Lorsque certains symptômes inhabituels perdurent pendant plusieurs semaines, au niveau de la sphère ORL (oreilles, nez, sinus et gorge), il est indispensable de recourir à un médecin spécialiste. Le premier rendez-vous chez l’ORL est un moment important, notamment en cas de suspicion de cancer. Le Dr Boris Petelle — chirurgien ORL à l’hôpital Tenon à Paris et en cabinet libéral (Paris 16e) — explique le déroulement de cette consultation et donne les clés pour bien débuter la prise en charge, du diagnostic à l’annonce de la maladie.
Concrètement, quels types de symptômes doivent alerter le patient et l’inciter à consulter un médecin ORL ?
Parfois les patients ne ressentent pas de douleur ou n’ont pas de symptômes : nous les découvrons tardivement. Car dans certains cas la maladie peut rester silencieuse.
En revanche, lorsque le patient ressent les symptômes suivants depuis quelques semaines, il doit consulter un médecin ORL sans attendre. Cela concerne notamment toute personne qui :
- a des difficultés à s’alimenter
- et/ou se plaint de douleurs à la déglutition et/ou à la mastication, ou d’une douleur spontanée à la gorge,
- présente des aphtes ne guérissant pas, et/ou de plaques rouges ou blanches au niveau de la bouche
- et/ou enrouement persistant
- présente des difficultés à mobiliser sa langue ou à ouvrir sa bouche,
- a des saignements de la sphère buccale (gorge, langue, palais…)
- perd du poids et de l’appétit de façon inexpliquée.
« Ce dernier symptôme est particulièrement inquiétant. Car une personne qui présente une maladie ORL bénigne d’origine virale (angine, par exemple) ne perd pas de poids et, si c’est le cas, cela ne dure pas. Par ailleurs, le fait que l’on souffre de symptômes ORL sans signes évoquant une éventuelle infection (sans avoir de fièvre, notamment) doit également alerter et inciter à consulter », souligne le Dr Boris Petelle, chirurgien ORL à l’hôpital Tenon (Paris).
Autre signe potentiellement inquiétant : l’otalgie (douleur à l’oreille). Une douleur à la gorge peut se prolonger jusqu’à l’oreille. « Cela peut être inquiétant et peut être le signe d’une infiltration profonde d’une tumeur située au niveau de la gorge et irradiant vers l’oreille. Certains patients consultent par exemple, pour une douleur à l’oreille alors même qu’ils peuvent présenter une tumeur de la gorge », note le Dr Petelle.
L’apparition d’une masse (tuméfaction) que le patient ressent — ou sent à l’auto-palpation — depuis plusieurs semaines (par exemple, une boule dans le cou, sur la joue dans la bouche : sur le voile du palais, sur la langue…) doit aussi alerter. « Ce n’est pas normal de sentir une « boule » dure, douloureuse et unilatérale, présente depuis quelques semaines. Un ganglion (lié à une infection virale bénigne) disparaît au bout de 15 jours », ajoute le Dr Petelle. Par ailleurs, un aphte qui ne guérit pas doit inciter à consulter un médecin.
Attention toutefois : si tous ces symptômes doivent alerter le patient, ils ne sont pas forcément le signe qu’il souffre d’un cancer ORL. Ils peuvent témoigner d’autres maladies pouvant être bénignes et transitoires. Une tuméfaction par exemple (sensation de masse ou de « boule » au niveau du cou, de la gorge, de la langue ou ailleurs) n’est pas forcément le signe d’un cancer. « Une tuméfaction peut avoir de nombreuses causes bénignes. L’adénite est très fréquente. Il s’agit d’une inflammation aigüe d’un ganglion lymphatique, le plus souvent de cause infectieuse (infection virale ou bactérienne de la sphère ORL, abcès, furoncle). Les patients peuvent également présenter un kyste congénital de découverte tardive ou d’autres pathologies bénignes », rassure le Dr Petelle.
Lorsqu’un patient présente des symptômes pouvant évoquer un cancer ORL, une consultation chez un spécialiste est nécessaire. Comment peut-il préparer son premier rdv chez l’ORL de façon optimale ?
“Le patient doit s’y préparer pour optimiser le diagnostic et la prise en charge du cancer”
Le patient doit lister l’ensemble des symptômes qu’il ressent et tenter de se remémorer la date approximative de leur apparition. Tous ces éléments doivent être, de préférence, rédigés par écrit et présentés au médecin le jour de la consultation. En effet, face au médecin, le patient est parfois stressé : il risque alors d’oublier de lui indiquer correctement ses symptômes. Néanmoins, d’après le Dr Petelle, « c’est, avant tout, le médecin qui doit poser les bonnes questions à son patient pour orienter au mieux le diagnostic ».
Ses questions, le médecin ORL les pose dans le cadre d’un interrogatoire qui doit être le plus précis possible. « Nous demandons toujours au patient de nous parler de son mode de vie, de ses habitudes de consommation et de ses éventuelles addictions (tabac, alcool, stupéfiants…), de ses antécédents médicaux. Mais aussi, de nous indiquer son activité professionnelle. Une personne qui a travaillé dans un environnement toxique (silice, amiante) doit nous alerter. Par ailleurs, l’interrogatoire nous permet aussi de savoir si le patient souffre de dysphonie (modification de la voix) », affirme le Dr Petelle.
Après l’interrogatoire, le médecin ORL procède à un examen clinique complet via la palpation des aires cervicales, de la cavité buccale, via l’inspection du larynx à l’aide d’un petit miroir et surtout via la réalisation d’une nasofibroscopie : « après une petite anesthésie locale réalisée lors de la consultation au cabinet, nous introduisons une fibre optique fine (3,5 mm de diamètre) dans une des narines du patient jusque dans l’arrière de la gorge pour visualiser toute cette zone, notamment le naso-pharynx, le larynx et l’hypopharynx. Cet examen nous aide aussi à apprécier la mobilité des cordes vocales, à visualiser d’éventuels saignements de la sphère ORL. La nasofibroscopie est un examen très court qui dure de 1 à 2 minutes et qui nous permet de repérer des lésions potentiellement malignes », note le Dr Petelle.
Comment le patient accède-t-il à un médecin ORL ?
En théorie, pour respecter les exigences du parcours de soins, il faut d’abord consulter son médecin traitant. Celui-ci adresse le patient au médecin ORL si nécessaire. Mais en cas de symptômes inquiétants, nécessitant un rendez-vous en urgence, le patient peut directement consulter un médecin ORL. « La consultation peut s’effectuer dans le cadre hospitalier ou en cabinet libéral. Tous les médecins ORL sont capables de dépister un cancer. Et cela, qu’ils exercent en ville ou à l’hôpital. Mais les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous hospitalier sont parfois longs (plusieurs mois). Si les symptômes sont particulièrement inquiétants, mieux vaut consulter un médecin disponible en urgence », note le Pr Petelle.
Sur quels critères le médecin ORL établit-il son diagnostic ?
L’interrogatoire et l’examen clinique associé à la nasofibroscopie sont des étapes préliminaires indispensables. « Ensuite, tout dépend de l’endroit où est située la lésion. Si celle-ci est difficilement accessible : par exemple, près du larynx, sur les cordes vocales, nous devons réaliser une panendoscopie sous anesthésie générale. Cet examen s’effectue le plus souvent dans les centres hospitaliers spécialisés en cancérologie. Cette exploration a pour but d’approfondir sous anesthésie générale l’examen déjà réalisé en consultation. Lors de cette intervention, le médecin examine l’ensemble de la muqueuse et effectue des prélèvements (appelés biopsies) », indique le Dr Petelle. Si la lésion est facilement accessible, la biopsie peut etre réalisée en consultation, dans de cabinet de l’ORL. Quelle que soit la lésion, seule la biopsie permet d’effectuer le diagnostic de cancer. Aucun diagnostic n’est possible sans biopsie !
« Une fois que la biopsie est réalisée, nous procédons à un bilan d’extension. Autrement dit, nous prescrivons des examens complémentaires (tels que le PET-scan) pour vérifier qu’il n’y a pas de tumeur autre (poumon, foie…) que celle que nous venons de dépister. Nous devons également bien faire le tour de la lésion tumorale : c’est-à-dire, bien regarder sa taille et sa topographie par le biais d’une IRM, d’un scanner (avec produit de contraste injecté) ou d’une échographie », note le Dr Petelle.
Une fois le diagnostic effectué, comment le médecin ORL annonce-t-il la présence d’un cancer à son patient ?
L’annonce s’effectue lors d’une consultation dédiée lorsque nous avons les résultats de la biopsie. « Nous faisons en sorte que le patient soit accompagné d’une personne de son choix. De fait, souvent, sous l’effet du stress, le patient n’absorbe pas toujours toutes les informations que nous lui délivrons sur sa maladie et sa prise en charge. L’accompagnant peut lui livrer les informations qu’il n’aurait pas saisies lors de la consultation. Il est également important, dans la mesure du possible, que le patient ne rentre pas seul chez lui après une telle annonce. Par ailleurs, nous nous adaptons toujours à notre patient : à son âge, son degré de compréhension de la maladie, son niveau de stress… et essayons de le rassurer autant que possible », affirme le Dr Petelle.
Lors de cette consultation un soutien et un accompagnement psychologique (entretien avec une infirmière d’annonce, suivi par un psychologue) sont proposés au patient s’il le souhaite, afin de l’aider au mieux dans cette annonce difficile.
Le patient a le droit de demander un deuxième avis auprès d’une autre médecin ORL. Dans quels cas peut-on recommander cela ?
Un deuxième avis s’impose lorsque le patient a eu la sensation que son médecin n’a pas été à son écoute et qu’il reste inquiet. Par exemple, lorsque le médecin ORL n’a pas pris en compte tous ses symptômes ou qu’il n’a pas effectué d’examen clinique et/ou complémentaire. « En effet, si l’ORL n’a pas réalisé (ou prescrit) une biopsie — alors qu’une lésion est mise en évidence — mieux vaut consulter un autre médecin. Car une fois encore, aucun diagnostic de cancer ne peut se faire sans biopsie. On ne peut donc écarter ce risque sans avoir réalisé un tel examen. Par ailleurs, il n’est pas permis d’annoncer un cancer avant d’avoir les résultats de la biopsie, même si nous le suspectons fortement à l’issue de l’examen clinique », rappelle le Dr Petelle
Après l’annonce du diagnostic, le médecin ORL doit-il orienter son patient vers un centre spécialisé en cancérologie ?
L’ORL est tenu d’orienter son patient vers un centre dédié au cancer dans sa région. « Lorsque la biopsie est effectuée à l’hôpital, le patient reste souvent suivi dans le même établissement. Toutefois, il n’est pas obligé d’y être suivi : il peut opter pour le centre spécialisé en cancérologie de son choix, partout en France », assure le Dr Petelle.