Altération du goût

Altérations du goût liées à un cancer ORL : quand s’alimenter devient un calvaire

Des change­ments dans la per­cep­tion du goût sont très fréquents en can­cérolo­gie tête et cou, avec des con­séquences par­fois lour­des, puisqu’ils affectent directe­ment la pos­si­bil­ité de bien s’alimenter. À quoi sont dus ces trou­bles ? Quelles con­séquences peu­vent-ils avoir ? Existe-t-il des moyens de les prévenir, de les soign­er ? Toutes les répons­es avec l’expertise du Dr Bruno Tou­s­saint, médecin spé­cial­isé en ORL et en chirurgie cer­vi­co-faciale au CHRU de Nan­cy-Brabois.

bruno toussaint troubles gout 2

Par­mi les symp­tômes rap­portés en lien avec un can­cer ORL, les mod­i­fi­ca­tions gus­ta­tives sont par­ti­c­ulière­ment con­traig­nantes. La perte du goût peut être totale (agueusie) ou par­tielle (hypogueusie). Enfin, cer­tains patients vont se plain­dre davan­tage de dis­tor­sions du goût (dys­gueusies), sous dif­férentes formes : dis­pari­tion de la per­cep­tion d’une saveur spé­ci­fique, comme le salé ou le sucré, goût mod­i­fié pour tel ou tel ali­ment, goût métallique ou amer quel que soit l’ingrédient consommé… 

Comment les cancers des voies aérodigestives supérieures perturbent-ils le goût ?

« Les prin­ci­pales papilles gus­ta­tives, récep­teurs de la gus­ta­tion, se trou­vent au niveau lin­gual. Elles dessi­nent un V ouvert vers l’avant, que l’on devine sur le fond de la langue », avise le Dr Bruno Tou­s­saint, prati­cien hos­pi­tal­ier dans le ser­vice ORL du CHRU Nan­cy-Brabois. Toute tumeur can­céreuse por­tant atteinte à l’intégrité de ces récep­teurs gus­ta­t­ifs — celles qui envahissent la langue notam­ment -, ou bien aux filets nerveux qui trans­met­tent les infor­ma­tions jusqu’au cor­tex cérébral, sont sus­cep­ti­bles de causer des trou­bles du goût. Ces symp­tômes sont d’ailleurs des signes d’alerte qui doivent amen­er à con­sul­ter s’ils per­sis­tent plus de 3 semaines.

Sylvia, dont le can­cer de l’amygdale gauche a été repéré en mai 2025, en atteste : « Je ressen­tais des dif­férences depuis quelques temps lorsque je mangeais, bien avant le diag­nos­tic de can­cer. D’abord, j’ai com­mencé par per­dre pro­gres­sive­ment le goût sucré. Puis il s’est trans­for­mé en goût totale­ment amer. »

Les traite­ments des­tinés à soign­er un can­cer rare de la tête et du cou peu­vent aus­si causer des altéra­tions du goût. « Tous les traite­ments sont con­cernés, à savoir la chirurgie, la radio­thérapie et les traite­ments dits “médi­caux”, c’est-à-dire la chimio­thérapie et l’immunothérapie », détaille le Dr Tou­s­saint. Si la total­ité ou une par­tie de la langue doit être retirée lors de l’inter­ven­tion chirur­gi­cale des­tinée à résé­quer une tumeur can­céreuse, la per­cep­tion du goût s’en ver­ra automa­tique­ment affec­tée. Même con­séquence si l’opération sec­tionne des nerfs con­duisant l’information jusqu’au cerveau.

« Cer­taines chimio­thérapies présen­tent des effets neu­ro­tox­iques, qui détru­isent cer­tains nerfs périphériques. Les effets se font ressen­tir le plus sou­vent aux extrémités des mem­bres, au niveau des mains et des pieds, mais ils peu­vent par­fois aus­si affecter la bouche », informe l’expert ORL. 

« La radio­thérapie con­stitue le prin­ci­pal traite­ment respon­s­able de mod­i­fi­ca­tions du goût, spé­ciale­ment quand le champ d’irradiation est com­pris entre la clav­icule et les yeux », pour­suit le Dr Bruno Tou­s­saint. « Les trou­bles vont appa­raître pro­gres­sive­ment, env­i­ron deux semaines après le début des rayons, quand l’inflammation com­mence à abîmer les tissus. »

Autre fac­teur sus­cep­ti­ble de provo­quer ou d’accentuer ces dis­tor­sions du goût : les mod­i­fi­ca­tions de la quan­tité et de la qual­ité de salive pro­duite par les glan­des sali­vaires, liées, là encore, aux traite­ments anticancéreux. 

Soignée à Greno­ble par radio­thérapie en juil­let 2025, Sylvia se remé­more ces effets désagréables. « Env­i­ron 15 jours après le début des séances, tout ce que je mangeais est devenu amer. Avant, le désagré­ment était can­ton­né au sucré. Cela deve­nait un cal­vaire, car les ali­ments finis­saient même par avoir un goût de vomi. Même l’eau était mauvaise. »

Fréquence et durée des altérations du goût lors d’un cancer ORL

Selon les esti­ma­tions, env­i­ron 50 à 75 % des patients traités pour un can­cer ORL vont ressen­tir des per­tur­ba­tions au niveau du goût, de manière plus ou moins importante.

Dans la majorité des cas, les agueusies et dys­gueusies sont tem­po­raires. Il faut tout de même compter entre 4 et 6 mois après la fin d’une radio­thérapie pour espér­er revenir à la nor­male. « Deux mois après la fin de mon traite­ment, les per­cep­tions gus­ta­tives con­tin­u­ent de revenir, mais très lente­ment », se réjouit Sylvia. « Dès la pre­mière semaine post-radio­thérapie, les sécré­tions buc­cales très glu­antes qui me gênaient ont com­mencé à s’améliorer. Petit à petit, j’ai pu com­mencer à manger des ali­ments dif­férents, à boire plus facile­ment. Je ressens encore de l’amertume sur la langue en con­som­mant des ali­ments sucrés, mais cela devient plus supportable. »

Le Dr Tou­s­saint com­plète : « Le rétab­lisse­ment est très vari­able, selon la cause ini­tiale des trou­bles du goût, selon les traite­ments admin­istrés, selon les patients eux-mêmes et leur vécu émo­tion­nel. » Cer­taines per­son­nes retrou­veront entière­ment le goût, comme avant la mal­adie, d’autres con­serveront une gêne plus ou moins importante.

Peut-on limiter ces altérations de la gustation ?

Le Dr Tou­s­saint affirme que l’hygiène buc­cale joue un rôle majeur pour réduire les dis­tor­sions du goût en cas de can­cer des voies aérodi­ges­tives supérieures. L’objectif est à la fois de lim­iter l’accumulation de salive épaisse dans la bouche, mais aus­si de prévenir les infec­tions bac­téri­ennes et les mycoses, plus fréquentes dans de telles cir­con­stances en rai­son d’un affaib­lisse­ment du sys­tème immunitaire. 

« Il est recom­mandé de bien se bross­er les dents et de procéder à des bains de bouche pluri-quo­ti­di­ens dès que le traite­ment démarre. Bien évidem­ment, soign­er les éventuelles caries est indis­pens­able. Égale­ment, il est utile de se bross­er la langue pour éviter qu’elle ne se cou­vre de glaires. Boire beau­coup d’eau per­met aus­si de flu­id­i­fi­er ces sécré­tions », pré­conise le médecin ORL. Ces con­seils ne sont pas l’assurance d’échapper à des dis­tor­sions gus­ta­tives. Ils aident tout de même à min­imiser le risque, ou du moins à ce que les trou­bles durent moins longtemps et soient plus faciles à supporter.

Que faire si le goût est affecté lors des traitements contre un cancer ORL ?

Con­sul­ter un diététi­cien con­tribue à trou­ver des astuces pour con­tin­uer à s’alimenter un min­i­mum. En effet, le risque prin­ci­pal d’une altéra­tion du goût est de ne pas arriv­er à cou­vrir ses besoins et ain­si aboutir à un état de dénu­tri­tion (dont les con­séquences peu­vent être dra­ma­tiques quand on se bat con­tre un cancer).

« Le diététi­cien-nutri­tion­niste peut don­ner des con­seils per­son­nal­isés, comme par exem­ple faire inter­venir tous les sens pour ren­dre le repas plus agréable : un beau visuel, des bruits de cuis­son qui font envie… Si le goût salé est affec­té de manière isolée, il fau­dra se tourn­er vers du sucré, et inverse­ment. On peut essay­er de manger des choses plus rich­es en goût, mixées ou moulinées par exem­ple », indique Dr Bruno Tou­s­saint. Il n’existe pas de solu­tion type, chaque per­son­ne doit trou­ver sa pro­pre recette pour arriv­er à manger suff­isam­ment, et ten­ter d’éviter, autant que pos­si­ble, l’alimentation entérale par sonde nasale ou gas­tros­tomie

» La Ligue con­tre le Can­cer a édité une fiche de con­seils à des­ti­na­tion de patients soignés pour un can­cer et souf­frant de trou­bles du goût. Elle est à lire ici.

Pour Sylvia, la solu­tion a été de frac­tion­ner les pris­es ali­men­taires durant toute la durée de sa radio­thérapie : « Je ne pou­vais manger que des petites quan­tités, l’équivalent d’un petit rame­quin, env­i­ron 5 fois par jour. J’ingérais directe­ment à la cuil­lère en déposant les ali­ments au fond de la bouche pour ne pas touch­er la langue. »

Il n’existe pas de traite­ment à pro­pre­ment par­ler pour soign­er des trou­bles gus­ta­t­ifs. Quelques médica­ments exis­tent, pour stim­uler la pro­duc­tion de salive et con­tribuer à amélior­er la per­cep­tion du goût, mais leur effi­cac­ité reste modérée.

Enfin, il n’existe pas non plus de réé­d­u­ca­tion spé­ci­fique pour les trou­bles du goût. Dans cer­tains cas, une réé­d­u­ca­tion olfac­tive menée par un ortho­phon­iste spé­cial­isé peut apporter une amélio­ra­tion au niveau du goût, quand celui-ci est per­tur­bé par une altéra­tion simul­tanée de l’odorat. C’est le cas notam­ment en cas de laryn­gec­tomie totale, où il faut appren­dre à amen­er de l’air chargé en molécules odor­antes depuis l’arrière de la gorge vers les fos­s­es nasales (phénomène de rétro-olfaction).

» Pour en savoir plus sur la réé­d­u­ca­tion de l’odorat en cas de can­cer ORL, con­sul­tez notre arti­cle détail­lé.

Et si le goût ne revient pas à la normale ?

Pour cer­taines per­son­nes, les per­cep­tions ne revi­en­nent pas totale­ment telles qu’elles étaient avant la mal­adie. Cela peut être hand­i­ca­pant et affecter le moral, tant le plaisir ali­men­taire est impor­tant. « Je n’ai pas encore retrou­vé le goût comme ini­tiale­ment, mais je me con­cen­tre déjà sur tout ce que je peux à nou­veau manger. », témoigne Sylvia.

Des ajuste­ments au quo­ti­di­en peu­vent aider à con­tourn­er le prob­lème si le goût reste per­tur­bé, ou à mieux vivre avec. Les con­seils diété­tiques, sur les tex­tures, les assaison­nements, la présen­ta­tion des plats ou encore l’environnement du repas, con­tribuent à retrou­ver le plaisir de manger. 

Les recom­man­da­tions con­cer­nant l’hygiène buc­cale pen­dant les traite­ments s’appliquent aus­si. Brossage métic­uleux des dents et de la langue, bains de bouche, gar­garismes et suivi réguli­er par un den­tiste peu­vent réduire l’impact de ces séquelles au quotidien.

Pro­pos recueil­lis par Vio­laine Badie

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