Troubles de l’odorat

Cer­tains se plaig­nent de per­dre totale­ment l’odorat. D’autres que les per­cep­tions sont dimin­uées ou altérées. Les atteintes olfac­tives sont courantes chez les patients traités pour un can­cer tête et cou. À quoi sont-elles dues ? Quel est leur impact sur la qual­ité de vie ? Est-il pos­si­ble d’y remédi­er ? Le Pr Justin Michel, chef du ser­vice ORL adulte du CHU de Mar­seille, spé­cial­isé en rhi­nolo­gie, nous répond.

odorat justin michel

Mise en lumière lors de la pandémie liée au Covid-19, la perte de l’odorat est un symp­tôme courant et hand­i­ca­pant. De nom­breuses patholo­gies engen­drent des trou­bles sim­i­laires, notam­ment les can­cers au niveau des voies aérodi­ges­tives supérieures et les traite­ments des­tinés à les soign­er.

Comment fonctionne notre odorat ?

Nous pos­sé­dons une petite zone très pré­cise dans le nez, où sont cap­tées les odeurs. « Tout en haut de la cav­ité nasale, juste en dessous du cerveau, se trou­ve la zone de l’olfaction. Une toute petite sur­face de 2 à 4 cm2 de muqueuse, où l’on retrou­ve les cap­teurs de l’odorat », décrit le Pr Justin Michel. « Ces cap­teurs sont directe­ment reliés au cerveau par des petits nerfs. »

La per­cep­tion d’une odeur com­prend qua­tre étapes :

  • la con­duc­tion : l’air apporte l’odeur vers la zone de l’odorat ;
  • les évène­ments péri-récep­teurs : l’odeur tra­verse un mucus qui la frag­mente en minus­cules molécules, pour que cha­cune se con­necte ensuite au bon récepteur ;
  • la trans­duc­tion : de ces récep­teurs part un mes­sage nerveux vers le bulbe olfac­t­if cérébral, situé juste de l’autre côté de l’os ;
  • l’intégration cen­trale : depuis le bulbe olfac­t­if, la con­nex­ion se fait ensuite vers le cerveau pour analyser l’odeur perçue.

Quels sont les différents types d’atteintes de l’odorat ?

Les altéra­tions de l’odorat pren­nent dif­férentes formes. Les trou­bles peu­vent être quan­ti­tat­ifs (per­cep­tion réduite des odeurs) ou qual­i­tat­ifs (per­cep­tion altérée des odeurs). Par­mi les trou­bles quan­ti­tat­ifs, on distingue : 

  • l’anos­mie, qui cor­re­spond à une perte totale de l’odorat ;
  • l’hypos­mie, qui cor­re­spond à une perte partielle.

Par­mi les trou­bles qual­i­tat­ifs, ou dysos­mies, on retrouve :

  • des dis­tor­sions des odeurs ou paros­mies, par exem­ple le choco­lat n’a plus l’odeur du chocolat ;
  • des hal­lu­ci­na­tions olfac­tives ou fan­tosmies.

Quelles sont les causes d’une perte de l’odorat lors d’un cancer ORL ?

Les atteintes sont sus­cep­ti­bles de sur­venir à dif­férents niveaux. Le spé­cial­iste, Pr Justin Michel, développe : « Cer­tains can­cers, situés dans le nez et les sinus notam­ment, peu­vent se répan­dre dans la zone de l’odorat. L’envahissement tumoral per­turbe la per­cep­tion des odeurs. »

Les traite­ments mis en place pour soign­er un can­cer sont par­fois respon­s­ables de trou­bles olfac­t­ifs. « Cer­taines chimio­thérapies, la radio­thérapie, une chirurgie impac­tant directe­ment la zone de l’odorat, auront des réper­cus­sions sur la manière de percevoir les odeurs », pour­suit l’expert. « Cer­taines chirur­gies qui mod­i­fient la cir­cu­la­tion de l’air, comme en cas de laryn­gec­tomie totale avec tra­chéos­tomie, ont aus­si un fort impact. L’air ne pas­sant plus par le nez, l’odorat est par con­séquent affecté. »

Ces troubles sont-ils fréquents en cancérologie ORL ?

Il n’existe pas de sta­tis­tique offi­cielle, car la prob­lé­ma­tique est encore très peu doc­u­men­tée. Le chirurgien ORL assure cepen­dant : « Quand on pose la ques­tion aux patients, beau­coup avouent que leur odor­at n’est plus le même qu’avant la mal­adie et les traitements. » 

Peut-on prévenir les altérations olfactives ?

Si vous devez subir une chirurgie, une radio­thérapie ou une chimio­thérapie pour traiter un can­cer ORL, il n’existe pas de solu­tion qui per­me­t­trait d’éviter à 100 % une altéra­tion de l’odorat. Le Pr Justin Michel évoque tout de même quelques con­seils utiles :

  • le sevrage tabag­ique. Au-delà de son impor­tance cru­ciale pour la réus­site des traite­ments et pour réduire les risques de récidive du can­cer, l’arrêt du tabac aide à préserv­er l’odorat de manière générale.
  • les lavages de nez, réguliers, pen­dant et après le pro­to­cole de traite­ment. Cela vaut surtout en cas de radio­thérapie affec­tant les fos­s­es nasales. Les lavages de nez (dans la lim­ite du pos­si­ble en faisant cir­culer du sérum phys­i­ologique d’une nar­ine à une autre), aident à élim­in­er les croûtes per­tur­bant le pas­sage de l’air et réduisent le risque de mau­vaise cicatrisation.

Troubles olfactifs : quelles conséquences au quotidien ?

Le lien entre « odor­at » et « goût » est sou­vent mis en avant pour expli­quer la perte de plaisir ali­men­taire asso­ciée à une perte de l’odorat. La sit­u­a­tion est plus com­plexe, comme l’explique le Pr Justin Michel : « Ce qui est com­muné­ment appelé « goût » est appelé « flaveur » en médecine. Il existe en réal­ité des odeurs, perçues par le nez, et des saveurs, perçues par la langue, qui sont le salé, le sucré, l’acide, l’amer et l’umami. Quand on mas­tique un ali­ment, il libère des odeurs qui passent vers le nez dans un phénomène appelé “rétro-olfac­tion”. L’ensemble de ces infor­ma­tions donne la flaveur, la per­cep­tion glob­ale de ce que l’on mange. »

En cas de perte de l’odorat, il ne reste plus que la per­cep­tion des cinq saveurs, ce qui peut forte­ment per­turber le plaisir ali­men­taire. « D’autant plus que, dans les can­cers ORL, il n’est pas rare de con­stater aus­si une perte de la per­cep­tion des saveurs. Asso­ciez à cela des trou­bles poten­tiels de la dég­lu­ti­tion, un manque pos­si­ble de salive, le risque de dénu­tri­tion est très impor­tant. »

Les perturbations de l’odorat sont elles temporaires ou définitives ?

Tout dépend de leur cause. Dans le cas d’une résec­tion chirur­gi­cale de la zone de l’odorat, il ne sera pas pos­si­ble de récupér­er des per­cep­tions olfac­tives. Quand les trou­bles sont liés à un vol­ume tumoral ou à des brides (tis­sus cica­triciels) qui entra­vent la cir­cu­la­tion de l’air dans le nez, le fait de les enlever rétablit l’odorat.

Enfin, pour les atteintes olfac­tives provo­quées par une radio­thérapie ou une chimio­thérapie, une réé­d­u­ca­tion peut amélior­er la sit­u­a­tion. Une réé­d­u­ca­tion est égale­ment pos­si­ble en cas de laryn­gec­tomie totale, pour appren­dre à faire cir­culer de l’air vers la zone de l’odorat.

Trouble de l’odorat lié à un cancer tête et cou : quelles sont les solutions ?

Avant tout, les trou­bles doivent être éval­ués. La plainte cor­re­spond-elle à une perte ou une baisse de l’odorat ? À des per­cep­tions dis­tor­dues ? Com­ment impacte-t-elle la qual­ité de vie ? « Le médecin ORL recherche la cause pos­si­ble de ces trou­bles », détaille le Pr Michel.

Après une radio­thérapie, il peut arriv­er que le nez se soit com­plète­ment bouché. Suite aux brûlures liées aux rayons, une mau­vaise cica­tri­sa­tion peut avoir fer­mé les nar­ines. Il s’agit d’une synéchie, un accole­ment des parois nasales. Une sim­ple fibro­scopie per­met de visu­alis­er les brides, qui peu­vent être réséquées sous anesthésie. La cir­cu­la­tion de l’air dans le nez rétablie, la per­cep­tion des odeurs est à nou­veau normale.

» Lire notre arti­cle sur les brûlures asso­ciées à la radiothérapie

« Face à une baisse de l’odorat liée à une tox­i­c­ité — en lien avec une radio­thérapie et/ou une chimio­thérapie -, il est pos­si­ble de pro­pos­er de la réé­d­u­ca­tion olfac­tive », assure le chef de ser­vice. « Il est intéres­sant de réalis­er un bilan de l’odorat ou olfac­tométrie, afin de bien com­pren­dre la sit­u­a­tion et d’évaluer l’évolution avec la rééducation. »

» Le point sur la réé­d­u­ca­tion olfac­tive est à décou­vrir ici

Dans le cas d’une perte de l’odorat liée à un virus, cer­tains cen­tres pro­posent des injec­tions de plas­ma riche en pla­que­ttes (ou PRP) dans la muqueuse nasale. Ces injec­tions aident à récupér­er de l’odorat grâce à leur effet anti-inflam­ma­toire et cica­trisant. La tech­nique n’a pas encore été testée dans le cadre de can­cer des voies aérodi­ges­tives supérieures.

Tous les ser­vices de can­cérolo­gie ORL ne sont pas sen­si­bil­isés de la même manière aux trou­bles de l’odorat. Le Pr Justin Michel con­clut avec un pré­cieux con­seil : « Si vous ressen­tez que l’équipe qui vous suit ne répond pas suff­isam­ment à votre plainte, vous pou­vez tout à fait vous tourn­er vers des équipes davan­tage spé­cial­isées dans le domaine de l’olfaction, tout en pour­suiv­ant le suivi de votre can­cer avec votre équipe initiale. »

Pro­pos recueil­lis par Vio­laine Badie

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