La recherche concernant les tumeurs rares présente quelques particularités. Quels défis les chercheurs doivent-ils relever ? L’éclairage de Laure Monard, responsable de Programmes Cliniques à Unicancer, et du Dr Caroline Even, responsable de l’unité d’oncologie médicale ORL à Gustave Roussy et coordinatrice du REFCOR.
Objectif numéro 1 : concrétiser les projets d’étude
Les essais cliniques sont une étape indispensable pour évaluer les bénéfices potentiels d’une nouvelle technologie, d’un nouveau traitement, d’une nouvelle méthode de surveillance. Dans le cas de maladies rares, les chercheurs ont parfois besoin d’adapter leurs méthodes de travail, déjà pour arriver à donner vie à leurs projets.
Les critères de faisabilité
Une fois qu’une idée d’essai clinique émerge, il faut s’assurer que celui-ci est réalisable. « Comme le nombre de patients est forcément restreint, nous devons souvent réfléchir avec des chercheurs académiques en dehors de la France, en Europe et parfois au-delà », explique Laure Monard. Qui dit plusieurs pays, dit besoin d’harmoniser la manière de travailler. Pour cela, les experts discutent en amont pour se mettre d’accord sur une méthodologie partagée.
Les essais dits de « phase 3 » ont pour objectif d’évaluer l’efficacité d’un nouveau traitement jugé prometteur lors des phases plus précoces du développement clinique (phases 1 et 2), par rapport au traitement standard. En temps normal, ces essais de phase 3 incluent 500, 600 patients, parfois plus. Ces chiffres élevés ont leur importance puisqu’ils permettent d’obtenir des données statistiques jugées « fiables ».Impossible d’arriver à un tel nombre dans le cadre de tumeurs rares. « Nous devons tenir compte du potentiel réel de patients et travaillons avec des statisticiens et méthodologistes pour trouver le moyen de restreindre le nombre de personnes à inclure tout en conservant des données fiables et robustes statistiquement », poursuit Laure Monard.
Le financement des études
Pour les appels à projets publics, l’État est tout aussi ouvert à financer des études pour des maladies rares que pour des maladies plus fréquentes. Les financements privés, quant à eux, sont souvent plus compliqués à obtenir, l’industrie pharmaceutique étant peu encline à s’engager dans des recherches qui concernent « peu » de patients. « Le financement reste globalement plus compliqué pour les essais sur les cancers rares », reconnaît la chercheuse Laure Monard. « Même si le nombre de patients est réduit, la gestion du projet est bien plus lourde et au final bien plus coûteuse. »
La recherche sur les maladies rares est fort heureusement soutenue par les associations caritatives. Unicancer bénéficie ainsi d’une aide de la Ligue contre le cancer pour le financement de telles études. D’autres belles initiatives voient le jour pour soutenir cette recherche fondamentale, à l’image de l’appel à projets ATTRACT (pour Accelerate Together Rare Cancer Treatment), lancé fin 2022 par plusieurs fondations caritatives européennes. « Nous avons vraiment besoin de ce type d’actions. Quand nous travaillons entre plusieurs pays sur un même essai, chacun doit aller chercher des financements de son côté. Avec ATTRACT, le financement est global, tous pays confondus », insiste Laure Monard. Une bonne manière de lever un frein supplémentaire dans la recherche contre les tumeurs rares.
Le recrutement des patients pour les essais sur les cancers rares
Projet financé, protocole écrit et validé par les autorités de santé, la recherche entre alors dans une phase plus concrète pour les patients : le recrutement pour participer à l’essai clinique, également appelé « inclusion ».
Comment cibler les malades potentiellement concernés ?
Les patients qui se voient diagnostiquer un cancer rare sont dirigés vers des centres de référence. Aujourd’hui, environ 25 centres régionaux sont identifiés et labellisés, afin de mieux coordonner la prise en charge. Leur rôle est de confirmer le diagnostic, d’aider dans le choix des traitements, mais aussi d’orienter vers des essais cliniques. La mise en relation chercheur — oncologue — patient est ainsi facilitée.
Les associations et autres réseaux tels que le REFCOR (Réseau d’Expertise Français sur les Cancers ORL Rares) permettent aussi d’identifier des malades qui pourraient bénéficier d’un essai en cours ou en développement. « Grâce à toute cette coopération, nous arrivons sans trop de difficultés aux objectifs de recrutement », observe Dr Caroline Even, coordinatrice du REFCOR.
Des délais plus longs
La rareté de certaines tumeurs peut tout de même rallonger le délai de recrutement des patients, pour atteindre le nombre fixé dans le protocole d’étude. Voici donc une autre raison pour laquelle cet objectif est plus bas que pour des essais cliniques « communs », afin que la période d’inclusion ne s’éternise pas et conserve une échéance raisonnable.
Le poids des diagnostics tardifs
Le but de tout essai clinique est de déterminer l’effet d’une approche thérapeutique précise, pour une maladie précise, à un stade précis. L’errance diagnostique dont souffrent souvent les malades atteints de cancers rares fait que leur tumeur est en général identifiée à un stade avancé, voire métastatique. La conséquence : « Il peut être plus difficile de mener des essais cliniques sur des stades précoces pour certains cancers rares », regrette Laure Monard. Des progrès diagnostiques restent essentiels pour ces patients. Ils permettront de pouvoir tester des traitements ciblés pour les stades précoces et d’améliorer le pronostic de ces maladies.
La randomisation, un enjeu pour la recherche
Ce terme un peu barbare est essentiel dans les essais cliniques. Pourtant, la randomisation est toujours difficile, souvent impossible, pour les études sur les cancers rares. Explications.
C’est quoi la randomisation ?
« Cela signifie qu’un ordinateur tire au sort si le patient recevra la stratégie thérapeutique que nous souhaitons tester ou le traitement standard », éclaire Dr Caroline Even.Le but de cette répartition au hasard est d’obtenir deux groupes de patients équivalents en tout point, hormis le traitement qui leur est administré. Et déterminer si c’est bien à ce dernier que l’on peut attribuer les différences observées en fin d’étude.
Pour s’assurer que les groupes sont bien randomisés, que statistiquement il existe très peu de risques d’erreurs — ou « biais » — qui fausseraient les résultats de l’étude, le nombre de patients entre forcément en ligne de compte. « C’est pourquoi malheureusement, très souvent, nous ne pouvons pas mener des essais randomisés pour les tumeurs rares car le nombre de patients est trop faible », indique l’oncologue ORL.
L’apport des essais non randomisés
Actuellement, la Haute Autorité de Santé ne s’appuie quasiment que sur des essais dits « de phase 3 randomisés » pour accorder le remboursement soit d’une nouvelle molécule, soit d’un médicament existant pour une nouvelle indication. Valider de nouvelles stratégies de traitements pour les cancers rares est donc un vrai challenge : « Nous travaillons en amont des études avec l’agence européenne du médicament, l’EMA, pour voir déjà si nous pourrions aboutir à une autorisation de lise sur le marché ou AMM, même si les essais ne sont pas randomisés », informe Caroline Even. Les AMM décidées au niveau européen valent pour tous les pays. Ce n’est pas le cas de la décision de rembourser ou non le traitement, qui reste propre à chaque État.
Multiplier les bras expérimentaux
De manière générale, les essais cliniques de phase 3 cherchent à évaluer les bénéfices d’un nouveau traitement face au traitement standard, actuellement proposé aux patients. Et s’il n’existe pas, justement, de traitement standard ? « Nous devons parfois comparer l’efficacité d’un nouveau traitement par rapport à des soins palliatifs uniquement ou par rapport à des données précédemment collectées chez ces patients (cohorte rétrospective). Nous pouvons également tester plusieurs bras expérimentaux dans une même étude, c’est à dire plusieurs molécules innovantes différentes », signale Laure Monard. On parle alors d’essais cliniques de phase 2, qui ont pour objectif d’analyser l’activité du médicament dans le cadre d’une pathologie particulière. Ces essais, même s’ils ne peuvent pas aboutir à une autorisation de mise sur le marché, restent très utiles pour augmenter les données disponibles et confirmer si les molécules testées marchent bien dans une indication donnée.
Propos recueillis par Violaine Badie