Présentation

Orthophoniste :
Un pivot indispensable dans la prise en charge globale

Bien plus qu’un « tech­ni­cien » qui vous appren­dra à mieux respir­er, mieux vous ali­menter ou com­mu­ni­quer avec votre entourage, cer­tains ortho­phon­istes ont l’art de créer un véri­ta­ble lien thérapeute-patient.
Ren­con­tre avec Alice Guy­on et Celia Lopez, deux jeunes femmes inspirées par leur amour de leur méti­er qu’elles exer­cent à Gus­tave Roussy, à Villejuif.

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Pourquoi voir un orthophoniste lorsque l’on a un cancer de la tête et du cou ?

Pour de nom­breuses raisons. L’orthophoniste inter­vient prin­ci­pale­ment sur trois temps : en pré-opéra­toire et pré-traite­ment, en post-opéra­toire immé­di­at, et en post-traite­ment à plus long terme. Détail­lons ensemble :

En pré-opéra­toire et traite­ment (con­sul­ta­tion) :

  • Lors de la con­sul­ta­tion d’annonce ortho­phonique, appelée « plan d’enseignement » à Gus­tave Roussy, au cours duquel nous allons expli­quer au patient com­ment va se dérouler la chirurgie/la radio­thérapie, quelles vont être les con­séquences anatomiques et fonc­tion­nelles, et l’importance de la réé­d­u­ca­tion orthophonique.

En post-opéra­toire immé­di­at (hos­pi­tal­i­sa­tion) :

  • Lors des essais de dég­lu­ti­tion en cham­bre du patient, le but du tra­vail ortho­phonique sera de retir­er la sonde naso­gas­trique et de per­me­t­tre une ali­men­ta­tion orale stricte, avec mise en place de prax­ies (exer­ci­ces de mobil­i­sa­tion et de toni­fi­ca­tion de la sphère buc­co-faciale, et tra­vail des mécan­ismes d’expulsion comme la toux et le raclement), de pos­tures de sécu­rité ou de facil­i­ta­tion, et d’adaptations de tex­tures (liq­uide ou mixée ou morceaux mous). C’est notam­ment le cas pour les glos­sec­tomies, pelviglos­so­mandibulec­tomies, max­il­lec­tomie, buc­co-pha­ryn­gec­tomie-trans­man­dibu­laire, laryn­gec­tomies par­tielles, etc.
  • Nous serons amenées égale­ment à faire les pre­mières éval­u­a­tions des paralysies faciales post parotidec­tomie totale avec sac­ri­fice et recon­struc­tion du nerf facial, et la mise en place de con­seils (pas de gri­mace, pas de froid, pas de chew­ing-gum et une atten­tion très par­ti­c­ulière à l’œil qui ne ferme pas).

Sur du plus long terme, en con­sul­ta­tion, on retrouve :

  • Les trou­bles de la dég­lu­ti­tion, qui peu­vent con­cern­er toutes les chirur­gies citées, plus ou moins la radio­thérapie, avec un objec­tif de sevrage de sonde lorsque c’est possible.
  • L’accompagnement pen­dant la radio­thérapie avec des con­seils adap­tés et notam­ment pour prévenir le trismus.
  • La réé­d­u­ca­tion du tris­mus (voir encadré).
  • La réé­d­u­ca­tion de la paralysie faciale.
  • La réé­d­u­ca­tion de la voix oro-oesophagi­en­ne après laryn­gec­tomie totale, pharyn­go-laryn­gec­tomie totale et pharyn­go-laryn­gec­tomie totale circulaire.
  • L’éducation à la voix tra­chéo-oesophagi­en­ne pour les patients laryn­gec­tomisés équipés d’un implant phonatoire.
  • L’éducation au laryn­go­phone pour les patients laryngectomisés.
  • La réé­d­u­ca­tion de la voix après laryn­gec­tomie partielle.
  • La réé­d­u­ca­tion de la voix après thy­roïdec­tomie totale et sac­ri­fice du nerf laryngé.
  • Le tra­vail d’articulation, sou­vent en com­plé­ment du tra­vail de la déglutition.

Qui peut prescrire des séances ? 

En théorie, l’orthophoniste, qu’il tra­vaille en libéral ou en milieu hos­pi­tal­ier, ne tra­vaille que sur pre­scrip­tion médi­cale. L’ordonnance peut être faite par n’importe quel médecin qui suit le patient, à savoir le chirurgien ORL ou le plas­ti­cien recon­struc­teur, l’oncologue, le radio­thérapeute, le médecin trai­tant, le den­tiste etc. La pre­scrip­tion doit rester sim­ple : « Bilan ortho­phonique et réé­d­u­ca­tion si néces­saire », et le médecin peut rajouter la men­tion « Urgent ».

Est-ce pris en charge par la sécurité sociale (ALD) ?

Générale­ment, une séance d’orthophonie est prise en charge à hau­teur de 60% par la sécu­rité sociale et la mutuelle com­plète pour les 40% restants. Mais dans le cas d’une ALD (affec­tion longue durée), comme c’est le cas pour les can­cers tête et cou, le coût de la séance d’orthophonie est alors pris à 100% en charge par la sécu­rité sociale.

Faut-il voir un orthophoniste spécialisé ?

Les ortho­phon­istes n’ont pas de spé­cial­i­sa­tion offi­cielle. Mais pren­dre en charge des patients après traite­ments pour un can­cer tête et cou, néces­site évidem­ment d’être for­mé. De fait, cela fonc­tionne beau­coup par le bouche à oreille et nous sommes en per­pétuelle recherche d’orthophonistes en libéral accep­tant de pren­dre en charge nos patients, étant don­né qu’une liste offi­cielle n’existe tou­jours pas à ce jour.

Peut-on en trouver dans tous les hôpitaux, centres de lutte contre cancer ? 

Mal­heureuse­ment non… à la fois car il n’y a pas de poste ouvert partout, ou parce que les postes ouverts ne sont pas assez attrac­t­ifs pour les ortho­phon­istes (salaires trop bas, pas de pos­si­bil­ité de faire de la recherche ou de mon­ter des pro­jets inno­vants etc.). C’est un véri­ta­ble cer­cle vicieux :  comme il y a peu d’orthophonistes for­més à ce type de prise en charge et exerçant dans ce domaine, il y a égale­ment peu de lieux de stages en can­cérolo­gie ORL pour les étu­di­ants, donc for­cé­ment peu de jeunes diplômés qui pren­dront ce type de poste ou accepteront de pren­dre en soin ces patients dans leur cab­i­net libéral.

C’est la rai­son pour laque­lle nous avons à cœur de pren­dre des sta­giaires chaque année. De plus, pour informer et for­mer des col­lègues ou futurs col­lègues, nous avons créé le pre­mier work­shop d’orthophonie en can­cérolo­gie ORL en juin 2022. Une deux­ième édi­tion aura lieu en jan­vi­er 2024.

Concrètement, comment se déroule la première consultation ?

En théorie, la pre­mière con­sul­ta­tion d’orthophonie com­mence par un bilan. Mais dans la pra­tique, si l’orthophoniste tra­vaille à l’hôpital, la pre­mière con­sul­ta­tion peut, et même devrait être la con­sul­ta­tion d’annonce (« plan d’enseignement »), avant la chirurgie ou avant la radio­thérapie, pour expli­quer au patient les séquelles pos­si­bles et l’importance de la réé­d­u­ca­tion orthophonique.

À quel rythme revoyez-vous les patients ? 

Le rythme des séances, très vari­able d’un patient à l’autre, dépen­dra de nom­breux éléments :

  • La chirurgie et/ou la radio­thérapie que le patient aura eue.
  • Son con­texte : moti­va­tion, fatigue, lieu de vie, disponi­bil­ité etc.

Générale­ment, la plu­part de nos patients sont suiv­is une à deux fois par semaine. Plus pré­cisé­ment, pour don­ner quelques exem­ples, nous verrons :

  • au moins deux fois par semaine un patient qui a eu une laryn­gec­tomie totale, pour lui appren­dre la voix œsophagienne,
  • une à deux fois par semaine un patient ayant des trou­bles de la dég­lu­ti­tion lié à une chirurgie et/ou une radio­thérapie ORL, pour repren­dre soit une ali­men­ta­tion orale stricte, soit une ali­men­ta­tion mixte (c’est-à-dire par la bouche mais aus­si entérale, c’est-à-dire avec une sonde naso-gas­trique ou une gas­tros­tomie), ou encore une ali­men­ta­tion « plaisir » (en très petite quan­tité par la bouche avec la majorité de l’alimentation passée en entéral), 
  • au moins une fois par semaine un patient en cours de radio­thérapie post chirurgie ORL pour faire le suivi de sa dég­lu­ti­tion ain­si que des autres séquelles poten­tielles comme le trismus,

Nous pour­rons bien sûr être amenées à réduire la fréquence des séances en fonc­tion de la pro­gres­sion du patient.

Combien de temps dure une séance ?

Con­cer­nant la can­cérolo­gie ORL, nor­male­ment les séances doivent dur­er un min­i­mum de 30 min­utes. En revanche, le bilan, qui dure au moins une heure, peut s’étendre sur plusieurs séances.

Durant la séance, vous montrez comment réaliser les exercices au patient. Ensuite, vous lui donnez en quelque sorte des « devoirs » à faire à la maison ?

Tout à fait ! Il est essen­tiel que le patient tra­vaille tous les jours à la mai­son ! Le fait de venir une à deux fois par semaine, par­fois moins, chez l’orthophoniste, ne lui per­me­t­tra pas de pro­gress­er à un rythme sat­is­faisant. Le patient doit inve­stir pleine­ment dans sa prise en charge et repren­dre chaque exer­ci­ce, ain­si que chaque con­seil, quo­ti­di­en­nement. Nous avons pour habi­tude de « pre­scrire » nos exer­ci­ces un peu comme des médica­ments, avec des nom­bres de séries à répéter, un cer­tain nom­bre de fois par jour. Chaque liste d’exercices don­nés à nos patients est soigneuse­ment pen­sée et per­son­nal­isée pour cha­cun d’eux. C’est vrai­ment du « sur-mesure ».

Comment aidez-vous un patient à appréhender sa nouvelle image ?

Nous avons un vrai rôle à jouer via l’éducation thérapeu­tique, et un véri­ta­ble lien thérapeute-patient se crée au fur et à mesure de la réé­d­u­ca­tion. A par­tir du moment où l’on ren­con­tre notre patient, nous allons le pren­dre en soin dans sa glob­al­ité : infor­ma­tion en pré et en post opéra­toire, sou­tien pour lui ain­si que ses proches, édu­ca­tion vers une autonomie la plus proche pos­si­ble du comme avant, apprivoise­ment de son nou­veau corps etc. C’est vrai­ment une prise en soin qui est glob­ale et qui va vis­er avant tout la réin­ser­tion sociale de notre patient et le retour à une qual­ité de vie la plus opti­male pos­si­ble selon ses critères.

Pour cette ques­tion, nous sommes aidés par l’équipe des psy­cho­logues, mais égale­ment par les asso­ci­a­tions de patients, comme CORASSO et Les Mutilés de la Voix, qui font un tra­vail d’accompagnement formidable.

Quel type de conseils leur donnez-vous pendant la radiothérapie ?

C’est vrai­ment « per­son­ne-dépen­dante ». Nous don­nons de nom­breux con­seils con­cer­nant les bains de bouche pour apais­er au mieux les mucites pen­dant la radio­thérapie, ain­si que les types d’aliments à éviter à cause des apht­es et brûlures, mais aus­si des con­seils con­cer­nant l’absence de salive ou la salive épaisse.

Notre objec­tif pen­dant toute la radio­thérapie est que le patient con­tin­ue de s’alimenter suff­isam­ment et sans dan­ger par la bouche, tout en sachant que dans la majorité des cas sur la fin de la radio­thérapie, il pour­ra être néces­saire de pos­er de nou­veau une sonde naso­gas­trique ou de réal­i­menter le patient via la gas­tros­tomie s’il en a une.

Votre pratique est-elle complémentaire de la kinésithérapie ? 

L’orthophonie en can­cérolo­gie ORL est effec­tive­ment une pra­tique qui se com­plète très bien avec la kinésithérapie. Ain­si, le drainage lym­pha­tique cer­vi­cal pra­tiqué par les kinésithérapeutes per­me­t­tra égale­ment d’améliorer la dég­lu­ti­tion ou la voix du patient dans cer­tains cas. De plus, le tra­vail max­il­lo-facial pour­ra per­me­t­tre d’accompagner la réé­d­u­ca­tion du trismus.

Une autre dis­ci­pline peut égale­ment être com­plé­men­taire de la nôtre : c’est l’ostéopathie. Il existe d’ailleurs une « tech­nique » de réé­d­u­ca­tion à la fron­tière entre l’orthophonie et l’ostéopathie, appelée Ostéovox.

Pour retrou­ver les prati­ciens for­més à cette tech­nique, vous pou­vez vous référ­er à la liste suiv­ante : https://osteovox.be/liste-des-certifies/

Qu’est-ce qui vous semble le plus difficile pour les patients ? 

Deux élé­ments nous parais­sent très dif­fi­ciles à vivre au quo­ti­di­en pour nos patients.

D’une part, l’aspect social avec l’apparence physique en post-chirurgie. Les patients ont sou­vent l’impression d’être très mal perçus par la société. De plus, pour bon nom­bre d’entre eux, il est dif­fi­cile, voire impos­si­ble de partager des moments con­vivi­aux à table à cause des trou­bles de la déglutition.

L’épée de Damo­clès d’une éventuelle récidive est égale­ment très dif­fi­cile à vivre pour les patients.

Pro­pos recueil­lis par Céline DUFRANC

POUR VOUS AIDER : sur le site de Gus­tave Roussy, vous trou­verez de nom­breux livrets d’information des­tinés aux patients ORL. Cer­tains sont en lien avec la réé­d­u­ca­tion ortho­phonique. Par exem­ple : gustaveroussy.fr/sites/default/files/orl-deficit-bucc-2019.pdf

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Un arti­cle dédié au CHU de Rouen
Le Ther­aBite, un coup de pouce pour le trismus ?

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