La radiothérapie pour les cancers tête et cou
Souvent proposée, la radiothérapie est l’un des traitements essentiels du cancer de la tête et du cou. Jennifer Kammerer, interne en radiothérapie, nous dit tout de cette importante étape thérapeutique.
Qu’est-ce que la radiothérapie ?
La radiothérapie consiste à traiter des tumeurs avec des particules que l’on appelle photons ; ce sont des ondes similaires à la lumière, mais accélérées à haute énergie. Lorsque ces photons arrivent sur la tumeur, ils cassent l’ADN et permettent de détruire celle-ci.
Avant de démarrer des séances de radiothérapie, il y a une préparation indispensable. En quoi consiste-t-elle ?
La préparation consiste à réaliser plusieurs étapes que le patient ne voit pas, mais qui sont cruciales, pour nous radiothérapeutes.
Cela commence par un scanner préalable, dit « de mise en traitement », effectué dans la position dans laquelle le patient sera traité. Pour faire ce scanner, on fabrique un masque complètement adapté à la morphologie du patient, que l’on fixe sur la table de scanner.
Ensuite, le radiothérapeute décide des endroits qu’il veut irradier, de la dose à laquelle il veut irradier, et des endroits à épargner, afin de diminuer les effets indésirables de la radiothérapie.
Puis, le physicien, qui travaille avec le radiothérapeute, décide de la manière la plus appropriée d’envoyer les rayons vers la tumeur.
On peut utiliser plusieurs positions pour installer le patient. En règle générale, pour les tumeurs de la tête et du cou, le patient est allongé sur le dos, les bras le long du corps. Cette étape est personnalisée en fonction de la localisation de la tumeur à traiter : par exemple, pour les tumeurs localisées sur la langue, on utilise régulièrement une sucette, que l’on met dans la bouche, afin de moins irradier le palais.
Comment se déroule une séance de radiothérapie ?
On installe le patient sur la table de radiothérapie et on lui met le masque, que l’on fixe sur la table exactement comme cela a été fait durant le scanner de mise en traitement.
L’étape suivante s’appelle le repositionnement. Il s’agit de repositionner le patient et de bien vérifier que les contours du patient et ceux de la tumeur correspondent bien aux prévisions que nous avons faites lors de la préparation. Si la tumeur a significativement diminué de taille, il faut recommencer une planification de traitement. La seconde chose à bien avoir en tête, c’est que la morphologie du patient peut changer au cours du traitement. Des modifications de poids assez importantes (on parle de plus ou moins 5 kilos) peuvent induire de gros changements au niveau de la face et du cou et engendrer la nécessité de reprogrammer le traitement.
Puis, après avoir validé le plan de traitement (cela est fait tous les jours, pour chaque séance), la délivrance du traitement par rayons dure 2 ou 3 minutes. Le patient ne sent absolument rien. Il n’y a pas de sensation bizarre particulière, et ce n’est pas douloureux.
Pourquoi ce traitement est-il privilégié, et même indispensable, dans la majorité des cancers de la tête et du cou ?
Pour comprendre cela, je pense qu’il est nécessaire de bien discerner deux situations : lorsque le traitement par radiothérapie est conduit de manière seule (c’est-à-dire non associé à de la chirurgie), ce que l’on appelle une « radiothérapie exclusive », et lorsqu’il est pratiqué après la chirurgie, en condition post-opératoire.
Dans certaines indications, nous nous sommes rendu compte que nous n’avions pas nécessairement besoin d’une chirurgie pour avoir les mêmes résultats cancérologiques, et que nous pouvions conserver l’organe (l’amygdale, le larynx…). La radiothérapie seule permet alors d’éradiquer complètement la tumeur. C’est la radiothérapie exclusive. Mais elle est toutefois souvent associée à une chimiothérapie.
Pour d’autres localisations, on pratique la radiothérapie après la chirurgie, dans le cas où l’on se rend compte de la présence de certains critères d’agressivité de la tumeur. Il peut s’agir, notamment, de ganglions envahis. Un autre cas fréquent est la situation où le chirurgien n’a pas pu enlever suffisamment de tissu sain autour de la tumeur (on parle de marges), du fait de complexités anatomiques. Les risques de récidive étant plus importants, la radiothérapie a pour rôle de détruire les cellules tumorales que l’on ne voit pas, mais qui peuvent se situer dans la proximité immédiate de la zone où se trouvait la tumeur.
La durée du traitement par radiothérapie est-elle variable selon les types de cancers, leur localisation, leur évolution, leur traitement ou non par chirurgie ?
Dans la majorité des cas, une radiothérapie postopératoire dure 30 à 33 séances, soit environ 6 semaines. Une radiothérapie exclusive (avec ou sans chimiothérapie) dure 7 semaines. Il est important que le traitement s’étale dans le temps avec un grand nombre de séances, en délivrant de petites doses à chaque séance, car c’est ce qui permet de limiter les effets indésirables tardifs (qui peuvent survenir des mois après la radiothérapie).
Quel est le rythme des séances de radiothérapie ?
Les séances ont lieu une fois par jour (deux fois par jour, dans de très rares protocoles), tous les jours de la semaine, du lundi au vendredi. Le traitement est ambulatoire, c’est-à-dire qu’il n’y a pas besoin d’être hospitalisé pour l’effectuer.
Quels sont les effets secondaires précoces et tardifs habituels de la radiothérapie pour les cancers de la tête et du cou ?
Les effets secondaires aigus immédiats sont dominés par des sensations douloureuses, que ce soit au niveau de la muqueuse de la bouche ou de la peau. Cela se traduit par une radiodermite ou une mucite liée à l’irritation de la peau et des muqueuses provoquée par les rayons. Malheureusement, aujourd’hui, quand nous pratiquons un traitement par radiothérapie, il est impossible de cibler uniquement la tumeur sans irradier les organes situés à proximité. La radiodermite et la mucite peuvent engendrer des problèmes de perte de poids et des modifications sur la planification du traitement. En règle générale, des réévaluations sont effectuées toutes les semaines par des consultations auprès du radiothérapeute. La douleur n’est pas inéluctable, il faut absolument en parler lors de la consultation médicale. Des traitements efficaces existent pour soulager la peau et les muqueuses et limiter les sensations douloureuses.
Les effets secondaires tardifs peuvent se traduire par une fragilité osseuse au niveau de la mâchoire (qui a été partiellement irradiée), des modifications au niveau du goût dans la bouche, des sensations de sécheresse buccale, ou encore des modifications de la voix.
Ces effets indésirables tardifs dépendent de la zone irradiée. Il est difficile d’évaluer la nature et le degré d’intensité de ces effets tardifs, qui dépend de l’irradiation effectuée et de la localisation initiale de la tumeur. La prise en charge de la plupart de ces effets indésirables tardifs consiste tout d’abord à agir de façon préventive, car une fois qu’ils sont installés, il devient compliqué de les traiter. C’est aussi le travail des radiothérapeutes en amont : faire en sorte que ces effets surviennent avec la fréquence la plus faible possible. Les modalités sont donc surtout dans la prévention et l’adaptation du traitement.
Par exemple, une fragilité osseuse déjà installée au niveau de la mâchoire peut induire beaucoup de soucis (douleurs, etc.) pouvant être définitifs. Avant le traitement par radiothérapie, il faut donc effectuer une remise en état des dents et s’assurer de l’absence de carie ou encore de pulpite. Ces troubles dentaires pourraient compliquer le traitement et favoriser l’apparition d’effets secondaires tardifs.
Quelles sont les études en cours susceptibles de changer les modalités de la radiothérapie actuellement proposée ?
La protonthérapie est actuellement en cours d’évaluation, pour améliorer le traitement des tumeurs de la tête et du cou. La protonthérapie n’utilise pas des photons, mais cette fois-ci des protons : elle pourrait être plus efficace dans le traitement des tumeurs et pourrait permettre de diminuer les effets secondaires tardifs. Pour le moment, le bénéfice n’est pas prouvé pour les cancers de la tête et du cou, et il n’y a que trois centres en France qui utilisent la protonthérapie pour des localisations bien spécifiques.
Que pouvez-nous nous dire des essais cliniques actuels permettant d’améliorer et d’optimiser les protocoles d’irradiation déjà existants ?
D’autres études sont en effet menées, afin d’améliorer les techniques de radiothérapie que l’on effectue déjà de manière courante, en ajoutant des molécules qui la rendrait plus active. L’immunothérapie, administrée par injection dans les veines, pourrait augmenter l’efficacité de la radiothérapie. Il existe aujourd’hui aussi des molécules, que l’on peut directement injecter dans la tumeur. Il s’agit de nanoparticules, qui auraient l’avantage potentiel de sensibiliser beaucoup plus la tumeur aux rayons que les tissus qui sont situés autour. L’avantage majeur serait de diminuer la toxicité tardive.