Le tatouage sur greffe

Greffes, cicatrices : un tatouage pour se réapproprier son corps après la maladie

De plus en plus de femmes et d’hommes arborent fière­ment des tatouages pour cou­vrir les stig­mates de leur can­cer. Pour encr­er une cica­trice ou une greffe de peau, cer­taines pré­cau­tions s’imposent. L’association Les Sœurs d’Encre révèle à Coras­so les spé­ci­ficités de ces chefs‑d’œuvre cor­porels, à mi-chemin entre art et thérapie.

La pra­tique se démoc­ra­tise. Les tatouages cou­vrant les mar­ques d’un can­cer s’exposent telles des œuvres d’art, notam­ment sur les réseaux soci­aux, à l’image du compte Insta­gram des Sœurs d’Encre (@soeursdencre). Fondée en 2017 par la pho­tographe Nathalie Kaïd, l’association affiche un objec­tif noble : « répar­er les corps ». « J’ai pris con­science des muti­la­tions que peut laiss­er un can­cer en tra­vail­lant pour une expo­si­tion en parte­nar­i­at avec l’Insti­tut Bergonié, cen­tre de lutte con­tre le can­cer à Bor­deaux, présen­tant des pho­tos de femmes touchées par un can­cer du sein », se sou­vient Nathalie Kaïd. « Quelques années plus tard, en me faisant tatouer pour la pre­mière fois moi-même, j’ai réal­isé les bien­faits des tatouages et j’ai repen­sé à ces femmes. J’ai con­tac­té des tatoueuses avec qui j’avais col­laboré (pour le livre S’aimer tatouée, NDLR). Ensem­ble, nous avons réfléchi à com­ment pro­pos­er une recon­struc­tion esthé­tique après un can­cer. » L’Institut Bergonié con­tribue à son tour et aide à établir des pro­to­coles pour tatouer une peau lésée suite à un can­cer, en toute sécurité. 

« J’ai con­tac­té des tatoueuses avec qui j’avais col­laboré. Ensem­ble, nous avons réfléchi à com­ment pro­pos­er une recon­struc­tion esthé­tique après un cancer. »

Tatouer des zones du corps fragilisées, quelles spécificités ?

Au départ, Les Sœurs d’Encre se con­cen­trent sur les femmes touchées par un can­cer du sein. Depuis, les tatoueuses de l’association se sont ouvertes à des deman­des émanant de femmes et d’hommes con­cernés par des can­cers d’autres local­i­sa­tions, notam­ment des can­cers tête et cou. « En théorie, tout est pos­si­ble en ter­mes de tatouage. Les seules oblig­a­tions sont d’attendre au moins deux ans pour tatouer une cica­trice, et au moins un an après la fin d’une radio­thérapie », com­plète la pho­tographe. Pourquoi ce délai ? Afin de laiss­er à la peau le temps de se « sta­bilis­er », de sorte que le tatouage con­serve une belle esthé­tique au fil des années. 

Toutes les cica­tri­ces peu­vent être tatouées. Pour les zones de peau ayant subi des rayons, ces dernières présen­tent cepen­dant un aspect un peu plus « car­ton­né ». Avant d’envisager un tatouage sur une cica­trice de brûlure ou sur une cica­trice un peu bour­sou­flée, il est pos­si­ble de faire appel à un kinésithérapeute, pour assou­plir et aplanir au max­i­mum la peau.

Pour les greffes de peau, même con­stat : a pri­ori, tout est réal­is­able. Odré, l’une des tatoueuses pio­nnières de l’association soulève un petit bémol : « La zone où la peau est gref­fée ne pose aucun prob­lème. En revanche, sur la zone où le gref­fon à été prélevé, la peau est désor­mais beau­coup plus fine et on ne retrou­ve plus toutes les couch­es d’une peau nor­male. Le tatouage n’évoluera pas de la même manière, l’encre aura ten­dance à davan­tage se diffuser. »

« En théorie, tout est pos­si­ble en ter­mes de tatouage. Les seules oblig­a­tions sont d’attendre au moins deux ans pour tatouer une cica­trice, et au moins un an après la fin d’une radiothérapie »

Les Sœurs d’Encre exi­gent tou­jours un avis médi­cal de moins de 3 mois avant d’accepter de tatouer un patient en rémis­sion de can­cer. « Nous tra­vail­lons avec un comité sci­en­tifique — con­sti­tué d’un chirurgien, d’un onco­logue, d’un der­ma­to­logue et d’un psy­cho­logue — qui prodiguent des con­seils sur les dif­férentes patholo­gies et les dif­férents traite­ments. Les tatoueuses peu­vent les sol­liciter à tout instant », pour­suit Nathalie Kaïd.

La magie d’un tatouage sur greffe de peau

En 2019, Amélie se voit diag­nos­ti­quer un can­cer de la glande parotide (une glande sali­vaire située dans la joue), du côté droit, à un stade avancé. Tout s’enchaîne alors très vite : « Mon chirurgien m’a annon­cé que l’intervention pour enlever la tumeur serait très lourde, qu’il faudrait retir­er le nerf facial et peut-être d’autres struc­tures anatomiques. Quand je suis par­tie au bloc, je ne savais pas com­ment j’en ressor­ti­rais. » Après 10 heures d’opération, elle décou­vre à son réveil qu’une par­tie de son oreille a dû être amputée, recon­stru­ite à par­tir de peau prélevée au niveau de ses côtes. S’en suiv­ent une péri­ode de cica­tri­sa­tion et des séances de radio­thérapie. Dans le même temps, Amélie débute une réé­d­u­ca­tion avec un kinésithérapeute, qui dur­era un an : elle récupère une grande par­tie des mou­ve­ments de sa bouche et de son œil. « Aujourd’hui, je vais très bien », annonce-t-elle avec un ton enjoué. « Même si les mou­ve­ments de mon vis­age ne sont pas symétriques, je peux par­ler cor­recte­ment et fer­mer mon œil du côté opéré. »

Mal­gré la rémis­sion, une ombre con­tin­ue de peser sur son moral. Elle n’arrive pas à se faire à cette greffe au niveau de son oreille. « Tout le monde me dis­ait que c’était très beau, que c’était très réus­si. Je ne pou­vais pas l’accepter. Je ten­tais de cacher mon oreille autant que pos­si­ble, en la cou­vrant avec mes cheveux. » Un reportage à la télévi­sion provoque un déclic : elle entend par­ler des Sœurs d’Encre, écoute ces témoignages d’anciens patients qui ont réus­si à tourn­er cette page douloureuse en se faisant tatouer. « J’avais déjà plusieurs tatouages, mais cette fois, la sit­u­a­tion était dif­férente. Je savais que je ne pou­vais pas me tourn­er vers n’importe quel tatoueur. J’ai d’abord demandé l’avis de mon chirurgien, qui n’a émis aucune objec­tion à mon pro­jet. Il m’a juste demandé d’attendre deux ans pour être sûre que la cica­trice n’évolue plus. »

« Je ne pou­vais pas accepter ma greffe. Je ten­tais de cacher mon oreille autant que pos­si­ble, en la cou­vrant avec mes cheveux. »

Amélie se penche avec intérêt sur le tra­vail des dif­férentes tatoueuses parte­naires des Sœurs d’Encre. Le tra­vail d’Odré attire son atten­tion. Elle appelle l’association pour se faire con­seiller. Con­fir­ma­tion : Odré est bien LA tatoueuse qu’il lui faut, for­mée aux tatouages sur cica­tri­ces, sur greffes de peau, sur brûlures. Toutes deux com­men­cent à échang­er par e‑mail. Amélie partage ses envies, des pho­tos de son vis­age, de son oreille, de ses côtes. Le ren­dez-vous est finale­ment pris. Depuis la Dor­dogne où elle réside, elle se rend dans la région de Bor­deaux. C’est là que la magie va opér­er, entre les mains expertes d’Odré.

« J’avais déjà plusieurs tatouages, mais cette fois, la sit­u­a­tion était dif­férente. Je savais que je ne pou­vais pas me tourn­er vers n’importe quel tatoueur. »

« Pour des sit­u­a­tions comme celle d’Amélie, je prévois générale­ment une journée entière. Le temps de tatouer n’est pas for­cé­ment très long, mais nous pas­sons beau­coup de temps à dis­cuter. Les per­son­nes qui ont tra­ver­sé l’épreuve d’un can­cer ont besoin de par­ler, d’être écoutée et com­pris­es », con­fie Odré (@odre_tatoo sur Insta­gram), spé­cial­isée depuis plusieurs années dans le tatouage de cica­tri­ces. La « tatoueuse engagée », telle qu’elle se présente, tra­vaille sur des dessins avec Amélie. Une fois le pro­jet validé, le tatouage en lui-même ne pren­dra pas plus d’une heure. Une petite heure pour aider la jeune femme à accepter enfin sa greffe. Une petite heure qu’elle qual­i­fie même de « délivrance ».

tatouage sur greffe

Amélie prof­ite du ren­dez-vous pour se faire tatouer aus­si au niveau des côtes, où son gref­fon avait été prélevé. Habituée des aigu­illes de tatouage, elle assure n’avoir rien ressen­ti de par­ti­c­uli­er lors de la réal­i­sa­tion de ces deux nou­velles œuvres.

« Une petite heure pour aider la jeune femme à accepter enfin sa greffe. Une petite heure qu’elle qual­i­fie même de « délivrance ». »

Tatouages post-cancer : vers qui se tourner et à quoi s’attendre ?

« Pour des patients en rémis­sion de can­cer ORL qui souhait­eraient se faire tatouer, je con­seille de con­tac­ter directe­ment l’association, qui saura les ori­en­ter vers une tatoueuse en par­ti­c­uli­er », recom­mande la fon­da­trice des Sœurs d’Encre. Si vous choi­sis­sez de rechercher vous-même un tatoueur, ren­seignez-vous bien sur ses for­ma­tions : est-il habitué à tatouer sur des cica­tri­ces, des brûlures, sur les zones du corps que vous souhaitez encr­er… ? Deman­dez égale­ment un avis médi­cal pour vous assur­er qu’il n’y a aucune con­tre-indi­ca­tion à la réal­i­sa­tion d’un tel tatouage.

Aujourd’hui, plus d’une cen­taine de tatoueuses tra­vail­lent avec l’association Sœurs d’Encre. Toutes sont réper­toriées sur le site inter­net, par région, avec la pos­si­bil­ité de con­sul­ter directe­ment leurs comptes Face­book et Insta­gram et décou­vrir leur style. Chaque tatoueuse qui tra­vaille avec Les Sœurs d’Encre est for­mée au tatouage sur cica­tri­ces. Cer­taines for­ma­tions sup­plé­men­taires sont pro­posées pour les tatouages sur brûlures.

« Chaque tatoueuse qui tra­vaille avec Les Sœurs d’Encre est for­mée au tatouage sur cicatrices. »

Côté sen­sa­tions, la douleur ressen­tie est iden­tique, qu’il s’agisse d’un tatouage sur une cica­trice ou sur une peau non lésée. En revanche, une peau gref­fée n’étant plus innervée, le tatouage s’avère y être moins douloureux. « Quand on touche aux con­tours de la greffe, c’est là que les sen­sa­tions peu­vent être plus désagréables, juste­ment parce qu’on ne sen­tait rien jusque-là », recon­naît Odré.

Une réflex­ion s’impose quant aux zones du corps que vous envis­agez de tatouer. « Pour les per­son­nes qui souhait­ent se faire tatouer le cou, cela ne pose en général pas de prob­lème. Il peut arriv­er que l’on n’accède pas à toutes les deman­des pour ce qui con­cerne le vis­age, pas tant d’un point de vue médi­cal, plus d’un point de vue artis­tique », ter­mine Nathalie Kaïd. Zone du corps la plus exposée, la face n’est pas tou­jours adap­tée pour accueil­lir un tatouage. Les tatoueurs sont les mieux placés pour apporter des con­seils avisés sur ce sujet, afin de trans­former l’ébauche d’un dessin imag­i­naire en réal­ité ancrée dans la peau, qui saura évoluer joli­ment dans le temps. 

Pro­pos recueil­lis par Vio­laine Badie

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