Errance diagnostique

L’errance diagnostique : des délais à réduire pour protéger les patients

Des délais trop longs pour obtenir un diag­nos­tic de mal­adie, comme un can­cer ORL, sont lourds de con­séquences. Qu’entend-on par « errance diag­nos­tique » ? Quel est l’impact sur les traite­ments, les chances de guéri­son ? Quelles pistes pour amélior­er ces errances ? Le point avec le Pr Olivi­er Malard, chef du ser­vice ORL et chirurgie cer­vi­co-faciale du CHU de Nantes.

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La notion d’errance diag­nos­tique ou d’errance médi­cale cor­re­spond au temps entre l’apparition des pre­miers symp­tômes clin­iques d’une mal­adie et son diag­nos­tic établi par le corps médi­cal. On peut par­ler de véri­ta­ble « errance » quand ce délai s’étire sur de trop longs mois, voire années, alors que le diag­nos­tic aurait pu être posé bien plus tôt.

Quelle est la définition exacte d’une errance diagnostique ?

Il n’existe pas réelle­ment de temps pré­cis qui définit une errance diag­nos­tique. Les malades, qui ignorent encore la rai­son de leurs trou­bles, peu­vent réalis­er toute une série d’examens, enchaîn­er les con­sul­ta­tions, sans que les pro­fes­sion­nels de san­té ne puis­sent pos­er un diag­nos­tic expli­quant leurs symp­tômes. Leur cas peut jus­ti­fi­er une errance médi­cale si la mal­adie aurait pu être décou­verte plus rapidement.

« La notion d’errance diag­nos­tique dépend de la patholo­gie. Elle ne revêt pas la même impor­tance pour un can­cer par exem­ple ou pour une patholo­gie moins grave. Cer­taines mal­adies sont sus­pec­tées facile­ment, en rai­son de symp­tômes car­ac­téris­tiques, de fac­teurs de risque évi­dents, du ter­rain du patient. D’autres mal­adies, plus rares, vont con­duire fréquem­ment à des sit­u­a­tions d’errance car elles sont plus com­plex­es à diag­nos­ti­quer », pré­cise le Pr Olivi­er Malard, spé­cial­isé en can­cérolo­gie de la tête et du cou.

L’errance diag­nos­tique con­duit inévitable­ment à un retard dans la prise en charge du patient.

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Quels facteurs peuvent expliquer une errance médicale ?

Le Pr Malard rap­pelle le car­ac­tère mul­ti­fac­to­riel de ce problème :

  1. Les mal­adies rares sont davan­tage sus­cep­ti­bles d’être con­fron­tées à des délais diag­nos­tiques plus longs.
  2. L’absence de dépistage sys­té­ma­tique peut aus­si retarder un diag­nos­tic. Les can­cers du sein, du colon et du rec­tum, du col de l’utérus béné­fi­cient de dépistages organ­isés durant lesquels des tumeurs malignes peu­vent être repérées avant même l’apparition de symp­tômes clin­iques. Ce n’est pas le cas pour les can­cers rares de la tête et du cou
  3. Les symp­tômes peu car­ac­téris­tiques d’une mal­adie trou­blent le tableau clin­ique. Des symp­tômes francs et très évo­ca­teurs de telle ou telle patholo­gie aigu­il­lent beau­coup plus rapi­de­ment les pro­fes­sion­nels de san­té. Dans le cas de can­cers des voies aérodi­ges­tives supérieures, les pre­miers signes con­statés peu­vent d’abord faire penser à un rhume, à une angine, à des aphtes… 

» Con­sul­tez notre arti­cle détail­lé sur les symp­tômes des can­cers ORL qui doivent alert­er.

  1. La démo­gra­phie médi­cale affecte la durée d’obtention d’un diag­nos­tic. Le Pr Olivi­er Malard détaille : « Les délais pour obtenir des ren­dez-vous d’imagerie ou des ren­dez-vous avec des spé­cial­istes ne cessent de s’allonger. Le prob­lème d’accès aux soins com­mence même dès la médecine pri­maire, de plus en plus de per­son­nes n’ayant plus de médecin trai­tant. »
  2. La for­ma­tion des soignants influ­ence forte­ment les délais de prise en charge. Un exem­ple, cité par l’expert en can­cérolo­gie ORL : « Les spé­cial­istes sont générale­ment assez à jour des con­nais­sances médi­cales sur les can­cers ORL, con­cer­nant notam­ment un fac­teur de risque désor­mais bien con­nu, à savoir les papil­lo­mavirus humains ou virus HPV. Cer­tains général­istes le sont peut-être un peu moins. Or, quand on pense à un can­cer ORL, on pense d’abord à des per­son­nes de plus de 50 ans, qui fument beau­coup, boivent beau­coup. C’est encore en grande par­tie le cas. Mais il y a aus­si toute une pop­u­la­tion beau­coup plus jeune, qui ne présente pas de ter­rain typ­ique de ces can­cers, qui peut être touchée à cause des virus HPV. »
  3. La pré­car­ité con­stitue un frein sup­plé­men­taire pour obtenir un diag­nos­tic pré­coce. « C’est un fac­teur claire­ment con­nu », regrette le Pr Malard. « L’isolement, les dif­fi­cultés à se déplac­er, les addic­tions aus­si, ren­dent plus com­plexe l’accès à un médecin. »

Quelles sont les conséquences des errances diagnostiques ?

La prin­ci­pale con­séquence d’une errance médi­cale reste le repérage tardif de la mal­adie, à un stade plus avancé. « En can­cérolo­gie ORL, le retard de diag­nos­tic à un impact direct sur le pronos­tic », informe le Pr Olivi­er Malard. « C’est un peu moins le cas pour des can­cers plus indo­lents, qui évolu­ent lente­ment. Mais les can­cers ORL les plus agres­sifs peu­vent pass­er d’un stade 1 à un stade 2 en seule­ment 2 mois, et d’un stade 2 à un stade 3 en 2 mois encore. » Des évo­lu­tions aux réper­cus­sions majeures : « Entre un stade 1 et un stade 2, les patients per­dent 20 % de chances de guéri­son, encore 20 % entre un stade 2 et un stade 3. »

Mal­gré cela, la plu­part des can­cers ORL restent diag­nos­tiqués à un stade local, c’est-à-dire sans métas­tases. Ce qui ne veut pas for­cé­ment dire qu’il s’agit de petites tumeurs, bien au con­traire. Il faut dis­tinguer les stades dits « pré­co­ces » (stades 1 et 2) et les stades « locale­ment avancés » (stades 3 et 4). « Le pronos­tic est très claire­ment altéré entre un stade pré­coce et un stade locale­ment avancé », pré­cise le médecin ORL. « Même par­mi les stades locale­ment avancés, il peut y avoir de très grandes dif­férences. Cer­tains restent facile­ment opérables, d’autres sont plus dif­fi­cile­ment opérables, d’autres enfin devi­en­nent car­ré­ment inopérables en rai­son des struc­tures anatomiques qu’ils ont envahies, comme les méninges ou l’artère carotide. »

Les cas où l’inter­ven­tion chirur­gi­cale des­tinée à résé­quer la tumeur can­céreuse restent pos­si­ble sont générale­ment de meilleur pronos­tic. « Plus le stade est avancé, plus cette inter­ven­tion sera lourde, avec des recon­struc­tions com­plex­es, des séquelles esthé­tiques et fonc­tion­nelles plus impor­tantes. » Les éventuels traite­ments com­plé­men­taires peu­vent égale­ment être plus lourds. Une tumeur diag­nos­tiquée tar­di­ve­ment sera davan­tage sus­cep­ti­ble de néces­siter de la radio­thérapie, éventuelle­ment asso­ciée à une chimio­thérapie

Enfin, les diag­nos­tics tardifs représen­tent un coût socio-économique non-nég­lige­able, en rai­son des soins et des suiv­is plus lourds, des arrêts de tra­vail plus longs, etc.

Errance médicale en cancérologie ORL : comment améliorer la situation ?

La réponse est sim­ple, selon le Pr Malard : par la sen­si­bil­i­sa­tion, à la fois des soignants et du grand pub­lic. « Les cam­pagnes, comme celles de Coras­so (#OnLesEcharpe) et de la Société Française d’ORL (Rouge Gorge), jouent un rôle majeur dans la dif­fu­sion des infor­ma­tions qui peu­vent aider à réduire les retards de diagnostic. »

La for­ma­tion con­tin­ue des pro­fes­sion­nels de san­té est égale­ment cru­ciale, afin de met­tre à jour les con­nais­sances sur les symp­tômes de ces can­cers et sur leurs fac­teurs de risque, comme les virus HPV.

Pro­pos recueil­lis par Vio­laine Badie

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