Cancer de la cavité buccale

Son inci­dence (nom­bre de nou­veaux cas par an) a ten­dance à baiss­er douce­ment chez les hommes mais à aug­menter chez les femmes. Le can­cer de la cav­ité buc­cale est meilleur pronos­tic s’il est diag­nos­tiqué tôt, notam­ment via la détec­tion de lésions très car­ac­téris­tiques. L’éclairage du Dr Maria Lesnik, spé­cial­iste des can­cers ORL à l’Institut Curie à Paris.

La cavité buccale, c’est quoi ?

Cette zone anatomique fait par­tie des voies aérodi­ges­tives supérieures ou VADS. Elle est délim­itée à l’avant par la face interne des lèvres (par­tie rose et lisse) et en arrière par le voile du palais. Elle com­prend donc :

  • la face interne des lèvres ;
  • la par­tie mobile de la langue ;
  • le planch­er de la bouche ;
  • les gen­cives ;
  • le palais ;
  • la face interne des joues ;
  • le voile du palais, par­tie molle ter­minée par la luette (appen­dice qui pend au fond de la gorge).
cavité buccale

Les amyg­dales, en revanche, se situent déjà dans une autre par­tie anatomique appelée « orophar­ynx ». Pourquoi un découpage si pré­cis ? « Parce que les caus­es de can­cer ne sont pas les mêmes dans les deux zones », pré­cise le Dr Maria Lesnik, chirurgi­en­ne spé­cial­isée dans la prise en charge des tumeurs de la tête et du cou. « Par exem­ple, pour les can­cers de l’oropharynx les papil­lo­mavirus font par­tie des fac­teurs de risque majeurs, alors qu’ils sont très peu impliqués dans les can­cers de la cav­ité buccale. »

Quelles sont les causes d’un cancer de la bouche ?

Par­mi les fac­teurs de risque prin­ci­paux, Dr Lesnik cite le tabac et l’alcool : « À savoir qu’en cas de dou­ble intox­i­ca­tion, c’est-à-dire de con­som­ma­tion des deux à la fois, le risque n’est pas cumu­latif mais démul­ti­pli­catif. Plus pré­cisé­ment, le risque de can­cer n’est pas dou­blé, il est mul­ti­plié par 30. »

Le can­cer de la cav­ité buc­cale peut résul­ter aus­si d’une mal­adie appelée « lichen ». « Les caus­es du lichen ne sont pas vrai­ment con­nues. Il touche sou­vent les femmes assez âgées, non fumeuses et non buveuses. Le stress pour­rait jouer un rôle dans son appari­tion mais rien n’est démon­tré », indique l’experte. Le lichen peut se trans­former en lésion pré­cancéreuse lorsque des muta­tions géné­tiques appa­rais­sent dans les cel­lules. C’est l’accumulation de ces muta­tions qui peut con­duire la cel­lule, au fil de ses mul­ti­pli­ca­tions, vers un état can­céreux. Ce lichen appa­raît sou­vent comme des zones trop kéra­tin­isées, d’aspect un peu épais­si. « Un peu comme de la corne qui se forme au niveau de la muqueuse. » Les lésions peu­vent très bien régress­er spon­tané­ment quand elles restent à un état pré-cancéreux.

D’autres fac­teurs de risque sec­ondaires jouent peut-être un rôle dans la sur­v­enue d’une tumeur de la cav­ité buc­cale : une mau­vaise hygiène den­taire, le port d’appareils, cer­tains matéri­aux employés pour les soins den­taires, des déséquili­bres du micro­biote buc­cal… Dr Lesnik tem­père : « Ce ne sont que des sup­po­si­tions, aucune don­née pour l’instant ne per­met de le con­firmer ou de l’infirmer. »

Quels sont les symptômes d’un cancer de la cavité buccale ?

Les signes d’un état pré­cancéreux ou d’un can­cer tout débu­tant ne sont pas tou­jours faciles à repér­er : plaques rouges ou blanch­es, d’apparition pro­gres­sive, sen­si­bles voire douloureuses. Ces plaques peu­vent se dévelop­per sur tous les tis­sus de la cav­ité buc­cale de la même manière. « Ce genre d’anomalies dans la bouche doit amen­er à con­sul­ter, si pos­si­ble un der­ma­to­logue spé­cial­isé dans la cav­ité buc­cale et les muqueuses, un ORL ou un chirurgien max­il­lo-facial », con­seille Maria Lesnik.

Au stade can­céreux, les lésions dif­fèrent et devi­en­nent très car­ac­téris­tiques. On peut observer :

  • une plaie qui ne guérit pas ou une excrois­sance (une boule) ;
  • des douleurs, notam­ment au touch­er ou au moment de s’alimenter ;
  • de légers saigne­ments ;
  • par­fois des dents mobiles si la tumeur touche la gen­cive et l’os sous-jacent ;
  • un tris­mus si elle affecte les mus­cles mas­ti­ca­teurs. Dr Lesnik explique : « Quand les mus­cles sont envahis, ils sont un peu enraidis et le patient a des dif­fi­cultés à ouvrir la bouche. »

Les plaies liées à un can­cer de la cav­ité buc­cale font par­fois penser à un aphte, « mais elles sont beau­coup plus dures au touch­er et surtout ne dis­parais­sent pas toutes seules ». Tout signe anor­mal qui per­siste au-delà de 3 semaines sans amélio­ra­tion est un motif de consultation.

Quelques sta­tis­tiques 

Les can­cers au niveau de la cav­ité buc­cale sont tou­jours des can­cers prim­i­tifs. En d’autres ter­mes, des can­cers qui ont pris nais­sance dans cette zone et ne sont pas des métas­tases d’un autre can­cer à dis­tance. Dans la très grande majorité des cas, il s’agit d’un car­ci­nome épi­der­moïde, qui se développe à par­tir de cel­lules spé­ci­fiques de la peau et des muqueuses : les kératinocytes. Ces cel­lules sont présentes dans la couche super­fi­cielle de la peau, l’épiderme, d’où l’appellation « épidermoïde ».

Par­mi les can­cers qui affectent les voies aéro-diges­tives supérieures (VADS), celui de la bouche est le plus fréquent : entre 25 et 40 % des cas de can­cers des VADS, d’après le Cen­tre Léon Bérard de Lyon.

Selon San­té Publique France, pour l’année 2018 (dernières sta­tis­tiques pub­liées), 4677 nou­veaux cas de can­cers de la cav­ité buc­cale ont été diag­nos­tiqués : 3106 chez des hommes (66,5 %) et 1571 (33,5 %) chez des femmes. « Ce n’est pas le can­cer ORL présen­tant le meilleur pronos­tic, sauf s’il est diag­nos­tiqué tôt », recon­naît Maria Lesnik. Bonne nou­velle tout de même : la survie nette stan­dard­is­ée à 5 ans a pro­gressé de 13 points entre 1990 et 2015.

Comment est établi le diagnostic ?

« Même si l’aspect clin­ique est très évo­ca­teur et nous per­met d’avoir déjà de fortes sus­pi­cions, le diag­nos­tic est tou­jours posé après biop­sie et analyse his­tologique. Cela sig­ni­fie que l’on recherche au micro­scope la présence de cel­lules can­céreuses », pré­cise la spé­cial­iste des can­cers ORL. « La biop­sie est réal­isée soit en con­sul­ta­tion directe­ment, soit, et c’est le plus fréquent, au cours d’une panendoscopie. »

La panen­do­scopie, réal­isée sous anesthésie générale, prend 5 min­utes à peine. Elle néces­site l’emploi d’un endo­scope, instru­ment de la forme d’un long tuyau des­tiné à visu­alis­er les cav­ités cor­porelles (bouche, nez, etc.) Grâce à l’endoscope, il est pos­si­ble d’introduire une caméra et dif­férents out­ils dans les voies aérodi­ges­tives supérieures. Le médecin peut effectuer les biop­sies sans douleur et palper cor­recte­ment la tumeur. Un geste indis­pens­able pour en con­naître l’étendue. Pen­dant la panen­do­scopie, le pro­fes­sion­nel observe égale­ment la gorge, le lar­ynx et le phar­ynx, afin de véri­fi­er la présence éventuelle d’autres tumeurs.

Plusieurs exa­m­ens com­plé­men­taires d’imagerie sont égale­ment pre­scrits, dans le but d’établir un bilan complet :

  • un scan­ner de la tête, du cou et des poumons : pour rechercher des infil­tra­tions osseuses, des gan­glions sus­pects et des métas­tases pul­monaires, les pre­mières qui appa­rais­sent dans ce type de cancers ;
  • une IRM de la cav­ité buc­cale : pour éval­uer la pro­fondeur d’invasion de la tumeur dans les tis­sus mous ;
  • un TEP scan­ner, pour Tomo­gra­phie par Émis­sion de Positrons. Cet exa­m­en métabolique con­siste à injecter dans l’organisme du glu­cose sur lequel est fixé un mar­queur radioac­t­if. Une scinti­gra­phie (méth­ode d’imagerie spé­ci­fique) réal­isée après l’infection per­met de visu­alis­er les zones du corps qui con­som­ment beau­coup de sucre. « Au-delà des zones nor­males, comme le cerveau ou le cœur, les autres régions au repos sont cen­sées être éteintes », explique Dr Maria Lesnik. « Si elles s’allument, elles mar­quent la présence d’une con­som­ma­tion de glu­cose et d’un métab­o­lisme anor­mal, signe d’une infec­tion, d’une inflam­ma­tion ou d’un can­cer. » Le TEP scan­ner sert à observ­er le can­cer prim­i­tif, les atteintes gan­glion­naires, les métas­tases et toute autre tumeur éventuelle.

Les recom­man­da­tions nationales et inter­na­tionales sont très pré­cis­es : en cas de tumeur buc­cale supérieure à 2 cm, les trois exa­m­ens d’imagerie listés doivent impéra­tive­ment être réal­isés. Si la tumeur fait moins de 2cm, le TEP scan­ner devient optionnel.

La chirurgie, traite­ment de pre­mière intention

La déci­sion quant aux traite­ments les plus adap­tés s’étudie lors d’une réu­nion de con­cer­ta­tion pluridis­ci­plinaire, à laque­lle assis­tent plusieurs pro­fes­sion­nels de san­té : le médecin référent, un chirurgien, un radio­thérapeute, un onco­logue, un radi­o­logue, un anato­mopathol­o­giste. Les traite­ments envis­agés dépen­dent bien évidem­ment de l’étendue de la tumeur, de l’infiltration dans les tis­sus envi­ron­nants (mus­cles, os, gan­glions) et d’éventuelles métastases. 

« Le meilleur traite­ment pour ces can­cers est tou­jours en pre­mier lieu la chirurgie, avec exérèse com­plète de la tumeur, plus ou moins des gan­glions », développe la chirurgi­en­ne ORL et cer­vi­co-facial. Pour une tumeur supérieure à 2 cm, les gan­glions au niveau du cou sont sys­té­ma­tique­ment retirés du côté atteint. En cas de tumeur médi­ane, entre les deux inci­sives par exem­ple, les gan­glions des deux côtés sont enlevés. Pour une tumeur inférieure à 2 cm, la tech­nique dite « du gan­glion sen­tinelle » peut être employée comme alter­na­tive au curage gan­glion­naire. Dr Lesnik détaille : « On injecte un pro­duit radioac­t­if dans le pour­tour de la tumeur et on fait une scinti­gra­phie qui per­met de voir les gan­glions dans lesquels le pro­duit migre en pre­mier. On retire ce ou ces gan­glions appelés donc « sen­tinelles » pour regarder si le can­cer les a déjà touchés. Si à l’analyse his­tologique ils sont touchés, on pra­tique alors un curage gan­glion­naire com­plet. Mais s’ils sont sains, on s’arrête là et on surveille. »

L’exérèse de tumeurs de petite taille laisse très peu de séquelles puisque l’excroissance est sim­ple­ment retirée et les tis­sus refer­més. Au-delà d’un cer­tain vol­ume ou si d’autres tis­sus alen­tours sont infil­trés, l’opération com­pren­dra un volet de recon­struc­tion plus ou moins impor­tant, pou­vant aller jusqu’à l’util­i­sa­tion d’un « lam­beau libre ». Maria Lesnik définit cette tech­nique : « On prend du tis­su vas­cu­lar­isé ailleurs dans le corps pour le gref­fer dans la zone qui en a besoin. Par exem­ple une par­tie du per­oné, l’os fin de la jambe a côté du tib­ia, pour rem­plac­er une par­tie de la mandibule retirée. Ou bien une par­tie du mus­cle grand dor­sal, dans le dos, pour cou­vrir une grande sur­face ou recréer un vol­ume. Ou encore de la peau à l’avant du poignet pour recon­stru­ire un bout de langue ou de joue… »

En dou­ble équipe, les chirurgiens tra­vail­lent d’un côté à retir­er les lésions tumorales et de l’autre à prélever et façon­ner les tis­sus utiles à la recon­struc­tion. Le tout simul­tané­ment, pour des inter­ven­tions pou­vant dur­er jusqu’à 14 heures. « L’objectif est de fournir un résul­tat le plus esthé­tique et le plus fonc­tion­nel possible. »

Quels autres traitements sont proposés en cas de cancer de la bouche ?

La chirurgie est suiv­ie de radio­thérapie pen­dant 6 à 7 semaines, dans plusieurs cas :

  • si la tumeur est agres­sive ou de mau­vais pronostic ;
  • si les gan­glions sont atteints.

En com­plé­ment de la radio­thérapie, un traite­ment par chimio­thérapie spé­ci­fique aux car­ci­nomes épi­der­moïdes peut être pro­posé. C’est l’étape au-dessus. Il va être prescrit :

  • si la tumeur est de grande taille ;
  • si plusieurs gan­glions sont envahis ou si cer­tains ont explosé leur enveloppe ;
  • si la tumeur n’a pas été entière­ment retirée. Le chirurgien enlève tou­jours une marge autour de la tumeur (tis­sus sains), mais il peut arriv­er que cer­taines infil­tra­tions micro­scopiques n’aient pas pu être détec­tées et soient révélées lors de l’analyse anato­mo-pathologique post-chirurgie.

Enfin, en cas de récidive non-opérable ou d’évolution métas­ta­tique, une immunothérapie ou une chimio­thérapie est pro­posée. Cepen­dant, elle n’est plus ici à visée cura­tive, mais réal­isée dans le but de con­trôler la mal­adie le plus longtemps possible.

Quelle qualité de vie après les traitements ?

Les prin­ci­pales dif­fi­cultés ren­con­trées après le traite­ment chirur­gi­cal, selon Dr Lesnik, sont : la parole et l’alimentation, les douleurs séquel­laires com­munes à toute chirurgie et l’aspect esthé­tique. À nuancer toute­fois car : « Les cica­tri­ces se trou­vent à l’intérieur de la bouche, hormis pour le retrait des gan­glions. Celles-ci se situent au niveau du cou. » Ces prob­lèmes s’atténuent forte­ment au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’intervention. « Glob­ale­ment, env­i­ron 2 mois après la chirurgie, le patient peut espér­er avoir déjà retrou­vé 90 % de ces capac­ités, à la fois pour par­ler et pour s’alimenter. Si les inter­ven­tions sont plus lour­des, cela peut évidem­ment met­tre plus de temps. Il peut arriv­er que cer­tains patients ne retrou­vent pas de fonc­tions totale­ment normales. »

Après un traite­ment par radio­thérapie, les effets sec­ondaires habituels sont observés, avec des brûlures au niveau de la peau et des muqueuses. Pour un traite­ment par rayons étalé sur 6 semaines, la con­va­les­cence prend en moyenne entre 5 et 7 semaines. Cer­taines séquelles per­sis­tent sur le long terme, notam­ment la perte sali­vaire avec une pro­duc­tion de salive moins impor­tante et de moins bonne qualité.

Les capac­ités de récupéra­tion sont très fluc­tu­antes selon les patients et imprévis­i­bles. Dr Lesnik se remé­more des cas très encour­ageants : « J’ai opéré un patient qui, dès le troisième jour, pou­vait par­ler et manger qua­si­ment nor­male­ment et sans douleur. Il peut aus­si arriv­er que la radio­thérapie soit très bien tolérée, avec presque aucun effet indésirable. »

Et après… quelle surveillance ?

Les patients ayant été traités pour un can­cer de la cav­ité buc­cale font l’objet d’une sur­veil­lance à la fois clin­ique et radi­ologique.

Quelle fréquence pour la sur­veil­lance clin­ique ? « Les recom­man­da­tions sont de revoir les patients en con­sul­ta­tion tous les 2 mois la pre­mière année, puis tous les 3 mois la deux­ième, puis tous les 4 mois, 5 mois, etc. », énonce Dr Maria Lesnik. « Le risque de récidive est le plus impor­tant dans les deux pre­mières années, c’est la rai­son pour laque­lle le suivi s’espace ensuite. »

Sans pour autant s’interrompre. « Les patients qui ont eu ce type de can­cers ont sou­vent été exposés à des fac­teurs de risque dans leur vie, comme le tabac ou l’alcool. Il est donc préférable de con­tin­uer à les voir. » Au bout de 5 ans de suivi, une con­sul­ta­tion annuelle reste néces­saire, avec bien évidem­ment un ren­dez-vous plus pré­coce au moin­dre symp­tôme anormal.

À ce suivi clin­ique, s’ajoute un suivi radi­ologique : a min­i­ma une fois par an, un scan­ner ORL et tho­rax sera demandé.

Pro­pos recueil­lis par Vio­laine Badie

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