cancers ORL, donc je vais plutôt vous parler de la chimiothérapie adjuvante ou néoadjuvante. La chimiothérapie néoadjuvante, qu’on appelle aussi « chimiothérapie d’induction », est celle que l’on administre avant une chirurgie ou une radiothérapie, pour tester un peu la sensibilité de la tumeur, et pouvoir aussi, éventuellement, faire diminuer un peu sa taille avant les traitements locaux.
La chimiothérapie adjuvante est celle que l’on propose après le traitement local ou éventuellement pendant la radiothérapie, et dont le but est de renforcer les effets de cette radiothérapie ou d’éviter que le malade ne rechute.
Les chimiothérapies néoadjuvante et adjuvante sont donc utilisées dans un but curatif, en combinaison avec les autres traitements.
À cela on oppose la chimiothérapie palliative, que l’on utilise dans le cas d’une rechute – qui n’est plus accessible à un traitement curatif. Son objectif va être de prolonger la survie, de faire diminuer la tumeur pour diminuer les symptômes que ressentent les patients.
Une chimiothérapie seule peut-elle être suffisante pour traiter un cancer ORL ?
Non, on ne peut pas se limiter à une chimiothérapie seule pour traiter un cancer ORL. Comme on l’a mentionné précédemment, elle arrive souvent en complément d’un autre traitement (la chirurgie ou la radiothérapie). À lui seul, son effet ne peut pas être suffisant pour guérir un cancer ORL.
Qu’est-ce qui détermine le protocole de chimiothérapie utilisé ?
Ce qui détermine le protocole de chimiothérapie utilisé est le type de tumeur (ce que nous appelons le « type histologique » de la tumeur), son stade et son évolution.
Au bout de combien de temps peut-on voir qu’un traitement de chimiothérapie fonctionne ? Quels sont les indicateurs que vous utilisez ?
Effectivement, on ne peut pas observer immédiatement, dans les jours qui suivent, si un traitement de chimiothérapie fonctionne. Il faut en général plusieurs cycles de chimiothérapie, sachant qu’un cycle peut varier en longueur, mais dure globalement de deux à trois semaines. Il faut donc souvent au moins deux cycles de chimiothérapie pour voir ses effets, soit au moins un mois et demi. Le plus souvent, on évalue l’efficacité de la chimiothérapie au bout de deux à trois mois.
Les indicateurs que l’on utilise sont multiples. Il y a d’une part les signes cliniques : on observe si on a une efficacité sur les symptômes, si la tumeur est visible, si elle diminue.
L’autre indicateur essentiel est l’imagerie, avec les scanners ou les IRM.
Sous quelle forme la chimiothérapie est-elle délivrée pour le traitement des cancers tête et cou ?
La chimiothérapie est délivrée essentiellement par voie intraveineuse, mais peut l’être aussi par voie orale.
Le principe est toujours le même : ces traitements, qu’ils soient administrés par voie intraveineuse ou par voie orale, sont absorbés par le corps puis diffusés partout dans l’organisme par voie sanguine.
Comment se déroule une séance de chimiothérapie ?
Concernant la chimiothérapie par voie intraveineuse, la première étape est de mettre en place un dispositif appelé « chambre implantable », qui va permettre de préserver les veines des bras. Souvent, ces chimiothérapies sont administrées en hospitalisation (soit en hôpital de jour, soit en hospitalisation conventionnelle), et plus rarement à la maison (mais c’est parfois possible).
Avant l’injection du produit de chimiothérapie, sur le temps recommandé, le patient reçoit des médicaments qui vont éviter les nausées, les allergies. Après la perfusion, il y a parfois une surveillance pour vérifier que tout se passe bien.
Ce traitement, en fonction du protocole et du type de chimiothérapie, sera administré de façon régulière, soit toutes les trois semaines, soit toutes les semaines. Cela dépend du protocole.
Concernant la chimiothérapie par voie orale, ce sont des comprimés qui sont pris à la maison de façon régulière, soit une fois par jour, soit deux fois par jour, avec un rythme défini. Cela peut être en continu ou deux semaines sur trois, là encore, tout dépend du protocole de chimiothérapie.
On parle beaucoup de toxicité des produits de chimiothérapie injectée. Qu’est-ce que cela veut dire ?
La toxicité, ce sont les effets secondaires. Il s’agit globalement des effets néfastes que pourrait avoir la chimiothérapie sur les diverses cellules de votre corps. Cela peut être des effets dits « hématologiques », avec la baisse des globules (globules rouges, globules blancs, plaquettes), mais aussi sur les muqueuses. Cela se traduit, par exemple, par des aphtes dans la bouche, la perte des cheveux…
Il s’agit là des effets secondaires pendant les traitements, mais on parle assez peu des effets secondaires à long terme. Y en a‑t-il aussi beaucoup ?
Il y a quelques effets secondaires à long terme. C’est vrai que l’on n’en parle pas forcément beaucoup, car, souvent, ce qui intéresse les patients, c’est de savoir ce qu’il va se passer au moment de la chimiothérapie, entre les cycles de chimiothérapie, et ce qu’ils vont ressentir à ce moment-là.
Les effets secondaires à long terme sont essentiellement soit au niveau de l’audition, soit au niveau de la fonction rénale. On peut avoir une petite altération de la fonction rénale, ou aussi ce que l’on appelle une « neuropathie ». Il s’agit d’une lésion progressive des nerfs, avec par exemple une moindre sensibilité au niveau des mains et des pieds. Ces effets dépendent du type de chimiothérapie utilisée. Leur intensité est variable d’une personne à l’autre.
Souvent, on pèse le bénéfice/risque et on pose quand même les questions au fur et à mesure, pour savoir si des effets secondaires apparaissent, et arrêter éventuellement les traitements avant que ces effets ne soient trop importants.
Peut-on associer la chimiothérapie à un autre traitement ?
Oui, on peut tout à fait associer la chimiothérapie à un autre traitement. Il y a plusieurs moments où l’on peut le faire. On l’a abordé un petit peu tout à l’heure : on peut l’associer à la radiothérapie, dans le but de la potentialiser.
On a cité parmi les traitements systémiques l’immunothérapie, la thérapie ciblée et l’hormonothérapie. La chimiothérapie vraiment classique peut parfois être associée à une thérapie ciblée, ou à l’immunothérapie, pour essayer d’obtenir un effet synergique de ces traitements.
La chimiothérapie est-elle plus efficace sur certaines tumeurs tête et cou que sur d’autres, notamment les tumeurs rares ?
Effectivement, la chimiothérapie n’a pas la même efficacité sur toutes les tumeurs. Il est vrai que les carcinomes épidermoïdes sont assez sensibles à la chimiothérapie ; il s’agit des tumeurs les plus fréquentes au niveau ORL, et nous avons des taux de réponse tout à fait intéressants.
Dans les tumeurs rares, il y a une grande variété. Parmi elles, certaines tumeurs des glandes salivaires sont peu sensibles à la chimiothérapie.
Les protocoles de chimiothérapie sont-ils les mêmes pour traiter les tumeurs rares et pour les autres cancers ORL, comme vous le disiez, de type carcinome épidermoïde ?
Non, pas du tout. Comme on l’a mentionné, on a des protocoles en fonction du type histologique. Les carcinomes épidermoïdes sont un type histologique particulier. Parmi les tumeurs rares, il existe plusieurs types histologiques, et, en fonction du type histologique de la tumeur primitive, les protocoles sont différents.
Parfois, on peut retrouver les mêmes produits utilisés d’un type à l’autre, mais, en général, ils sont différents, et pour chaque type de cancer on a des protocoles adaptés.
Que pouvez-vous nous dire des essais cliniques en cours concernant les chimiothérapies ORL ? De nouveaux produits, ou nouvelles associations ?
Il y a beaucoup d’essais thérapeutiques en cours aux divers moments du traitement de la maladie, que l’on teste de nouveaux médicaments en même temps que la radiothérapie, ou aussi, justement, des traitements avant la chirurgie pour tenter de faciliter cette dernière et d’améliorer le pronostic. Et puis on a aussi beaucoup d’essais en situation de rechute métastatique.
On n’a pas beaucoup d’essais sur les chimiothérapies à proprement parler. On est plutôt dans l’expérimentation de combinaisons d’immunothérapie ou de combinaisons de chimiothérapie avec l’immunothérapie, ou encore dans des essais ayant pour but de trouver de nouvelles thérapies ciblées.
Écouter le podcast sur la chimiothérapie du Docteur Caroline Even