Et après ?

INTERVIEW EXPERT

Le Doc­teur Stéphane Temam, médecin ORL et chirurgien cer­vi­co-facial, chef du ser­vice de can­cérolo­gie cer­vi­co-faciale de Gus­tave Roussy répond à toutes les ques­tions que vous vous posez sur les con­séquences de la maxillectomie.

Quelles sont les conséquences fonctionnelles de la maxillectomie, notamment celles liées à la bouche ?

Quand la max­il­lec­tomie emporte une par­tie du palais et des dents, le fait de per­dre des dents et de créer une cav­ité entre la bouche et l’intérieur du nez a notam­ment des con­séquences sur la réha­bil­i­ta­tion dentaire.

Le plus sou­vent, nous allons donc cor­riger cette perte de palais et de dents :

  • soit par une pro­thèse amovi­ble fixée aux dents restantes, qui se retire le soir ;
  • soit par recon­struc­tion du palais avec des lam­beaux pou­vant com­porter de l’os pour recréer l’étanchéité entre la bouche et les cav­ités nasales et sinusi­ennes. Dans cet os nous allons essay­er de met­tre en place des implants pour avoir un appareil den­taire fixe. Si la pose d’implants est impos­si­ble, nous met­trons un appareil den­taire amovible.

Qu’est-ce qu’un trismus ? Comment l’éviter ?

Un tris­mus est une lim­i­ta­tion de l’ouverture buc­cale, un des risques de ce type d’interventions. Il est lié au fait qu’à l’arrière passent les mus­cles de la mas­ti­ca­tion, par­tant de la mâchoire vers le crâne. Durant l’opération, le chirurgien va au con­tact de ces mus­cles, lesquels peu­vent ensuite se con­tracter et faire en sorte que la per­son­ne n’arrive plus à ouvrir la bouche. Après la chirurgie, il y a le plus sou­vent de la radio­thérapie, qui majore la fibrose et cette rétrac­tion des mus­cles de la mastication.

Nous avons appris à lim­iter ce tris­mus en enl­e­vant, lors de la max­il­lec­tomie, une par­tie des mus­cles de la mâchoire. Nous sommes, en fait, « suréquipés » en mus­cles de la mas­ti­ca­tion et pou­vons très bien nous pass­er d’une par­tie d’entre eux. 

Lorsqu’il survient quand même, il y a des exer­ci­ces d’ouverture buc­cale à faire. Il peut aus­si y avoir des inter­ven­tions chirur­gi­cales sec­ondaires. Mal­gré cela, les con­séquences à long terme sont sou­vent importantes.

Quelles sont les conséquences de cette intervention sur la voix ?

Le max­il­laire et les cav­ités naso-sinusi­ennes dans leur glob­al­ité ser­vent de caisse de réso­nance pour la voix. Lorsque l’on opère, soit on crée une grande cav­ité, soit on réduit la taille de la cav­ité nasale, ce qui a des con­séquences sur cette caisse de réso­nance. Cela peut don­ner une voix comme quand on est enrhumé, on par­le de « voix nason­née ». Les patients s’y habituent, c’est une voix rel­a­tive­ment forte en inten­sité, mais mod­i­fiée dans son timbre.

La maxillectomie peut-elle également avoir des incidences sur l’œil ?

Lorsque la max­il­lec­tomie vient au con­tact de l’orbite – et donc de l’œil –, il y a effec­tive­ment des con­séquences pos­si­bles sur le fonc­tion­nement de l’œil, soit au niveau du nerf optique (qui fait fonc­tion­ner la vision), soit au niveau des mus­cles qui font bouger l’œil. Il peut ain­si y avoir une diminu­tion de la vision ou une diminu­tion des mou­ve­ments de l’œil à l’origine d’une vision dou­ble. La radio­thérapie postopéra­toire peut égale­ment major­er ces effets. Il y a donc des mesures cor­rec­tri­ces à pren­dre pour lim­iter ces problèmes.

Il peut aus­si y avoir des con­séquences sur les voies lacry­males, qui passent au niveau du coin de l’œil, en dedans, près du nez. Les voies lacry­males sont le plus sou­vent abîmées, coupées, voire enlevées lors de la chirurgie max­il­laire. Les larmes s’évacuent donc mal dans le nez et jouent moins bien leur rôle pro­tecteur de l’œil. Il peut y avoir égale­ment un écoule­ment de larmes sur le vis­age (lar­moiement) ou une accu­mu­la­tion devant l’œil (petit voile gênant la vision).

L’oreille peut-elle aussi être touchée ?

L’oreille peut être abîmée lorsque la tumeur est très en arrière du max­il­laire, sur la par­tie postérieure et proche de la trompe d’Eustache, un canal qui fait com­mu­ni­quer l’oreille et l’arrière du nez (le cavum ou nasophar­ynx) et qui per­met d’équilibrer les pressions. 

Lorsque l’on touche à la trompe d’Eustache par la chirurgie et/ou la radio­thérapie, il peut y avoir des dys­fonc­tion­nements de l’oreille, à l’origine d’une diminu­tion de l’audition pou­vant néces­siter égale­ment des plas­ties sec­ondaires, des cor­rec­tions de l’oreille, la mise en place d’un aéra­teur, pour lim­iter les conséquences.

Les sinus font également l’objet de séquelles. De quelle façon cela se traduit-il ?

La chirurgie de max­il­lec­tomie touche effec­tive­ment les sinus, qui ont un rôle d’humidification et de purifi­ca­tion de l’air inspiré. Lorsque l’on opère et que l’on réalise une radio­thérapie dans les suites, on perd ces fonc­tions-là. J’explique donc aux patients qu’au décours de ces traite­ments, ils vont avoir une rhi­nite croû­teuse, plus ou moins mar­quée et inval­i­dante, mais très fréquente, néces­si­tant un lavage manuel du nez avec du sérum phys­i­ologique pour lim­iter la for­ma­tion des croûtes dans les narines.

L’odorat peut aus­si être impacté par la chirurgie et la radio­thérapie. Il va se rétablir plus ou moins après les dif­férents traite­ments. Il y a aus­si le mal odor­at. Les croûtes qui se for­ment à l’intérieur du nez peu­vent être mal­odor­antes et gênantes pour le patient et l’entourage.

Sur le plan esthétique, qu’en est-il ?

Effec­tive­ment, la chirurgie est réal­isée au niveau du vis­age. Il n’y a pas for­cé­ment de cica­tri­ces sur celui-ci, car elles peu­vent être unique­ment à l’intérieur de la bouche. Mais des cica­tri­ces peu­vent quand même être vis­i­bles. Nous essayons de les cacher autour des plis du nez et de la lèvre.

Il y a surtout une mod­i­fi­ca­tion de l’architecture de la char­p­ente qui donne la symétrie et la pro­jec­tion du vis­age. Comme ces max­il­lec­tomies sont réal­isées le plus sou­vent d’un seul côté, il peut y avoir des mod­i­fi­ca­tions par rap­port à l’autre côté. 

Elles peu­vent concerner :

  • la pro­fondeur de l’œil, avec un œil un petit peu « rentré » ;
  • la pro­jec­tion de la pom­mette et de la joue.

Ce sont des choses qui peu­vent être cor­rigées secondairement.

La prise en charge de toutes ces séquelles est importante. Quelle rééducation est nécessaire après une maxillectomie ?

Pour lim­iter et cor­riger les séquelles, une prise en charge pluridis­ci­plinaire est néces­saire. Elle peut impli­quer les kinésithérapeutes, les ortho­phon­istes, les den­tistes, les pro­thé­sistes den­taires ou faci­aux, pour cor­riger au max­i­mum toutes les anom­alies et les con­séquences observées. Cela peut être un long par­cours, sur plusieurs années, néces­si­tant par­fois plusieurs inter­ven­tions chirur­gi­cales de plas­tie secondaire.

Toutes les séquelles énumérées ne sont pas présentes chez tout le monde. Elles sont plus ou moins exis­tantes et mar­quées d’une per­son­ne à l’autre. Les pris­es en charge sont donc adap­tées aux séquelles observées.

Un mot sur les récidives ?

La prise en charge du can­cer ou des tumeurs bénignes agres­sives qui néces­si­tent une max­il­lec­tomie inclut le plus sou­vent une radio­thérapie. On ne peut pas affirmer à 100 % aux patients qu’elle va amen­er à la guéri­son. Une sur­veil­lance au décours est donc néces­saire, en par­al­lèle de la prise en charge des séquelles, pour s’assurer qu’il n’y a pas de récidive locale du cancer.

Pour lim­iter le risque de récidive, il faut réalis­er des chirur­gies exten­sives, adap­tées à la mal­adie et au patient, le plus sou­vent par des équipes expéri­men­tées pour une mal­adie rare.

Écouter le pod­cast sur les con­séquences de la max­il­lec­tomie du Doc­teur Stéphane Temam

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