Les sarcomes regroupent tout un ensemble de cancers, qui se développent à partir de cellules dites « de soutien » (cellules osseuses, musculaires, graisseuses, etc.). Tous ces types peuvent se retrouver au niveau de la sphère ORL. Du diagnostic au traitement, leur prise en soin nécessite une expertise particulière, du fait de leur rareté. Toutes les explications avec le Dr Sébastien Carrère, chirurgien-oncologue spécialisé en chirurgie digestive et en sarcomes à l’Institut du Cancer de Montpellier.

Qu’est-ce qu’un sarcome ?
« Il s’agit d’une tumeur maligne mésenchymateuse, c’est-à-dire qui touche des cellules de soutien. Par cellules de soutien, on désigne celles qui se retrouvent plutôt au cœur d’un organe, qui permettent de soutenir sa structure, par opposition aux cellules de revêtement qui tapissent l’intérieur d’une cavité », répond le Dr Sébastien Carrère, qui coordonne la Réunion de Concertation Pluridisciplinaire sarcomes et tumeurs mésenchymateuses de Montpellier. Les cancers développés à partir de cellules de revêtement ou muqueuses sont, eux, appelés « carcinomes ».
Les cellules de soutien sont nombreuses et variées, ce qui explique la très grande diversité de sarcomes, aussi bien dans l’ensemble de l’organisme qu’au niveau ORL. Une première distinction les classe en deux grandes catégories :
- les sarcomes des tissus mous (90 % de l’ensemble des sarcomes). Ces derniers peuvent avoir pour origine des cellules graisseuses, musculaires, nerveuses par exemple.
- les sarcomes osseux (10 % environ), on les appelle ostéosarcomes ou sarcomes d’Ewing.
Les sarcomes sont ensuite catégorisés en fonction de la cellule dont le cancer est dérivé. « Il existe au total douze types de sarcomes », détaille le Dr Carrère. La tumeur peut avoir pour point de départ :
- une cellule musculaire (léiomyosarcome ou rhabdomyosarcome) ;
- une cellule graisseuse (liposarcome) ;
- une cellule nerveuse (MPNST pour « Malignant Peripheral Nerve Sheath Tumors, ou tumeurs des gaines nerveuses périphériques) ;
- une cellule synoviale, retrouvée au cœur d’une capsule articulaire (synovialosarcome) ;
- etc.
« Chaque type de sarcome comprend également un certain nombre de sous-types, déclinés en fonction de leur profil histologique, donc de leur aspect au microscope, mais aussi de leur biologie moléculaire, soit des gènes de la tumeur et des protéines qu’elle exprime à la surface de ses cellules », poursuit le chirurgien-oncologue. Chacun de ces types et sous-types peut se développer au niveau de la tête et du cou, étant donné que toutes les structures anatomiques concernées s’y trouvent : muscles, nerfs, os, articulation (avec l’articulation temporo-mandibulaire), etc.
« Il existe au total douze types de sarcomes et de très nombreux sous-types »

Quelle est la fréquence des sarcomes de la sphère ORL ?
Ils sont considérés comme très rares. « Tous les sarcomes confondus, quelle que soit leur localisation, représentent environ 5000 diagnostics par an en France. Parmi eux, environ 2000 sont des GIST ou Gastro-Interstinal Stromal Tumors, des sarcomes viscéraux qui touchent le tube digestif. Dans les 3000 cas restants, on estime que la localisation ORL représente 5 à 10 % des cas », informe le Dr Sébastien Carrère. Soit au total entre 200 et 300 nouveaux cas de sarcomes de la tête et du cou diagnostiqués chaque année.
« Entre 200 et 300 nouveaux cas de sarcomes de la tête et du cou sont diagnostiqués chaque année »
Existe-t-il des facteurs de risque connus ?
Contrairement à d’autres types de cancers ORL, le tabac, l’alcool ou encore les infections à papillomavirus (HPV) ne constituent pas des facteurs de risque de développer un sarcome. « Il n’existe pas de facteur de risque avéré dans le cas des sarcomes, y compris pour l’âge et le sexe. On n’observe pas forcément plus de cas dans certaines tranches d’âge, ni chez les hommes ou les femmes en particulier », développe le spécialiste.
Certaines maladies génétiques peuvent augmenter le risque de développer un sarcome, comme le syndrome le Li-Fraumeni, qui implique la mutation du gène qui code pour la protéine P53 (un suppresseur de tumeur). « Ces cas sont très particuliers et très rares, mais ils peuvent néanmoins favoriser la survenue de sarcomes aussi au niveau ORL. »
Quels sont des symptômes d’un sarcome de la tête et du cou ?
En comparaison avec d’autres cancers qui affectent la sphère ORL, les sarcomes ne développent pas de symptômes spécifiques. Tous les signes possibles peuvent être observés, en fonction de la localisation de la tumeur et des structures qu’elle va comprimer :
- une dysphonie ou modification de la voix si le cancer affecte une corde vocale ;
- une dysphagie ou difficulté pour avaler si la langue ou le pharynx sont touchés
- des difficultés à respirer si le larynx est rétréci par une masse ;
- des maux de gorge ;
- une boule ou masse ressentie quelque part au niveau du cou ou de la face.
« Très souvent, c’est justement une masse qui amène les patients à consulter. Cette boule qu’ils ont perçue ne disparaît pas au bout de plusieurs semaines et a tendance à grossir », signale le Dr Carrère. Il rappelle : « Tout symptôme qui persiste au-delà de trois semaines constitue un motif de consultation. »
Comment sont diagnostiqués les sarcomes ?
« En raison du très grand nombre de sous-types et de la rareté de ces cancers, il est toujours recommandé que la prise en charge soit effectuée dans un centre expert, et ce, dès l’étape de la biopsie », insiste Sébastien Carrère. Les premiers examens d’imagerie sont souvent réalisés en ville, par un médecin généraliste, un ORL ou un oncologue. « Dès que les premiers résultats évoquent l’éventualité d’un sarcome, le patient doit ensuite être adressé à un centre expert. »
Plusieurs raisons à cela :
- L’acte biopsique nécessite une expérience spécifique, car il doit être réalisé par voie radiologique (sous guidage échographique ou avec scanner) et non chirurgical, afin de ne pas rompre la tumeur.
- Ces centres disposent de plateformes de biopathologie permettant des analyses moléculaires très précises de la tumeur.
- Tout examen d’anatomopathologie qui concerne un sarcome doit être relu par un centre expert, selon les recommandations officielles. Effectuer la biopsie directement dans ce centre offre donc un gain de temps et permet un diagnostic plus rapide.
- Les analyses sont effectuées par des médecins expérimentés, habitués à diagnostiquer ces cancers très rares.
Poser un diagnostic extrêmement précis (type et sous type du sarcome) est l’étape indispensable pour pouvoir proposer le protocole de traitement le plus adapté.
« Il est toujours recommandé que la prise en charge soit effectuée dans un centre expert, et ce, dès l’étape de la biopsie »
Quels traitements possibles face à ces cancers ?
Une fois le diagnostic établi, la stratégie thérapeutique est discutée au sein d’une Réunion de Concertation Pluridisciplaire ou RCP, associant plusieurs spécialités médicales (chirurgie, oncologie, anatomopathologie, radiothérapie, etc.). Contrairement à d’autres cancers affectant la tête et le cou, la prise en charge des sarcomes est décidée au cours d’une RCP experte en sarcomes et tissus mous (et non en RCP par organe, ici la RCP ORL).
« De manière générale, la chirurgie constitue la pierre angulaire du traitement des sarcomes localisés. Elle est malheureusement beaucoup plus délicate à envisager au niveau de la sphère ORL, où nous sommes beaucoup plus limités. Il existe de nombreuses structures anatomiques à préserver afin de ne pas être trop mutilant et les marges de sécurité ne peuvent pas toujours être respectées », reconnaît le Dr Carrère. « Les sarcomes ORL vont souvent nécessiter une prise en charge différente, où l’on proposera plus volontiers de la chimiothérapie ou de la radiothérapie comme traitement de première intention. Nous avons aussi à disposition quelques thérapies ciblées ou immunothérapies, pour des sous-types de sarcomes spécifiques. » Ces informations concernant les traitements sont mentionnées à titre indicatif, chaque protocole de soin étant adapté au cas par cas.
« En comparaison avec d’autres types de cancer, les traitements contre les sarcomes ont moins progressé ces dernières années. Cependant, il existe beaucoup de recherche dans ce domaine, ce qui est très encourageant », complète Sébastien Carrère.
« Les sarcomes ORL vont souvent nécessiter une prise en charge différente, où l’on proposera plus volontiers de la chimiothérapie ou de la radiothérapie comme traitement de première intention »
Évolution, pronostic et chances de guérison des sarcomes
L’évolution d’un sarcome ORL est très variable selon le type et sous-type du cancer. Certains connaissent une évolution très lente, comme les liposarcomes bien différenciés, d’autres progressent très rapidement, comme les sarcomes indifférenciés (formes les plus agressives).
Il en va de même pour le pronostic vital de ces cancers, impossible d’énoncer des généralités en raison de leur très grande diversité. « On retrouve tout de même des sarcomes plus agressifs au niveau ORL que dans le reste de l’organisme. C’est donc malheureusement une localisation plutôt péjorative. »
Rappelons que le pronostic et les taux de survie dépendent de nombreux facteurs : le type de tumeur, sa taille, sa localisation, son grade. Comme pour tout cancer, plus le diagnostic sera précoce et meilleures seront les chances de guérison.
Quelle qualité de vie après avoir été soigné pour un sarcome ORL ?
Les séquelles potentielles, liées à l’infiltration de la tumeur et aux traitements, ne sont pas spécifiques aux sarcomes. Tous les effets secondaires observés pour les autres types de cancers peuvent également affecter les patients soignés pour un sarcome. Ces séquelles peuvent prendre la forme de troubles de la déglutition, de problèmes de dysphonie, de conséquences esthétiques et/ou nerveuses… Certaines peuvent être temporaires, d’autres s’avèrent définitives. « Les risques de séquelles demeurent tout de même plus importants que pour des carcinomes, car les sarcomes touchent des tissus plus profonds », admet le chirurgien.
Selon les symptômes à soulager, plusieurs soins de support peuvent être proposés aux patients. En général, ils sont évoqués par anticipation, dès la mise en place du protocole de traitement. Ils peuvent comprendre : un accompagnement psychologique, un suivi avec un orthophoniste et/ou un diététicien-nutritionniste, des séances de kinésithérapie, une prise en charge spécifique de la douleur (algologie), des séances d’activité physique adaptée, etc.
Comme les sarcomes affectent également les 15–25 ans (statistiquement davantage que d’autres formes de cancers), une prise en charge spécifique est également proposée. On parle de prise en charge AJA (pour Adolescents et Jeunes adultes). Cette prise en charge comprend un suivi personnalisé, spécifique aux besoins de cette tranche d’âge, pouvant comprendre un suivi de la scolarité, une aide avec l’employeur en cas de premier emploi, un suivi psychologique adapté…
Découvrir l’association Aïda qui soutient les jeunes touchés par un cancer
Écouter l’histoire de Charlotte, AJA, touchée par un cancer de la langue à l’âge de 21 ans
Pour en savoir plus sur les sarcomes