Ces cancers, très rares, affectent principalement les glandes salivaires. Leur symptomatologie, leur évolution ou encore leurs facteurs de risque en font des tumeurs assez spécifiques. Toutes les explications avec le Dr Caroline Even, responsable de l’unité d’oncologie médicale ORL au centre Gustave-Roussy et coordinatrice du REFCOR (Réseau d’Expertise Français sur les Cancers ORL).
Un carcinome adénoïde kystique ORL, c’est quoi ?
Il s’agit d’une forme spécifique de cancer, prenant naissance le plus souvent au niveau ORL à partir d’une glande salivaire. Le terme de « carcinome » désigne une tumeur maligne qui se développe sur un épithélium, soit un tissu de surface. L’adjectif « adénoïde » fait référence à la forme que prend ce carcinome au microscope : l’apparence d’une glande. « Ces structures ne deviennent pas des glandes à proprement parler. Elles se présentent sous la forme de micro-kystes remplis d’une substance fabriquée par une partie des cellules cancéreuses. L’adjectif “kystique” fait référence à ces micro-kystes », définit le Dr Caroline Even.
Ces tumeurs sont considérées comme très rares : les tumeurs malignes des glandes salivaires ne représentent que 1% de l’ensemble des cancers de la sphère ORL et parmi les cancers des glandes salivaires, 1/4 seulement sont des carcinomes adénoïdes kystiques.
« Ces tumeurs sont considérées comme très rares »
Où se développent les carcinomes adénoïdes kystiques ORL ?
Ils peuvent toucher toutes les glandes salivaires. Nous en possédons deux types :
- des glandes principales, assez volumineuses et au nombre de trois (doubles et symétriques de part et d’autre du visage) : les parotides dans les joues, les sous-maxillaires sous l’angle de la mandibule et les sublinguales sous la langue ;
- des glandes accessoires toutes petites, très nombreuses et disséminées à tous les niveaux des voies aérodigestives supérieures (avec une plus grande concentration tout de même dans la cavité buccale et sur le palais).
Les glandes salivaires principales sont plus fréquemment touchées par des carcinomes adénoïdes kystiques que les glandes salivaires accessoires (60 % des cas contre 40 %).
Plus rarement, les carcinomes adénoïdes kystiques affectent d’autres glandes au niveau ORL : des glandes séro-muqueuses présentes dans les cavités naso-sinusiennes, le pharynx et la trachée.
Existe-t-il des causes identifiées ?
« Contrairement aux autres types de cancers retrouvés le plus fréquemment dans la sphère ORL, fortement influencés par la consommation de tabac et d’alcool ainsi que par la présence de virus HPV, aucun facteur de risque n’a été clairement identifié pour ce qui concerne les carcinomes adénoïdes kystiques », répond Caroline Even.
« Aucun facteur de risque n’a été clairement identifié »
Quelle est l’évolution générale des carcinomes adénoïdes kystiques ?
« Ils présentent une évolution plutôt lente en comparaison avec d’autres cancers. Ils passent ainsi longtemps inaperçus », reprend la coordinatrice du REFCOR. Conséquence de cette évolution lente : ces tumeurs sont souvent curables, avec un pronostic relativement bon la plupart du temps, même si de nombreux critères entrent en compte pour déterminer les risques liés à une tumeur cancéreuse (comme son stade, sa localisation, etc.).
Un risque de récidive existe, il n’est cependant pas plus grand que pour n’importe quel autre cancer. Les récidives peuvent être de deux types : loco-régionales, toujours dans la zone ORL et proches de la tumeur initiale ou sur des trajets nerveux (ce type tumoral a tendance à se développer le long des nerfs), ou bien à distance (le plus souvent au niveau des poumons). Pour ce second type de récidive, on parle alors de « métastase », qui peut apparaître parfois des années plus tard.
« Ils présentent une évolution plutôt lente en comparaison avec d’autres cancers »
Comment reconnaître un carcinome adénoïde kystique ?
Le cancer va se manifester sous la forme d’une masse solide, sans ulcération, qui grossit à différents endroits selon la glande salivaire affectée. La masse n’est généralement pas douloureuse, elle peut cependant le devenir à un stade de cancérisation avancé. La présence de cette boule engendre parfois une gêne à la déglutition, quand elle se trouve dans la bouche ou la gorge, avec une sensation de corps étranger en avalant.
Pour poser le diagnostic, plusieurs examens peuvent être prescrits. Un spécialiste ORL constate dans un premier temps la présence de cette masse, demande éventuellement une IRM, un scanner ou une échographie. Une analyse anatomopathologique est ensuite nécessaire pour déterminer avec précision la nature de la tumeur. Elle est réalisée à partir de cellules tumorales extraites soit par biopsie, soit par cytoponction (prélèvement à l’aide d’une aiguille).
« Le cancer va se manifester sous la forme d’une masse solide, sans ulcération »
Comment sont soignées ces tumeurs ?
Quand c’est possible, le traitement est avant tout chirurgical, puisque les carcinomes adénoïdes kystiques sont moins radio-chimiosensibles que d’autres cancers ORL. À savoir que la chirurgie est envisagée uniquement si la tumeur est bien résécable, avec des marges suffisantes (soit assez de tissus sains autour pour s’assurer que l’ensemble des cellules cancéreuses sont bien retirées), et sans séquelle trop importante.
Des séances de radiothérapie complètent souvent la chirurgie. Elles sont parfois pratiquées sans acte chirurgical préalable, dans le cas de tumeurs à un stade trop localement avancé ou impossibles à retirer chirurgicalement.
Selon de nouvelles recommandations publiées par le REFCOR en novembre 2023, la chimiothérapie n’est pas indiquée au stade localisé ou localement avancé. En revanche, des séances peuvent être proposées pour ces tumeurs dans le cadre d’un essai clinique en cours, nommé SANTAL : l’essai évalue l’impact de l’ajout d’un médicament de chimiothérapie (cisplatine) à une radiothérapie soit exclusive (sans résection chirurgicale) soit adjuvante (après chirurgie).
Au stade dit oligo-métastatique, c’est-à-dire avec peu de métastases, on pourra envisager un traitement local (comme chirurgie ou radiothérapie). En cas d’évolution métastatique plus importante ou en situation de récidive non accessible à un traitement local, la place d’un traitement systémique (type chimiothérapie ou thérapie ciblée) peut être discutée au cas par cas, en fonction du contexte.
« Le traitement est avant tout chirurgical, puisque les carcinomes adénoïdes kystiques sont moins radio-chimiosensibles que d’autres cancers ORL »
Parmi les autres pistes de traitement, toujours selon les recommandations du REFCOR : les carcinomes adénoïdes kystiques doivent pouvoir bénéficier d’un test destiné à analyser leurs anomalies moléculaires. Cette analyse permet de rechercher des cibles potentiellement accessibles à une thérapie ciblée.
Des traitements spécifiques liés à certaines anomalies moléculaires peuvent être proposés dans le cadre d’essais cliniques. L’oncologue référent est celui qui propose la participation à un essai, visant à évaluer la tolérance et l’efficacité d’un nouveau médicament. Pour y participer, le patient doit répondre à certains critères précis, spécifiques à chaque essai (type de maladie, anomalie moléculaire, état physique, etc.). Au cours de sa prise en charge, il est possible de participer à plusieurs essais thérapeutiques, cependant jamais simultanément.
« Ces tumeurs doivent pouvoir bénéficier d’un test destiné à analyser leurs anomalies moléculaires »