Maladie principalement masculine, le cancer du larynx guérit dans 95% des cas lorsqu’il est traité à un stade précoce (70% pour les stades plus avancés). La qualité de vie après une telle maladie est, le plus souvent, satisfaisante. Explications du Pr Philippe Céruse, Chef de Service d’ORL aux Hospices Civils de Lyon.
Qu’est ce que le larynx ?
Le larynx est un organe qui sert à parler, à manger et à respirer. « La parole (l’émission du son) est la fonction la plus connue du grand public. Mais il ne faut pas oublier que le larynx est aussi essentiel à la respiration et à la déglutition », souligne le Pr Philippe Céruse.
Le larynx est situé au-dessus de la trachée, il est palpable dans le cou au niveau de la pomme d’Adam et il contient nos deux cordes vocales. Ces dernières engendrent l’émission du son permettant de produire la voix. « Quand on respire, les cordes vocales sont grandes ouvertes. Et lorsque l’on parle ou que l’on émet un son, elles se ferment, l’air qui est expiré sort des poumons, et passe entre les deux cordes vocales pour les faire vibrer (c’est le principe du sifflet) et c’est ce qui permet d’obtenir le son et la voix », précise t‑il.
Quelles sont les causes du cancer du larynx ?
La cause principale reste l’exposition au tabac. « Il est toutefois possible de présenter un cancer du larynx sans être fumeur. Mais cette situation concerne moins de 10 % des patients. Pour ces derniers, la(les) cause(s) de leur cancer n’est pas bien identifiée. 90% de nos patients sont fumeurs depuis longtemps, avec une consommation élevée. On estime qu’ils ont consommé, en moyenne, un paquet par jour pendant au moins 30 ans », indique le Pr Céruse.
L’alcool, pour sa part, n’est pas en soi responsable du cancer du larynx. Sa consommation régulière peut, néanmoins engendrer d’autres cancers de la sphère ORL situés autour du larynx (cancer de l’hypopharynx ou de la margelle laryngée). « On peut toutefois être atteint d’un cancer du larynx en étant fumeur et buveur », précise le Pr Céruse.
Quelle est sa fréquence au sein de la population ?
Le cancer du larynx a tendance à diminuer en France. Il touche plus souvent les hommes (70%) que les femmes (30%). « Car celles-ci fument moins, en règle générale. L’incidence du cancer du larynx (nombre de nouveaux cas par an) diminue de façon très importante depuis une vingtaine d’années. Nous observons en effet une diminution de la consommation de tabac en France. Toutefois, chez les femmes, ce cancer est en très légère augmentation. Cela s’explique notamment par le fait qu’elles se sont mises à fumer comme les hommes, après les années 1970 », affirme le Pr Céruse.
Le cancer du larynx est le 3e cancer de la sphère ORL le plus fréquent en France : le 1er reste le cancer du pharynx suivi de celui de la cavité buccale.
Quels sont les symptômes du cancer du larynx ?
La dysphonie (voix qui se modifie) en est le principal symptôme. « Une dysphonie qui dure plus de 3 semaines n’est pas normale : cela doit inciter à consulter un médecin ORL. En effet, lorsque la dysphonie est liée à une laryngite virale banale, elle dure moins de 3 semaines », alerte le Pr Céruse. Lorsque le cancer du larynx atteint un stade avancé, le patient peut également souffrir d’une dysphagie (gène à la déglutition). Dans ce cas, il a la sensation que les aliments n’arrivent pas à descendre, qu’ils s’accrochent aux parois de l’œsophage ou qu’ils restent bloqués. Dans les cas les plus avancés, les patients peuvent présenter des ganglions dans le cou.
« Heureusement, lorsque les patients nous consultent, leur cancer est souvent débutant. Car la dysphonie (qui reste l’un des symptômes précoces du cancer du larynx) les inquiète très rapidement », note le Pr Céruse.
Comment s’effectue son diagnostic ?
L’examen ORL qui consiste à observer les cordes vocales permet, en général, de suspecter un cancer du larynx. « En général, par le biais de cet examen, le médecin ORL se rend tout de suite compte des modifications anormales survenues au niveau des cordes vocales. Une fois qu’il a suspecté un cancer du larynx, il propose une endoscopie sous anesthésie générale : cet examen simple qui s’effectue en ambulatoire (hospitalisation de moins de 12 heures sans hébergement de nuit) permet de visualiser la tumeur et d’effectuer des prélèvements (biopsies) pour confirmer le cancer. Ensuite, un bilan complémentaire est également nécessaire pour connaître l’extension de la tumeur et vérifier qu’il n’existe pas d’autre tumeur ailleurs : il s’agit le plus souvent d’un scanner du cou et des poumons », détaille le Pr Céruse.
Quels sont les différents types de tumeurs pouvant se développer au niveau du larynx ?
Les tumeurs majoritaires concernant cette zone sont des carcinomes épidermoïdes (dans 90% des cas). Ce sont des tumeurs cancéreuses qui se développent au dépens de l’épithélium : ces tissus qui recouvrent la surface des cordes vocales. « En effet, c’est l’épithélium qui est exposé au tabac et autres substances carcinogènes que nous inhalons », note le Pr Céruse.
Une fois, le diagnostic établi, en quoi consistent la prise en charge et le traitement du patient ?
Le patient est informé du diagnostic. Nous lui faisons une proposition thérapeutique. Celle-ci est décidée dans le cadre d’une Réunion de Concertation Pluridisciplinaire (RCP) lors de laquelle se regroupent plusieurs professionnels de santé pour discuter de la situation d’un patient. « Nous ne décidons jamais seuls. Les RCP regroupent, au minimum, 3 praticiens participant à la décision : un chirurgien ORL, un radiothérapeute et un oncologue médical. Les deux principales options thérapeutiques sont la chirurgie et la radiothérapie. La chimiothérapie peut également être proposée lorsque le cancer est à un stade avancé », affirme le Pr Céruse.
Le traitement du cancer du larynx consiste donc à effectuer une radiothérapie ou une chirurgie ; ou une chirurgie et une radiothérapie pour les stades débutants. Ou encore, à combiner chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie pour les stades plus avancés.
Sur quels critères décide-t-on des traitements à effectuer ?
Le choix s’effectue en fonction du stade de la maladie et des besoins et attentes du patient. Lorsque le cancer du larynx atteint un stade avancé, la radiothérapie seule n’est malheureusement pas assez efficace pour guérir le patient : « il est parfois nécessaire d’effectuer une chirurgie (ablation du larynx). Au stade le plus avancé (que l’on appelle stade T4) la meilleure option thérapeutique est la chirurgie associée à la radiothérapie et, éventuellement, à la chimiothérapie », souligne le Pr Céruse.
Aux stades débutants (stades T1 et T2), le patient a le choix entre la chirurgie ou la radiothérapie : les deux traitements donnent des résultats équivalents. Mais le problème de la radiothérapie, c’est que l’on ne peut, en général, y recourir qu’une seule fois. « Car nous employons d’emblée les doses maximales autorisées (au-delà de ces doses, nous risquons de détruire les tissus sains). Autrement dit, si on opte pour la radiothérapie pour guérir le patient, on pourra difficilement y recourir si ce dernier souffre, plus tard, d’un autre cancer ou d’une récidive de son cancer du larynx. Souvent, on n’aura pas d’autre choix que d’opérer le patient. Et malheureusement, souvent, en cas de récidive, la chirurgie est mutilante (ablation totale du larynx, par exemple). Alors que le traitement chirurgical d’un premier cancer du larynx de stade précoce reste léger. Il s’agit d’une chirurgie effectuée, très souvent, par voie transorale : on passe par la bouche. Grâce au laser et à la robotique, on peut facilement enlever les tumeurs. De plus, il s’agit souvent d’un traitement unique », assure le Pr Césure. Le traitement chirurgical a, toutefois, un inconvénient majeur : il entraîne une modification plus ou moins importante de la voix car souvent le chirurgien doit enlever une ou deux cordes vocales.
Les patients présentant un cancer peu avancé du larynx et qui optent pour la chirurgie peuvent ainsi bénéficier d’une radiothérapie si besoin, ultérieurement. Mais ils gardent à vie une voix modifiée, de plus ou moins bonne qualité. Ceux qui choisissent d’emblée la radiothérapie conservent leur voix. Mais pourront plus difficilement bénéficier, à nouveau, d’une radiothérapie s’ils en ont besoin ultérieurement.
Dans ces conditions, le choix du traitement nécessite une discussion avec l’équipe médicale qui suit le patient et une information éclairée sur les conséquences du choix thérapeutique. « Nous échangeons longuement avec le patient pour qu’il puisse prendre sa décision en toute connaissance de cause. Le choix s’effectue toujours au cas par cas. Certains patients utilisant leur voix dans le cadre de leur métier (chanteurs, avocats…) optent plutôt pour la radiothérapie», note le Pr Céruse.
Combien de temps dure la radiothérapie ?
Lorsque le patient opte pour ce traitement, il bénéficie de 35 séances de radiothérapie en moyenne pour guérir sa tumeur cancéreuse, soit quasiment deux mois de traitement.
Comment se déroule la chirurgie du cancer du larynx aux stades débutants et avancés ?
Elle s’effectue le plus souvent au laser : c’est-à-dire, à l’aide d’un rayon laser qui sert de bistouri pour couper des zones que l’on ne peut atteindre avec des instruments traditionnels. « Quand le patient présente une petite tumeur de la corde vocale, nous pouvons la retirer au laser, en passant par la bouche. L’intervention est rapide : elle dure entre 15 et 30 minutes (selon la taille de la tumeur). Les patients sortent de l’hôpital le jour de l’intervention ou le lendemain. La récupération est rapide. Mais les patients ont besoin de séances d’orthophonie pour essayer de récupérer leur voix le mieux possible », indique le Pr Céruse.
Pour les cancers du larynx de stades avancés, la chirurgie est plus lourde : ablation partielle du larynx par exemple. Elle peut être effectuée au laser ou au robot mais, parfois, par voie cervicale. Une hospitalisation est nécessaire (plusieurs jours). Nous essayons toujours d’éviter une trachéotomie* », confie le Pr Céruse.
Dans quels cas, la trachéotomie s’avère-t-telle nécessaire ?
Dans certains cas, lorsque le cancer du larynx est avancé, le chirurgien ne peut pas toujours opérer en passant par voie interne (par la bouche). Il est contraint d’effectuer une ablation partielle du larynx par voie externe. « Nous effectuons une trachéotomie provisoire (le temps de la cicatrisation) pour que le patient puisse continuer à respirer sans risquer de s’étouffer. Parfois, nous sommes obligés d’enlever la totalité du larynx (laryngectomie) : la trachéotomie et la perte de voix sont alors définitives. Ce type d’intervention qui concerne les stades très avancés (stades 3 et 4 du cancer du larynx) est malheureusement mutilant. Pour les cancers de stade 3, nous essayons au maximum d’éviter cette chirurgie en proposant de la radiothérapie associée à de la chimiothérapie. Mais pour le stade 4, la chirurgie (ablation du larynx) est effectuée d’emblée, elle est suivie d’une radiothérapie associée à une chimiothérapie. Nous essayons d’éviter autant que possible l’ablation totale du larynx», prévient le Pr Céruse.
Quelles sont les éventuelles séquelles des traitements du cancer du larynx ?
Ils dépendent du stade de la maladie et du choix du traitement. Pour les stades débutants : en cas de chirurgie, la seule séquelle est la modification de la voix. Lorsque l’on effectue une radiothérapie, la voix est quasiment normale : en revanche, ce traitement peut engendrer une sécheresse buccale et une gêne à la déglutition.
« Après les traitements, beaucoup de patients reprennent une vie normale »
Pour les stades avancés nécessitant une ablation totale du larynx par trachéotomie, les traitements entraînent souvent une perte de la voix. « Les patients respirent uniquement par la trachée qui est suturée à la peau (stomie). C’est-à-dire, par le trou qui est à la base du cou. Ils ne respirent plus par les voies naturelles (nez, bouche). Cela entraîne une perte de l’odorat, des bronchites fréquentes. Et lorsque la chirurgie est associée à la radiothérapie et à la chimiothérapie, les patients peuvent aussi avoir des difficultés de déglutition », note le Pr Céruse.
Quelles sont les adaptations possibles en cas de modification ou de perte de la voix ?
La rééducation orthophonique donne souvent de bons résultats lorsque la voix est modifiée par chirurgie aux stades précoces du cancer du larynx. En cas de séquelles majeures liées à des interventions plus lourdes (stades avancés de la maladie), le patient bénéficie également d’une rééducation. « On leur apprend à émettre une voix différente. Il peut s’agir d’une voix oesophagienne ou trachéo-œsophagienne si on doit utiliser une prothèse phonatoire. La voix oesophagienne est une technique de réadaptation vocale : on apprend au patient à injecter de l’air dans l’œsophage et à le « roter » pour faire vibrer la muqueuse de l’œsophage et du pharynx. Cela permet au patient d’émettre un son et d’avoir une voix pour se faire comprendre par son entourage. Nous pouvons également proposer une voix trachéo-œsophagienne : nous plaçons une prothèse faisant communiquer la trachée et l’œsophage. Quand le patient bouche sa trachée, l’air des poumons passe dans l’œsophage : cela permet d’émettre un son et de parler », explique le Pr Céruse.
La voix trachéo-oesophagienne s’apprend assez rapidement : en quelques jours ou semaines, le patient arrive à la mettre en place. L’acquisition de la voix œsophagienne nécessite souvent plusieurs semaines, voire plusieurs mois de travail.
Quelle est, en général, la qualité de vie des patients ayant été traités pour un cancer du larynx ?
La qualité de vie dépend du mental des patients et de leur envie de retrouver une vie quasi normale. Beaucoup arrivent à communiquer de façon très satisfaisante après une rééducation orthophonique. Certains reprennent leur activité professionnelle. « Y compris des patients qui ont besoin d’utiliser fréquemment leur voix dans le cadre de leur métier tels que les artisans, les chefs d’entreprises ou les professeurs des écoles. Les patients peuvent également reprendre le sport s’ils le souhaitent à l’exception de la baignade (risque de noyade en cas de laryngectomie totale). Globalement, la qualité de vie après cancer du larynx est satisfaisante. Certains de mes patients sont, par exemple, des skieurs chevronnés. J’en connais même qui ont fait l’ascension du Mont Blanc ! », conclut le Pr Céruse.
* La trachéotomie est une intervention chirurgicale consistant à effectuer une petite ouverture (stomie) au niveau de la trachée et à placer une canule, petit tube courbé. Elle est réalisée entre la pomme d’Adam (cartilage thyroïdien) et la base du cou. Elle est transitoire ou permanente. Le tube inséré dans la stomie crée un nouveau passage pour aider à respirer : il permet l’entrée de l’air dans les poumons sans passage par le nez ou par la bouche.
Propos recueillis par Hélia Hakimi-Prévot
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