La consultation avec l’anesthésiste précède certains examens et interventions chirurgicales. L’occasion pour le médecin anesthésiste d’effectuer un examen clinique et de faire le point sur la santé générale du patient. Explication du Dr Stéphanie Suria, anesthésiste à Gustave Roussy (Villejuif).
Quelles situations ou types de chirurgie nécessitent une consultation préalable chez l’anesthésiste ?
Pour les patients atteints de cancers tête et cou, le plus souvent, deux interventions préliminaires sont nécessaires.
- La première est l’endoscopie diagnostique des voies aéro-digestives. Cette intervention courte dure une trentaine de minutes. Elle permet au chirurgien d’évaluer les lésions à l’œil nu, puis, à l’aide d’un endoscope (instrument composé d’un tube muni d’un système optique pour examiner les cavités profondes du corps en les éclairant). Le médecin peut, ainsi, effectuer des biopsies de la ou des lésions (situées dans la bouche, la trachée, sur les cordes vocales, dans l’hypopharynx et/ou l’œsophage). Les résultats des biopsies effectuées permettent d’émettre le diagnostic de cancer. L’endoscopie diagnostique nécessite une anesthésie générale et donc, un premier rendez-vous chez l’anesthésiste.
- La deuxième intervention est plus ou moins rapprochée de l’endoscopie (selon le bilan initial et l’urgence de la tumeur à traiter) : elle est programmée entre quelques jours et quelques semaines après. Cette opération chirurgicale est plus longue : elle peut durer entre une heure et une dizaine d’heures. Elle consiste, le plus souvent, à retirer la(les) tumeur(s) en totalité. Une bande de tissu sain entourant la tumeur est également toujours éliminée pour garantir une marge de sécurité. Cette intervention nécessite, là encore, un rendez-vous préalable chez l’anesthésiste.
Au cours ou à distance de cette opération, une reconstruction de la partie lésée est souvent nécessaire : elle peut nécessiter de nombreuses interventions chirurgicales à visée plastique. Là encore, chacune de ces opérations requiert une consultation chez l’anesthésiste. Par ailleurs, d’autres types d’actes peuvent nécessiter une anesthésie générale. C’est le cas, par exemple, de certains soins dentaires. Et notamment, lorsqu’il s’agit d’une remise en état des dents abîmées ou manquantes, avec la pose de plusieurs implants dentaires.
La plupart des interventions concernant les patients atteints de cancers tête et cou impliquent une anesthésie générale. Parfois, celle-ci peut être locale (par exemple, en cas de greffe de peau) : une sédation légère est alors effectuée si l’intervention est peu douloureuse. Le patient reste conscient et il respire seul. En cas d’anesthésie locale, seuls les patients fragiles et/ou âgés, atteints de plusieurs maladies chroniques doivent consulter l’anesthésiste au préalable.
Qui prend ce rendez-vous ?
Toute intervention chirurgicale (avec anesthésie générale) nécessite une consultation avec le médecin anesthésiste au préalable. C’est une obligation légale. Ce rendez-vous avec l’anesthésiste est, en général, programmé par les secrétaires médicaux : le patient n’a rien à faire pour cela. Le plus souvent, les secrétaires font en sorte de combiner cette consultation avec d’autres rendez-vous médicaux afin de limiter les déplacements à l’hôpital.
Comment se déroule l’entretien avec l’anesthésiste ?
Pour un patient jeune, sans antécédents médicaux, le rendez-vous peut durer une dizaine de minutes (l’interrogatoire et l’examen cliniques sont rapides). En revanche, pour une personne âgée ayant des comorbidités, nous pouvons passer près d’une heure en consultation. Nous, les anesthésistes, sommes considérés comme des “policiers médicaux” : nous devons poser un maximum de questions au patient sur son état de santé, ses antécédents médicaux, vérifier les comptes-rendus d’examens, savoir si le patient a déjà été hospitalisé… Durant la consultation, nous effectuons un interrogatoire, un examen clinique du patient (auscultation cardiaque et pulmonaire, notamment) et vérifions sa tolérance à l’effort via des questions simples sur son mode de vie, son activité physique. Nous sommes, par ailleurs, particulièrement attentifs lorsque les patients présentent des maladies cardiovasculaires ou pulmonaires. Face à de telles fragilités — pouvant mettre la santé du patient en danger lors d’une anesthésie générale – nous devons adapter nos techniques et parfois, réduire le temps de l’intervention. Nous demandons toujours les coordonnées du cardiologue et du pneumologue du patient. De même, si le patient a déjà subi une anesthésie générale, nous lui demandons si cela s’est bien passé. Le risque principal que l’on ne peut éviter est l’allergie au produit anesthésiant. De fait, si le patient n’a jamais été exposé au produit en question, on ne peut pas savoir s’il sera ou non allergique à ce dernier.
Quand nous voyons le patient avant une endoscopie diagnostique, nous demandons très rarement des examens médicaux préopératoires nécessitant des consultations chez les spécialistes (cardiologues, pneumologues…) car cette intervention est mineure et courte. Et parfois, il est préférable de ne pas attendre pour effectuer cette intervention car certains patients nécessitent une prise en charge urgente. En revanche, avant une chirurgie majeure (celle de l’exérèse de la tumeur, par exemple), nous demandons à ce que les patients fragiles revoient leurs médecins spécialistes pour effectuer un bilan avant l’opération. Avant une chirurgie majeure, une prise de sang (au minimum, pour vérifier l’hémoglobine, la fonction rénale, les plaquettes et le groupe sanguin) est toujours nécessaire, y compris chez les patients jeunes, sans antécédents médicaux.
Comment le patient peut-il préparer ce rendez-vous ?
Le patient doit venir au rendez-vous avec la possibilité de nous indiquer tous les traitements qu’il prend (il ne faut rien oublier). De même, il doit nous présenter toutes ses ordonnances de médicaments. Nous devons connaître toutes les molécules, les durées de traitement et les posologies. Le patient doit également amener ses comptes-rendus de consultation de médecins spécialistes. S’il nous manque ces informations, nous perdons du temps et cela peut être dommageable lorsque l’intervention prévue est urgente.
Quelles sont les informations délivrées au patient lors de la consultation ?
Nous devons bien sûr informer nos patients qu’ils vont subir une anesthésie générale ou locale. Nous lui remettons également des documents écrits sur l’anesthésie émanant des différentes sociétés savantes. Lors du rendez-vous, nous adaptons le niveau d’information que nous délivrons à chaque personne. Nous répondons à toutes les questions relatives au déroulement et à la sécurité de l’anesthésie. Nous expliquons les risques chirurgicaux principaux : une intervention pour un cancer tête et cou peut notamment occasionner des dommages au niveau des dents (brisures, voire perte dentaire). Les risques liés aux produits anesthésiques actuels sont, quant à eux, infinitésimaux : depuis une vingtaine d’années, tous les établissements de santé français utilisent des molécules très sûres (propofol, dérivés morphiniques, curare). Elles sont administrées par voie intra-veineuse. De même, les protocoles d’anesthésie sont ultra-standardisés, calqués sur ceux de l’aviation en termes de sécurité.
Avant de recevoir le produit anesthésique, nous plaçons un masque sur le visage du patient : cela permet de l’oxygéner tout au long de l’intervention. Par ailleurs, nous anticipons toujours la fin de l’opération en donnant des antalgiques une heure avant au patient par voie intra-veineuse (morphine, paracétamol…). En outre, les produits anesthésiques ont une demi-vie courte : ainsi, quelques minutes avant la fin de l’intervention, nous arrêtons de les administrer afin que le patient puisse se réveiller peu après la fin du travail du chirurgien.
A l’hôpital public, le patient ne verra pas le même médecin anesthésiste tout au long de son parcours : ce n’est absolument pas un problème car nous travaillons tous de la même manière : ce qui assure une sûreté maximale pour le patient.
Outre les informations relatives au déroulement de l’anesthésie et à sa sécurité, le patient doit être informé du fait qu’il doit avoir arrêté de manger 6 heures avant l’intervention et de boire 2 heures avant.
Quelles sont les éventuelles contre-indications à l’anesthésie ?
Les contre-indications strictes à l’anesthésie générale sont très rares, nous trouvons toujours une stratégie pour que le patient puisse bénéficier de l’intervention chirurgicale dont il a besoin. En cas de comorbidités cardiaques ou pulmonaires sévères, ces stratégies sont discutées dans le cadre de réunions de concertations pluridisciplinaires (RCP) en présence du chirurgien, de l’oncologue, de l’anesthésie, du réanimateur, du cardiologue et/ou du pneumologue.
Propos recueillis par Hélia Hakimi-Prévot