Troubles oculaires

Comment gérer les séquelles au quotidien : Protéger vos yeux !

Organes par­ti­c­ulière­ment frag­iles, les yeux peu­vent souf­frir de dif­férents effets sec­ondaires dus aux traite­ments pour soign­er un can­cer ORL Tête et cou. Lesquels ? Quels sont les moyens de préven­tion et les traite­ments pos­si­bles ? Les répons­es des Drs Isabelle Hen­ry d’Abbadie, oph­tal­mol­o­giste attachée à l’Institut Gus­tave Roussy, et Mhamed Louk­il, oph­tal­mol­o­giste à l’hôpital Bicêtre.

yeux

Chirurgie, radio­thérapie, chimio­thérapie… Les effets sec­ondaires au niveau ocu­laire sont fréquents. La plu­part restent bénins et tran­si­toires, mais cer­tains peu­vent évoluer en com­pli­ca­tions plus graves met­tant en jeu le pronos­tic visuel. Un suivi oph­tal­mologique per­met de prévenir et de pren­dre en charge ses séquelles éventuelles.

Comment les traitements anti-cancer affectent-ils les yeux ?

Dans le cas d’un can­cer ORL Tête et cou, la tumeur en elle-même con­stitue par­fois un dan­ger pour la san­té des yeux : « La taille de la tumeur, l’inflammation et l’œdème asso­ciés sont sus­cep­ti­bles de com­primer les organes de voisi­nage comme les tis­sus du globe ocu­laire », explique Dr Isabelle Hen­ry d’Abbadie, oph­tal­mol­o­giste et con­sul­tante à l’institut Gus­tave Roussy. Les méth­odes thérapeu­tiques choisies pour soign­er le can­cer peu­vent aus­si affecter les yeux — soit directe­ment les tis­sus de l’œil, soit les nerfs alentours -.

Par­mi les nerfs con­cernés, Dr Henry‑d’Abbadie liste :

  • le nerf optique (nerf crânien n°II) , dont l’atteinte se man­i­feste par une baisse de l’acuité visuelle ;
  • les nerfs ocu­lo­mo­teurs III, IV et V, con­trôlant les mus­cles respon­s­ables de la mobil­ité de l’œil : en cas d’atteinte, l’œil peut avoir un aspect « tombant », la vision peut se dédoubler ;
  • le nerf V, lié à la sen­si­bil­ité ocu­laire : s’il est lésé, le patient peut ressen­tir des douleurs ou au con­traire per­dre la sensibilité ;
  • le nerf VII : son atteinte se traduit notam­ment par une paralysie faciale et des dif­fi­cultés, voire une impos­si­bil­ité, à fer­mer l’œil.

La résec­tion de la tumeur, selon sa local­i­sa­tion, sa taille et l’ampleur de la chirurgie, peut touch­er ces dif­férents nerfs. C’est aus­si le cas de la radio­thérapie et la chimio­thérapie, par­fois neu­ro­tox­iques. Rayons et médica­ments peu­vent présen­ter un risque de tox­i­c­ité directe­ment pour le globe ocu­laire, en par­ti­c­uli­er pour la cornée, le cristallin et plus rarement pour la rétine.

Schéma anatomique de l'oeil faisant apparaitre les différents constituants. Notamment l'iris, la pupille, la cornée, le cristallin, la rétine et le nerf optique.

Quels sont les effets secondaires oculaires possibles ?

Les effets sec­ondaires cornéens

Ils sont assez fréquents et leur degré de grav­ité dépend grande­ment de la rapid­ité de leur prise en charge : 

  • la sécher­esse ocu­laire, par atteinte des glan­des lacry­males, asso­ciée à la perte des cils et sour­cils pro­tecteurs suite à une chimio­thérapie ou à une irra­di­a­tion, ou sec­ondaire à une chirurgie. Cet effet indésir­able, qua­si-sys­té­ma­tique, se man­i­feste par une sen­sa­tion de brûlure ou de corps étranger (type sable dans les yeux), une rougeur. Bien que sou­vent bénigne, la sécher­esse ocu­laire est con­traig­nante et mérite ample­ment de s’y arrêter pour rechercher des solu­tions adaptées.
  • la kératite ou atteinte du tis­su de revête­ment (épithéli­um) de la cornée. Elle est soit la con­séquence d’une sécher­esse ocu­laire (avec les caus­es pos­si­bles listées ci-dessus), soit une affec­tion pro­pre liée à la tox­i­c­ité des traite­ments. Les signes à con­naître : une baisse de l’acuité visuelle, des douleurs, un œil rouge, une sen­si­bil­ité accrue à la lumière (pho­to­sen­si­bil­ité).
  • la kératopathie neu­rotrophique est une forme spé­ci­fique de kératite engen­drée par une perte de la sen­si­bil­ité cornéenne. « Suite à une lésion des nerfs sen­si­tifs, le patient perd la sen­si­bil­ité au niveau de son œil, ne ressent plus les gênes éventuelles engen­drées par la sécher­esse, ne cligne pas assez des paupières… » décrit le Dr Mhamed Louk­il, chef de clin­ique assis­tant au ser­vice d’ophtalmologie de l’hôpital Krem­lin-Bicêtre. On observe au stade pré­coce une sim­ple rougeur. En rai­son de l’absence de douleur, la kératopathie neu­rotrophique amène rarement les patients à con­sul­ter d’eux-mêmes. Son diag­nos­tic est sou­vent for­tu­it, lors d’un exa­m­en de con­trôle. Si la kératite n’est pas soignée, elle peut men­er à une ulcéra­tion cornéenne, fort heureuse­ment très rare. Elle peut aller jusqu’à une infec­tion, une per­fo­ra­tion ou une nécrose de la cornée.

Les effets sec­ondaires rétiniens

Cer­tains de ces effets sec­ondaires sont con­comi­tants aux traite­ments, alors que d’autres se déclar­ent tardivement.

  • le décolle­ment séreux rétinien est une con­séquence pos­si­ble de l’immunothérapie. « Du liq­uide s’accumule entre les dif­férentes couch­es de la rétine. Ce décolle­ment est réversible, soit spon­tané­ment, soit en arrê­tant momen­tané­ment le traite­ment ou en mod­i­fi­ant les dos­es », com­plète le Dr d’Abbadie.
  • la rétinopathie radique : comme son nom l’indique, elle est provo­quée par les rayons ion­isants. Le Dr Mhamed Louk­il développe : « Il s’agit d’un effet sec­ondaire tardif, qui peut se dévelop­per quelques mois à quelques années après la fin de la radio­thérapie. On observe une ischémie, un manque de vas­cu­lar­i­sa­tion au niveau de la rétine, qui ne donne pas vrai­ment de symp­tômes à un stade pré­coce. Non soignée, cette rétinopathie peut provo­quer des hémor­ra­gies ou un décolle­ment de rétine. » Fort heureuse­ment, cette forme de rétinopathie est dev­enue très rare de par les avancées tech­nologiques de l’irradiation visant à pro­téger les tis­sus sains au voisi­nage de la tumeur. 

Les autres effets secondaires

Une baisse de l’acuité visuelle est par­fois notée suite à des traite­ments des­tinés à soign­er un can­cer tête et cou, par exem­ple lors d’une atteinte du nerf optique par tox­i­c­ité de cer­taines chimio­thérapies. Cet effet sec­ondaire reste très rare.

L’apparition d’une cataracte, plusieurs années après la fin des traite­ments, est égale­ment un effet sec­ondaire très fréquent. L’opacification du cristallin (lentille trans­par­ente dans laque­lle con­ver­gent les rayons lumineux qui entrent dans l’œil) engen­dre une baisse pro­gres­sive de la vision. Le traite­ment est le même que pour les autres caus­es de cataracte : une inter­ven­tion chirur­gi­cale pour retir­er le cristallin et pos­er un implant de remplacement.

L’immunité réduite par les traite­ments par chimio­thérapie génère un risque plus élevé de dévelop­per des infec­tions de l’œil (type con­jonc­tivite). L’hygiène, en par­ti­c­uli­er des mains, joue un rôle pri­mor­dial pour éviter ces conséquences.

« Si un traite­ment n’a pas fonc­tion­né, il ne faut pas se décourager car nous en avons tou­jours d’autres à proposer. »

Dr Mhamed Loukil

Quels sont les traitements ?

Les spé­cial­istes des soins oph­tal­mologiques dis­posent d’un pan­el très large d’options thérapeu­tiques pour faire face aux effets sec­ondaires de traite­ments anti-can­céreux et pour éviter leurs complications.

Pour les atteintes de la cornée type sécher­esse ou kératite, les soins vont de sim­ples larmes arti­fi­cielles à des pom­mades ou col­lyres à base de vit­a­mine A (anti-sécher­esse sévère et cica­trisant), des épais­sis­seurs de larmes, des lentilles sclérales thérapeu­tiques qui reti­en­nent l’hydratation et lubri­fient la sur­face de l’œil, de la cor­ti­sone, de la cyclosporine« Dans le cas d’atteintes plus sévères, avec une ulcéra­tion, l’œil peut être pro­tégé tran­si­toire­ment en cou­sant la paupière, c’est ce que l’on appelle une tar­sor­ra­phie. Il est aus­si pos­si­ble de procéder à la pose de bou­chons lacry­maux, à des greffes de cornée, des greffes de mem­brane amni­o­tique… », détaille Dr Isabelle Hen­ry d’Abbadie. Une rétinopathie se soigne aus­si, par exem­ple par laser ou injec­tion d’inhibiteurs de l’angiogénèse.

« Il est essen­tiel de dire aux patients qu’il existe de très nom­breuses solu­tions. Que si un traite­ment n’a pas fonc­tion­né pour eux, il ne faut pas se décourager car nous en avons tou­jours d’autres à leur pro­pos­er », con­seille le Dr Mhamed Loukil.

Comme pour tout traite­ment, seul un pro­fes­sion­nel de san­té con­nais­sant par­faite­ment votre sit­u­a­tion et vos antécé­dents médi­caux est en mesure de vous con­seiller sur les meilleurs traite­ments, adap­tés à votre cas particulier.

Préven­tion et suivi, les meilleures armes pour pro­téger vos yeux

« Depuis plusieurs années, les traite­ments con­tre les can­cers tête et cou ont béné­fi­cié de pro­grès con­sid­érables, avec pour con­séquence des effets sec­ondaires de mieux en mieux maîtrisés. Par exem­ple, la chirurgie devient beau­coup moins muti­lante, la radio­thérapie est beau­coup plus ciblée et préserve mieux les tis­sus sains », expose l’experte Dr Hen­ry d’Abbadie.  

La con­sul­tante au cen­tre anti-can­cer Gus­tave Roussy de Ville­juif insiste égale­ment sur l’importance d’un suivi oph­tal­mologique dès le début des traite­ments : « Un exa­m­en de départ, avant même de com­mencer les dif­férentes thérapies, nous donne des références sur lesquelles nous appuy­er pour sur­veiller le moin­dre change­ment et réa­gir rapi­de­ment. » Ensuite, un suivi oph­tal­mologique s’impose tout au long des pro­to­coles thérapeu­tiques. Mais pas seulement !

Même des années après, il est recom­mandé de con­tin­uer à se faire suiv­re par un oph­tal­mol­o­giste. Dr Mhamed Louk­il insiste : « Pour toutes ces séquelles ocu­laires, un dépistage pré­coce aide à la fois à soign­er rapi­de­ment et à éviter les com­pli­ca­tions. De plus, seul un exa­m­en de con­trôle per­met de dépis­ter des affec­tions ne présen­tant pas de symp­tômes, comme la rétinopathie radique ou la kératopathie neu­rotrophique, et donc d’en prévenir les évo­lu­tions graves. »

« Depuis plusieurs années, les traite­ments con­tre les can­cers ORL ont béné­fi­cié de pro­grès con­sid­érables, avec pour con­séquence des effets sec­ondaires de mieux en mieux maîtrisés. »

Dr Isabelle Hen­ry d’Abbadie

Quelle fréquence pour ce suivi ? Très rap­prochée au début, env­i­ron tous les deux mois pen­dant les deux pre­mières années, puis tous les six mois env­i­ron pen­dant les trois années suiv­antes, puis annuelle­ment. Cette fréquence, men­tion­née à titre indi­catif, est bien évidem­ment affinée au cas par cas. Le médecin en charge de votre dossier est le plus à même d’établir votre cal­en­dri­er de rendez-vous.

En l’absence de séquelle par­ti­c­ulière, le suivi annuel peut tout à fait être réal­isé par un oph­tal­mol­o­giste en cab­i­net libéral. Une coor­di­na­tion reste pos­si­ble avec le ser­vice hos­pi­tal­ier qui vous a suivi pen­dant vos traitements.

J’ai un problème à l’œil, que faire ?

Dès l’appari­tion d’un nou­veau symp­tôme ou en cas d’aggra­va­tion d’un symp­tôme exis­tant les experts recom­man­dent de se rap­procher de l’ophtalmologiste en charge de votre suivi.

Une douleur, une rougeur, une baisse de la vision, une gêne à la lumière, une sen­sa­tion de brûlure ou d’objet étranger dans l’œil… sont autant de signes qui doivent amen­er à con­sul­ter rapi­de­ment. Ne touchez pas votre œil et veillez à le pro­téger au mieux (lunettes de soleil, hygiène des mains, etc.).

Une baisse très bru­tale de l’acuité visuelle ou des douleurs très impor­tantes sont toute­fois des motifs de con­sul­ta­tion en urgence. « Chaque région pro­pose un ser­vice d’urgences oph­tal­mologiques. Pour savoir où il se trou­ve, deman­dez-le au médecin que vous con­sul­tez habituelle­ment quand vous le ver­rez », sug­gère le Dr Louk­il. Mieux vaut avoir l’information notée dans un coin pour savoir com­ment réa­gir au plus vite si la sit­u­a­tion se présente.

Une patiente témoigne : 

« En quelques jours,  mon œil et ma paupière sont devenus de plus en plus rouges, avec des sécré­tions blanchâtres et épaiss­es de plus en plus abon­dantes. Je n’ai pas voulu déranger alors j’ai util­isé un col­lyre que j’avais sous la main. Quelques jours plus tard, j’ai décou­vert un petit “trou” sur mon œil… une ulcéra­tion de la cornée ! Urgences, bloc opéra­toire, col­lyres ren­for­cés toutes les heures jours et nuits. Le trou était tout petit mais la sit­u­a­tion était déjà cri­tique. Après les chirur­gies et la radio­thérapie pour soign­er mon can­cer, mon œil a per­du petit à petit sa sen­si­bil­ité et sa capac­ité à se régénér­er jusqu’à une grave infec­tion. Je ne ressen­tais pas de douleur mais j’au­rais dû être plus vig­i­lante et con­sul­ter plus vite. J’avais vu mon oph­tal­mo quelques semaines avant alors je ne voulais pas “déranger”… J’au­rais dû con­sul­ter plus tôt, cela aurait peut être éviter un dis­posi­tif con­traig­nant, un pro­to­cole à vie pour pro­téger mon œil désor­mais extrême­ment fragile.»

Pro­pos recueil­lis par Vio­laine Badie

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