C’est un effet secondaire de la radiothérapie encore trop méconnu. La sténose des vaisseaux du cou, chez les patients irradiés pour soigner un cancer ORL, peut avoir des conséquences graves si elle n’est pas correctement prise en charge, en particulier quand l’artère carotide est touchée. À quoi sont dues les sténoses vasculaires ? Quelle prévention et quel suivi après une radiothérapie ? L’éclairage du Pr Pierre Blanchard, oncologue-radiothérapeute à Gustave Roussy.

Qu’est-ce qu’une sténose carotidienne ?
« Il s’agit d’un rétrécissement de l’artère carotide, qui part de l’aorte, monte dans le cou et se divise en deux branches : la carotide externe et la carotide interne. La carotide externe est principalement à destination de la face et du cou. La carotide interne s’associe à d’autres artères en arrière du cou pour assurer la vascularisation cérébrale », détaille le Pr Pierre Blanchard. Nous possédons deux carotides internes et deux carotides externes, situées de manière symétrique de chaque côté du cou.
Dans le cas de patients traités pour un cancer de la tête et du cou, la radiothérapie est un facteur favorisant la survenue de sténoses vasculaires : « Tous les vaisseaux peuvent être impactés par les rayons. Mais pour de petites artères, il peut exister des voies de suppléances. C’est-à-dire que si l’une est bouchée, d’autres peuvent prendre le relais. C’est moins le cas avec l’artère carotide. Sa sténose a donc des conséquences potentiellement plus graves, en particulier quand c’est la carotide interne qui est touchée », poursuit l’oncologue-radiothérapeute.
« Tous les vaisseaux peuvent être impactés par les rayons. La sténose de l’artère carotide interne a des conséquences potentiellement plus graves. »

Comment la radiothérapie peut-elle causer une sténose de l’artère carotide ?
« Les rayons provoquent des effets secondaires aigus, avec une importante inflammation, mais également des effets secondaires tardifs voire très tardifs. Ils apparaissent 5 à 10 après l’arrêt des traitements, même parfois plus tard », explique le spécialiste. « La radiothérapie augmente le risque de maladie vasculaire, causant une artériopathie un peu similaire à celle que l’on retrouve chez des patients hypertendus ou avec du cholestérol. »
Dans un article publié en 2020 dans la revue Biomedicine & Pharmacotherapy*, des experts développent les mécanismes en jeu dans la survenue de sténose carotidienne post-radiothérapie. Ils évoquent :
- une expression accrue de marqueurs pro-inflammatoires, ajoutant que la réponse inflammatoire persiste pendant des années ;
- la formation d’athérosclérose carotidienne (dépôts de substances graisseuses dans la paroi vasculaire) ;
- la fibrose des parois artérielles.
L’association de ces facteurs contribue à rigidifier les vaisseaux, qui perdent de leur élasticité, à réduire leur diamètre et ainsi à perturber le flux sanguin.
« Les rayons provoquent des effets secondaires aigus, mais également des effets secondaires tardifs voire très tardifs qui apparaissent 5 à 10 après l’arrêt des traitements »
Quel est le risque de sténose carotidienne pour les patients soignés par radiothérapie au niveau ORL ?
« On considère qu’il est multiplié par deux, en comparaison avec la population générale », répond le Pr Blanchard. Il nuance toutefois : « Ce chiffre est à prendre avec des pincettes, car beaucoup de patients soignés pour un cancer de la tête et du cou présentent déjà des facteurs de risque avérés de maladies cardiovasculaires, comme la consommation de tabac et d’alcool, qui, eux-mêmes, augmentent le risque de développer une sténose. »
Quels sont les symptômes d’une sténose de la carotide ?
Les patients ne présentent aucun symptôme, hormis quand cette sténose entraîne des complications. Parmi les complications possibles, la principale est le risque d’accident vasculaire cérébral.
Peut-on prévenir une sténose vasculaire post-radiothérapie ?
Il est impossible de prédire quels seront les effets tardifs des rayons. En revanche, pour réduire le risque de développer une sténose carotidienne, les mesures préventives cardiovasculaires s’appliquent :
- arrêt du tabac ;
- surveillance de l’hypertension et du cholestérol (avec prise en charge médicale si nécessaire) ;
- régime alimentaire équilibré ;
- activité physique suffisante ;
- consommation limitée d’alcool.
Quelle surveillance après une radiothérapie au niveau de la sphère ORL ?
« Il n’existe pas de consensus à ce sujet », reconnaît le Pr Blanchard. « Pour ma part, je préconise un Doppler des artères carotides 5–10 ans après la fin des traitements, à renouveler ensuite tous les 2 ou 3 ans. La fréquence du suivi doit aussi être adaptée en fonction de l’ensemble des facteurs de risque cardiovasculaires. »
Les patients soignés par radiothérapie pour un cancer de la tête et du cou et considérés comme guéris ne sont généralement plus suivis dans des centres experts en cancérologie tant d’années après leurs traitements. Il est alors conseillé de s’adresser à son médecin traitant pour évoquer cette surveillance vasculaire, en veillant à mentionner le fait d’avoir été irradié. Le médecin généraliste sera à même de prescrire le premier examen d’imagerie et d’adresser si besoin à un spécialiste pour un suivi personnalisé.
« Il est conseillé de s’adresser à son médecin traitant pour évoquer cette surveillance vasculaire, en veillant à mentionner le fait d’avoir été irradié »
On m’a diagnostiqué une sténose de la carotide, quel est le traitement ?
Un traitement n’est pas toujours nécessaire. Parfois, selon l’ampleur de la sténose et son évolution, une simple surveillance suffit. Dès qu’une sténose de l’artère carotide est détectée, vous devrez systématiquement être suivi par un spécialiste (cardiologue, chirurgien vasculaire ou angiologue), qui déterminera la meilleure marche à suivre selon votre cas.
Quand un traitement s’avère nécessaire, il peut aller de simples médicaments anti-hypertenseurs, à la pose d’un stent (sorte de ressort destiné à élargir le diamètre de l’artère), voire au pontage. Les différentes interventions possibles pour soigner une sténose carotidienne sont réalisées soit par un chirurgien vasculaire, soit par à un radiologue interventionnel.
Propos recueillis par Violaine Badie
* Zheng Z, Zhao Q, Wei J, Wang B, Wang H, Meng L, Xin Y, Jiang X. Medical prevention and treatment of radiation-induced carotid injury. Biomed Pharmacother. 2020 Nov;131:110664. doi: 10.1016/j.biopha.2020.110664. Epub 2020 Aug 28. PMID: 32861067.