Notre corps renferme des centaines de glandes salivaires, certaines mesurant plusieurs centimètres, d’autres microscopiques. Elles peuvent être le siège de tumeurs variées, qui se distinguent fortement des autres cancers ORL : par leurs facteurs de risque, par leur symptomatologie… Toutes les explications avec le Pr Alexandre Bozec, chirurgien-oncologue ORL au centre de lutte contre le cancer de Nice.
Où se situent les glandes salivaires ?
Comme leur nom l’indique, elles servent à produire notre précieuse salive, aux fonctions multiples : initier la digestion, favoriser la déglutition et l’élocution, humidifier les muqueuses de la bouche ou encore neutraliser l’acidité buccale (préservant ainsi les dents des caries). « Il en existe deux types : des glandes principales et des glandes dites accessoires », détaille le chef du département de Chirurgie oncologique cervico-faciale du centre Antoine-Lacassagne.
Les glandes salivaires principales synthétisent la plus grande partie de la salive, libérée dans la cavité buccale via des canaux. Chaque glande est en réalité double, composée de deux parties disposées de manière symétrique, à droite et à gauche du visage. On retrouve :
- les glandes parotides, les plus volumineuses (entre 4 et 5 cm de diamètre), situées dans les joues, un peu en avant et en dessous des oreilles. Leur particularité : elles se découpent en deux lobes, entre lesquels passe le nerf facial.
- les glandes sous-mandibulaires localisées sous l’angle de la mâchoire inférieure, soit sous le menton et la langue.
- les glandes sub-linguales, enfouies dans le plancher de la bouche, de chaque côté de la langue.
Les glandes salivaires accessoires, quant à elles, se comptent par centaines et ne mesurent en général que quelques millimètres (certaines sont même microscopiques). « Elles sont disséminées un peu partout dans la muqueuse buccale, principalement, mais également au niveau du pharynx et des voies respiratoires », complète le chirurgien ORL.
« Il en existe deux types : des glandes principales et des glandes dites accessoires »
Quels types de cancers peuvent affecter les glandes salivaires ?
« Contrairement au reste des voies aéro-digestives supérieures, où l’on retrouve une forme cancéreuse de très loin prédominante (les carcinomes épidermoïdes, NDLR), les tumeurs qui touchent les glandes salivaires peuvent prendre des formes multiples », explique le spécialiste. Se développant initialement à partir des mêmes types de cellules, les tumeurs connaissent une évolution tissulaire très variable. On parle de nombreux « sous-types histologiques ».
Le Pr Bozec liste les trois formes de cancers les plus fréquentes au niveau des glandes salivaires : les carcinomes mucoépidermoïdes, les carcinomes adénoïdes kystiques et les adénocarcinomes. Pour illustrer cette grande variété tissulaire, les carcinomes mucoépidermoïdes contiennent par exemple des cellules produisant de la mucine, une protéine qui entre dans la composition de mucus. D’autres formes de cancers existent, bien que plus rares : des carcinomes à cellules acineuses, des carcinomes des canaux salivaires…
« Cette diversité histologique complexifie grandement l’analyse et le diagnostic », reconnaît le Pr Alexandre Bozec. Il ajoute : « La notion de grade revêt également une importance majeure. C’est une particularité des cancers des glandes salivaires, distincte de la classification TNM classique des autres cancers (système international de classement des cancers selon leur extension anatomique, NDLR). On distingue des tumeurs de bas grade, en général peu évolutives et avec un pronostic assez favorable, des tumeurs de haut grade, plus agressives et de moins bon pronostic, ainsi qu’un grade intermédiaire. »
« Les tumeurs qui touchent les glandes salivaires peuvent prendre des formes multiples »
Les glandes salivaires peuvent aussi être le siège de nombreuses tumeurs bénignes, là encore avec des sous-types histologiques variés. Parmi les plus fréquents : les tumeurs de Warthin et les adénomes pléomorphes. Ces derniers présentant des risques de cancérisation, il est important de les diagnostiquer et de les soigner rapidement.
Existe-t-il des facteurs de risque ?
« Certains facteurs moléculaires et génétiques font que des patients sont certainement plus à risque que d’autres de développer un cancer au niveau d’une glande salivaire, mais aujourd’hui nous ne sommes pas encore arrivés à les identifier », répond le Pr Bozec.
Pour d’autres cancers ORL, le tabac, l’alcool ou encore des virus (HPV et Epstein-Barr) représentent des facteurs de risque avérés. Ce n’est pas le cas ici. Il se peut qu’ils jouent un rôle dans la survenue de tumeurs des glandes salivaires mais leur implication n’a pas été clairement démontrée.
Est-ce un cancer fréquent ?
Avec seulement 800 nouveaux cas diagnostiqués en France chaque année (soit 5 % des cancers de la tête et du cou), les cancers des glandes salivaires font partie des cancers ORL rares. Leur incidence reste stable (pas d’augmentation ni de diminution notable) et ils semblent toucher de la même manière les deux sexes. Les tumeurs bénignes, en revanche, affectent davantage les femmes.
Les parotides sont, de très loin, les glandes les plus touchées par des tumeurs. Même si près de 85 % d’entre elles sont bénignes, la fréquence très élevée des tumeurs à ce niveau en fait aussi le principal siège de cancers. Le ratio est différent pour les autres glandes :
- pour les sous-mandibulaires, environ 50 % des tumeurs sont cancéreuses ;
- pour les sub-linguales, ce taux monte à 90 % ;
- il varie entre 50 et 80 % pour les glandes salivaires accessoires.
Concernant le pronostic vital de ces tumeurs cancéreuses, il est très difficile d’émettre des généralités, en raison de leur trop grande diversité. Le grade est un indicateur essentiel : une tumeur de bas grade est de bien meilleur pronostic qu’une tumeur de haut grade.
Quels sont les symptômes des tumeurs des glandes salivaires ?
Tumeurs bénignes comme malignes se manifestent par un signe révélateur : une masse ou nodule palpable. La localisation de cette tuméfaction dépend de la glande salivaire touchée. Dans le cas d’une tumeur cancéreuse, la masse est plutôt dure et rapidement évolutive (elle grossit vite).
« Tumeurs bénignes comme malignes se manifestent par un signe révélateur : une masse ou nodule palpable »
« D’autres symptômes peuvent être associés au nodule, comme une douleur locale ou des signes d’envahissement des organes adjacents, notamment des paralysies nerveuses par atteinte du nerf facial », commente le chirurgien-oncologue. La paralysie est unilatérale et s’illustre par un visage « tombant » d’un côté, une difficulté voire une impossibilité à fermer un œil… L’atteinte du nerf facial survient essentiellement dans les tumeurs malignes des glandes parotides.
Les étapes du diagnostic
L’observation d’un nodule peut donner lieu dans un premier temps à la prescription d’une échographie, afin de déterminer si la masse est bien localisée dans une glande salivaire. Cette étape n’est pas indispensable, parfois une IRM est directement pratiquée. « Elle donne des éléments assez précis qui nous permettent souvent de caractériser la tumeur, c’est-à-dire de préciser si elle est bénigne ou maligne », développe le Pr Alexandre Bozec.
L’IRM est généralement suivie d’une cytoponction échoguidée, soit d’une aspiration de cellules au sein de la tumeur à l’aide d’une aiguille, le tout guidé par échographie. Là encore, l’analyse des cellules oriente un peu plus le diagnostic. La cytoponction est différente d’une biopsie : elle permet d’éviter d’abîmer le nerf facial pour les tumeurs de la parotide, mais aussi de disséminer des cellules cancéreuses.
« Le diagnostic est posé avec certitude uniquement au moment de l’exérèse chirurgicale, pratiquée pour la grande majorité des tumeurs salivaires bénignes et malignes, accompagnée d’un examen histologique complet », poursuit Alexandre Bozec. C’est seulement à ce moment-là que le sous-type histologique précis peut être déterminé.
D’autres examens d’imagerie, scanner thoracique voire TEP-scanner, complètent le diagnostic. Leur but : observer avec précision l’extension de la tumeur dans les structures environnantes ou sa dissémination à distance (comme dans les ganglions du cou par exemple).
« Le diagnostic est posé avec certitude uniquement au moment de l’exérèse chirurgicale »
Quels traitements face à un cancer des glandes salivaires ?
Dans l’immense majorité des cas, l’intervention chirurgicale destinée à réséquer la tumeur constitue à la fois la dernière étape du diagnostic et la première étape du traitement. « Il ne s’agit pas d’une chirurgie lourde, mais elle est très délicate en raison principalement de la nécessité de préserver au maximum le nerf facial », précise le chirurgien ORL. « Pour les tumeurs volumineuses, avec atteinte ganglionnaire ou de haut grade, on associe une radiothérapie en post-opératoire. »
Chimiothérapies et immunothérapies sont rares réservées en général aux tumeurs non-opérables ou métastatiques, dans le cadre d’essais cliniques le plus souvent.
Les traitements proposés à chaque patient sont toujours décidés au cas par cas, en fonction du type de tumeur, de sa localisation, des antécédents médicaux, de l’état de santé général… Un très grand nombre de facteurs sont pris en compte et analysés au moment d’une réunion de concertation pluridisciplinaire, à laquelle participent plusieurs professionnels de santé spécialisés dans la prise en charge des cancers.
Séquelles, qualité de vie : à quoi s’attendre après un cancer des glandes salivaires ?
« La complication la plus fréquente de ces cancers, liée à l’extension de la tumeur en elle-même ou à la chirurgie, est l’atteinte du nerf facial et la paralysie qu’elle engendre. Si le nerf est juste un peu lésé, il est possible de récupérer totalement ou partiellement. S’il est entièrement sectionné, la paralysie peut être définitive », décrit le chirurgien cervico-facial. Bonne nouvelle toutefois : il existe des techniques de reconstruction de ce nerf facial, « qui ont connu de très grands progrès ces dernières années et peuvent désormais conduire à une récupération en 6 à 9 mois ».
Les conséquences d’une paralysie faciale qu’il n’aurait pas été possible de corriger sont essentiellement esthétiques, avec une asymétrie visible du visage. Si la fermeture de la paupière est compromise, il existe un risque de sécheresse et de lésion de la cornée. Un suivi ophtalmologique s’impose pour prendre en charge au mieux ces troubles oculaires.
Enfin, les patients soumis à une radiothérapie peuvent développer des effets secondaires, les mêmes que pour tout cancer ORL traité par rayonnements ionisants : une sécheresse buccale due à une diminution de la quantité de salive produite, des difficultés à avaler, une sclérose des tissus avec rigidité au niveau de la peau… Ces effets secondaires peuvent être temporaires et s’améliorer en quelques mois après l’arrêt des rayons, ou définitifs.
« Les techniques de reconstruction du nerf facial ont connu de très grands progrès ces dernières années et peuvent désormais conduire à une récupération en 6 à 9 mois »
Quel suivi prévoir ?
Il dépend du stade, du grade histologique, du risque de récidive et du traitement réalisé.
Mais le suivi est d’abord rapproché sous la forme de consultations cliniques spécialisées (environ 4 fois par an les premières années) puis progressivement espacé. On réalise également un bilan d’imagerie 3 à 4 mois après la fin du traitement puis 1 fois par an.
Le but du suivi est de rechercher une récidive locorégionale ou à distance (métastases) et de prendre en soin les effets secondaires et séquelles du traitement.
Recherche et avancées thérapeutiques
« Les cancers des glandes salivaires font l’objet de beaucoup de recherche », affirme le Pr Alexandre Bozec, qui cite notamment un essai clinique en cours à l’échelle nationale. L’essai SANTAL teste l’association d’une chimiothérapie à la radiothérapie post-opératoire, pour déterminer si ce nouveau protocole pourrait se traduire par un meilleur contrôle de la maladie.
Autre domaine qui a connu de grandes avancées : la prise en soin des cancers au stade métastatique au moyen de thérapies ciblées. « Nous sommes vraiment ici dans le cadre d’une médecine personnalisée. Nous avons réussi à identifier plusieurs sous-types d’anomalies moléculaires qui peuvent être la cible de traitements », expose l’expert oncologue. « Par exemple, certaines tumeurs des glandes salivaires présentent une sur-exposition d’un récepteur nommé HER2, le même que l’on retrouve dans certains cancers du sein. » Cette thérapie ciblée avait été révélée par un premier essai clinique dans le cadre de cancers des glandes salivaires, présenté au congrès international de cancérologie (ASCO) en 2019, avec 90 % de patients répondants positivement au traitement.
Propos recueillis par Violaine Badie