EMDR : Apaiser les blessures invisibles du cancer
L’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) ne guérit pas le cancer, mais elle aide à lever les blocages émotionnels pouvant entraver le bon déroulement de la prise en charge et altérer la qualité de vie du patient. Cette thérapie permet au patient de retrouver une cohérence intérieure, de réinvestir son énergie vitale, de s’engager dans les traitements et de gérer les éventuelles séquelles avec plus de force, de sérénité et d’espoir. Entretien avec Martine Iracane-Coste, psychologue clinicienne, formatrice et superviseur EMDR Europe.
Qu’est-ce que l’EMDR ?
L’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) est une psychothérapie qui permet de traiter le trouble de Stress Post-Traumatique liés à des traumatismes psychologiques, parfois très anciens, grâce à un mécanisme neuro-émotionnel naturel. L’EMDR repose sur des stimulations bilatérales alternées du cerveau (droite/gauche), effectuées à l’aide de mouvements oculaires, de sons ou de stimulations tactiles. Ces stimulations relancent un processus d’auto-guérison du cerveau : elles aident à « digérer » des souvenirs douloureux restés figés, sources d’angoisse, de cauchemars, de douleurs, ou de blocages émotionnels. Une fois retraités, ces souvenirs perdent leur charge émotionnelle. La personne peut alors les évoquer avec plus de distance, sans être envahie par la souffrance ou la peur et sans, pour autant, les effacer. Cet apaisement s’accompagne souvent d’un renforcement de l’estime de soi et d’un sentiment de reprise de contrôle sur sa vie.

Qui est à l’origine de cette thérapie ?
L’EMDR a été développée en 1987 par Francine Shapiro, psychologue américaine, qui a découvert par hasard que des mouvements oculaires rapides droite-gauche atténuaient l’intensité de certains souvenirs pénibles. En France, le psychiatre David Servan-Schreiber a joué un rôle essentiel dans la diffusion de cette approche, notamment à travers ses ouvrages et conférences dès les années 2000. ll est, d’ailleurs, le premier président de l’Association EMDR France. Aujourd’hui, l’EMDR est reconnue par l’OMS (depuis 2013), l’Inserm et la Haute Autorité de Santé (HAS) comme un traitement de référence du trouble de stress post-traumatique. Plus de deux millions de patients en Europe ont déjà bénéficié de cette thérapie.
Dans quels cas pratiquer l’EMDR ?
L’indication première de l’EMDR est le trouble de stress post-traumatique. Ce dernier peut s’installer après un événement violent qui confronte une personne à sa propre mort ou à celle d’autrui et qui entraîne une impossibilité d’agir pour se protéger ou protéger un tiers. Par exemple, après un accident, une agression, une annonce de maladie grave, un deuil brutal, un attentat, ou tout autre événement ayant laissé une empreinte émotionnelle intense. Les instances nationales (HAS, Inserm) et internationales (OMS) valident, d’ailleurs, l’EMDR dans cette indication.
En moyenne, l’intervention en EMDR pour un trouble de stress post-traumatique simple entraîne une rémission des symptômes en 3 à 5 séances. Dans le cas de trouble de stress post-traumatique complexe — qui s’installe lorsque des personnes ont vécu un cumul d’événements graves : harcèlement, maltraitances physiques, psychiques, sexuelles — les symptômes sont plus résistants. La personne est atteinte dans son identité même et l’estime de soi en ressort très blessée. Ces événements impactent profondément la capacité à vivre le contact à l’autre dans la sécurité et l’apaisement. Le traitement peut donc être plus long.
Le champ d’action de l’EMDR est, aujourd’hui, beaucoup plus large. Elle est aussi utilisée dans :
- les états anxio-dépressifs, les phobies, les addictions, les troubles du comportement alimentaire,
- les céphalées persistantes, les douleurs chroniques ou les douleurs fantômes après une opération ou une amputation,
- les troubles de l’estime de soi, les culpabilités persistantes, les troubles psychosomatiques ou les troubles du sommeil,
- les difficultés à gérer les stress de la vie personnelle, professionnelle qui peuvent entraîner des troubles de l’adaptation.
L’EMDR s’adresse donc à toute personne qui a vécu un choc émotionnel ou une accumulation d’expériences difficiles qui continuent d’influencer négativement sa vie quotidienne.
Quel est l’intérêt de l’EMDR pour les patients diagnostiqués de cancer ?
L’EMDR ne guérit pas le cancer. Il ne faut surtout pas véhiculer ce type de croyance. En revanche, elle peut rendre les approches thérapeutiques plus efficaces, en aidant le patient à lever des blocages neuro-émotionnels qui peuvent freiner sa récupération physique et psychique.
Ces blocages surviennent souvent après un moment difficile : l’annonce du diagnostic, une opération mutilante, une chimiothérapie ou radiothérapie éprouvante, des douleurs post opératoires ou même un regard social mal vécu et qui touche l’image de soi.
Tant qu’une partie de soi reste figée dans la peur, la colère, la honte ou la culpabilité, le corps a du mal à se remettre en mouvement vers le mieux-être. Exemples : quand une personne n’accepte pas d’être malade, comment peut-elle se mobiliser pour aller mieux ? Ou, si elle est convaincue qu’elle est condamnée, que « c’est foutu », le message se grave aussi dans le corps.
Le stress, les émotions non digérées, la peur ou la culpabilité ne sont pas seulement psychiques : ces vécus s’accompagnent de réponses hormonales et neurobiologiques qui peuvent affaiblir le système immunitaire, augmenter la douleur et entraver la récupération.
L’EMDR aide à relancer les voies naturelles neuro-émotionnelles d’auto-guérison. En retraitant les souvenirs douloureux, cette approche thérapeutique permet au cerveau de transformer les charges émotionnelles négatives figées, de les faire évoluer vers des ressentis et des pensées moins péjoratives, plus adaptées, plus optimistes. Le retraitement et le dépassement des blocages neuro-émotionnels permettent de remobiliser les ressources psychologiques du patient et favorisent ainsi un retour à un meilleur équilibre. La personne renforce ses capacités de résilience, manifeste une meilleure adhésion aux soins et une tolérance accrue aux traitements souvent agressifs.
Par ailleurs, le cancer n’affecte pas seulement le patient, mais aussi son entourage. Voir un proche souffrir est une source d’angoisse, de tristesse et parfois de culpabilité. L’EMDR permet aussi d’aider les aidants à mieux gérer leurs émotions, pour ne pas alourdir la charge émotionnelle du patient.
Les bienfaits spécifiques pour les personnes présentant un cancer tête et cou
Les cancers de la tête et du cou peuvent entraîner des séquelles lourdes : douleurs, troubles de la déglutition, perte de la voix, altération de l’image corporelle…Ces transformations sont souvent vécues comme des traumatismes. Elles peuvent générer de la honte, un sentiment d’injustice, ou une perte de dignité. L’EMDR aide à désamorcer ces blessures invisibles. En ciblant les moments-clés (annonce du diagnostic, séances de radiothérapie, paroles culpabilisantes, peur de la récidive…), le thérapeute aide le patient à transformer son vécu émotionnel. Résultat : l’angoisse diminue, la douleur devient plus supportable, la culpabilité s’apaise et la personne retrouve une image de soi plus bienveillante.
» Découvrir notre podcast consacré à la peur de la récidive avec le Dr Mickaël Burgy, ORL à l’ICANS (Strasbourg) et Fabienne Kimmel, psycho-oncologue à l’Institut Curie
Perdre sa voix, une partie de son autonomie, voir son visage modifié peut générer un sentiment profond d’impuissance et de perte de contrôle. Certains patients se sentent exclus, inutiles, voire « inexistants ». L’EMDR aide à réactiver la capacité d’agir. En traitant les émotions liées à ces pertes (peur, colère, désespoir), la personne retrouve un sentiment de sécurité intérieure et la possibilité de se réapproprier son corps et son identité. C’est aussi un outil précieux pour retrouver l’estime de soi. Le patient réapprend à se percevoir comme quelqu’un de digne, malgré les cicatrices, les séquelles ou la voix altérée. Cette revalorisation psychique est fondamentale pour préserver le lien social et la motivation à vivre.
» En savoir plus sur les séquelles des cancers de la tête et du cou juste ici.
L’EMDR travaille sur trois temps : le passé, le présent et l’avenir. Explications.
L’EMDR agit sur les souvenirs traumatiques du passé : annonce du diagnostic, traitements douloureux, paroles blessantes… Les symptômes du présent : douleurs persistantes, cauchemars, anxiété, peur de la récidive, perte de confiance. Mais aussi, sur les peurs anticipatoires : angoisse avant une IRM, avant une prise de parole, ou avant une prochaine séance de soins.…Chaque séance vise à lever un « barrage » émotionnel qui bloque la circulation naturelle des émotions et de l’énergie psychique. Une fois le passage rouvert, le patient retrouve une fluidité intérieure et une meilleure stabilité émotionnelle.
Concrètement, comment se déroule une séance d’EMDR ?
Une séance d’EMDR dure généralement entre 60 et 90 minutes. Le protocole complet comporte 8 phases bien définies. Ces étapes peuvent s’étendre sur plusieurs séances selon le rythme et les besoins de la personne.
- Avant tout travail sur le traumatisme, il est essentiel de faire connaissance avec le patient, de comprendre son histoire, sa personnalité, son vécu de la maladie et de ses traitements. Le thérapeute prend le temps d’instaurer un climat d’écoute, de sécurité et de confiance. Le patient doit se sentir compris, respecté et reconnu dans sa souffrance. Ces conditions sont véhiculées par l’alliance thérapeutique (phase 1) : un prérequis indispensable avant tout travail d’EMDR.
Avant d’aborder les souvenirs douloureux, le thérapeute évalue le niveau de stabilité somatique et psychologique de la personne. Certains patients, notamment ceux récemment opérés ou encore fragiles psychologiquement, ont besoin de temps pour retrouver un minimum de sécurité intérieure. Si la personne n’est pas encore prête, le thérapeute va d’abord renforcer ses ressources positives : ce qui va bien dans sa vie : la présence d’un conjoint, la reprise d’une activité, la foi, le sentiment d’utilité… Ces éléments deviennent des points d’ancrage. Le thérapeute aide alors le patient à reconnecter ses compétences, souvent éteintes par le choc de la maladie : confiance, courage, humour, patience, résilience. Ce travail de stabilisation peut durer plusieurs séances. - Une fois une stabilité suffisante assurée, le thérapeute explique le fonctionnement et le protocole EMDR (phase 2). il détaille les mécanismes de la stimulation bilatérale alternée : le plus souvent des mouvements oculaires, parfois des sons ou des tapotements légers sur les mains. Ces stimulations activent les mécanismes naturels de traitement de l’information dans le cerveau.
- Le thérapeute et le patient identifient, ensuite, les situations les plus douloureuses. Il peut s’agir : du choc de l’annonce du diagnostic, d’une opération mutilante, de la perte de l’odorat, des douleurs faciales, du regard des autres ou de tout autre chose. Ensemble, thérapeute et patient dressent une carte des souvenirs traumatiques liés à la maladie. Le patient choisit ce qui lui pèse le plus. C’est là qu’intervient la phase 3 de l’EMDR (celle de l’évaluation) : elle consiste à définir précisément le souvenir cible à retraiter. Le thérapeute aide la personne à identifier la trace perceptive la plus marquante (image, son, odeur, goût, sensation physique ), la pensée négative associée à ce souvenir, la pensée positive qu’elle souhaiterait lui substituer, le niveau de validité de cette pensée positive (sur une échelle de 1 à 7), les émotions perturbantes encore présentes et leur intensité ( de 0 à 10), ainsi que le siège corporel de la sensation liée à cette perturbation émotionnelle.
- Lors de la phase 4 (appelée désensibilisation), le thérapeute aide la personne à réactiver le souvenir difficile tout en stimulant le cerveau à l’aide de mouvements oculaires rapides, de tapotements ou de sons alternés. Ces stimulations sollicitent la mémoire de travail et permettent de débloquer l’information figée liée au traumatisme. Peu à peu, les émotions négatives s’atténuent, la tension psychique diminue et de nouvelles associations positives se forment. L’événement reste présent dans la mémoire, mais il n’a plus la même charge émotionnelle : il devient un souvenir parmi d’autres, débarrassé de sa douleur initiale.
- La 5ème étape, celle dite d’installation vise à ancrer une pensée positive qui remplace la croyance négative liée au traumatisme. Le thérapeute aide la personne à intégrer une idée plus réaliste et bienveillante, en lien avec le présent, par exemple : « Je suis vivant » au lieu de « Je vais mourir », ou « Je suis quelqu’un de bien » plutôt que « Je ne vaux rien ». Grâce à la poursuite des stimulations bilatérales, cette nouvelle pensée devient de plus en plus crédible et ressentie, marquant une reconstruction intérieure. C’est le moment où la personne commence à se réapproprier une image d’elle-même plus forte et apaisée.
- Puis, lors de la phase 6, le thérapeute invite la personne à repenser à l’événement traité et à la pensée positive sur soi retenue, tout en portant attention à son corps. L’objectif est de détecter d’éventuelles tensions ou sensations résiduelles liées au souvenir. Si des traces physiques persistent, elles sont retravaillées par des stimulations bilatérales (mouvements oculaires, sons ou tapotements) jusqu’à disparition du malaise. Cette étape permet de libérer complètement le corps de l’empreinte du traumatisme et d’atteindre une sensation de détente, de légèreté ou d’énergie retrouvée, signe que le travail d’intégration est achevé.
- La séance se termine par un temps de retour au calme et de bilan (phase 7 clôture). Le thérapeute aide la personne à faire le point sur ce qui a été travaillé et à se préparer à la période entre deux rendez-vous. Pour garantir une avancée en sécurité, il lui rappelle les techniques de stabilisation apprises en début de thérapie : respiration, ancrage, visualisation apaisante… Le thérapeute s’assure du bon niveau de stabilité psychologique du patient en ce moment de fin de séance.
- Enfin, lors d’une séance dédiée, le thérapeute et le patient font le point sur les effets du travail précédent. Cette 8ème étape (dite de réévaluation) permet de vérifier comment la personne a vécu la séance, ce qui a évolué positivement ou, au contraire, ce qui pourrait rester perturbant. Le praticien évalue trois indicateurs clés : émotions, pensées positives et sensations corporelles. Si tout est stable et apaisé, cela signifie que le souvenir a été pleinement retraité. Le thérapeute et le patient décident ensuite ensemble des prochaines étapes, en identifiant d’éventuels souvenirs ou situations encore bloqués. C’est un moment de bilan et de co-construction du travail thérapeutique.
Quel praticien consulter ?
Avant d’entreprendre une thérapie EMDR, il est essentiel de s’assurer que le professionnel est correctement formé. En France, la référence unique est l’association EMDR France, qui regroupe les praticiens ayant suivi une formation reconnue et validée. Son annuaire en ligne permet d’identifier facilement les thérapeutes accrédités ou en cours de formation : ces deux catégories de praticiens sont habilitées à recevoir des patients.
Plusieurs organismes de formation sont agréés en France, parmi lesquels : l’Institut Français d’EMDR, SYNCHRONIE, EDEPHE, le DU de l’Université de Lorraine en psychotraumatologie et EMDR, ou encore CAMEA.
Pour pouvoir accéder à la formation en EMDR, il faut être psychiatre, psychologue, psychothérapeute disposant d’un titre reconnu par l’ARS (Agence régionale de santé).
Témoignage de Nathalie, 36 ans, traitée pour un cancer tête et cou
« Fin 2016, on me diagnostique un cancer ORL rare. J’ai 36 ans, deux enfants, et je ne me sens pas malade. Ma vie bascule. Après une chirurgie et une radiothérapie, je me sens bien entourée, accompagnée par les soignants et mes proches. Puis, quand les traitements s’arrêtent, c’est la chute : plus de cadre, plus d’accompagnement. Je me retrouve seule face à mes soins, dans l’attente du prochain scanner.

Pendant un an, je tiens bon. Mais les séquelles physiques, psychologiques et la perte de ma vie d’avant deviennent trop difficiles à accepter. Je suis à bout de nerfs, stressée, perdue mais je continue de faire bonne figure pour mes proches. En 2019, je sens que le barrage émotionnel que j’ai mis en place est prêt à céder. Je décide de consulter une psychiatre formée à l’EMDR. Je ne connais pas vraiment cette méthode, mais j’espère y trouver une écoute.
Les deux premières séances sont consacrées à la parole. J’exprime ma colère, ma culpabilité, ma solitude. Ce n’est qu’à la troisième séance que nous commençons l’EMDR, par le biais de mouvements oculaires alternés (droite/gauche). Le travail se fait tout en douceur, dans une relation de confiance. Après cette séance, je ressens une grande fatigue, comme si mon corps avait besoin d’intégrer ce qui venait de se passer.
Au fil des semaines, je sens que quelque chose se débloque. L’EMDR m’aide à faire le deuil de ma vie d’avant, à accepter mon nouveau corps et à reconnaître les ressources que j’ai encore : mes proches, mon énergie, mon envie de vivre, mes capacités. Je retrouve peu à peu l’envie d’avancer, d’apprendre à me reconnaître, de me reconstruire.
« L’EMDR m’a aidée à passer le mur derrière lequel j’étais bloquée »
J’ai réalisé sept séances au total, dont certaines sans EMDR, uniquement pour parler et faire le point. Parallèlement, j’ai suivi un stage de méditation de pleine conscience, qui m’a aidée à mieux comprendre ce que je vivais en devenant observatrice de ce qui se passait pour moi.
Aujourd’hui, je peux dire que l’EMDR m’a vraiment aidée à passer le mur derrière lequel j’étais bloquée. Cette thérapie ne fait pas disparaître la maladie, mais elle permet de retrouver une paix intérieure, de libérer les blocages et de reprendre confiance. Et surtout, elle m’a appris une chose essentielle : demander de l’aide, c’est déjà commencer à aller mieux ».
Propos recueillis par Hélia Prévot





