Le temps qu’on perd pour le diagnostic, c’est du temps perdu pour le pronostic et la qualité de vie des patients, pour ces cancers qui, des fois, laissent des séquelles qui sont invalidantes.
Je m’appelle Sylvie Boisramé. Je suis professeure des universités, praticienne hospitalière en chirurgie orale et cheffe de pôle Organes des Sens au CHU de Brest. Je viens d’être élue directrice de l’UFR d’odontologie de Brest à l’université de Bretagne occidentale. Et puis parallèlement, je suis réserviste du service de santé des armées depuis seize ans.
Les cancers ORL, qu’on appelle aussi cancers de la tête et du cou, vont regrouper différents types de cancer qui vont affecter cette région, allant du nez à la gorge en passant par la cavité orale et les oreilles. Ils vont toucher les régions qui sont liées à plusieurs sens, que ce soit l’odorat, l’audition, la gustation, mais également à plusieurs fonctions, la respiration, la mastication, la déglutition et la phonation.
Les facteurs de risque, ils sont nombreux. On connaît essentiellement le tabac, l’alcool, les virus comme le papillomavirus, mais également la présence de pathologies de la muqueuse buccale, la présence également d’une mauvaise hygiène bucco-dentaire, une alimentation déséquilibrée et également des facteurs environnementaux.
Les diagnostics sont longs ou retardés, parce qu’on est face à plusieurs difficultés en France. Tout d’abord, il y a la démographie médicale qui fait que les délais d’attente ont augmenté. Sans parler de répartition territoriale, en 2023 en France, on a un médecin généraliste pour 820 habitants, un chirurgien dentiste pour 1500 habitants et un médecin ORL pour 35 000 habitants. Ce qui rend très compliqué d’avoir des rendez-vous en urgence et la rapidité dans la fluidité des parcours.
Ensuite, notre principale difficulté dans le diagnostic, justement de ces cancers tête et cou, tant du point de vue des patients que des médecins, c’est que les symptômes initiaux ne sont pas forcément douloureux au départ comme par exemple une ulcération comme un aphte qui n’est pas vraiment douloureux, ou un banal mal de gorge ou une douleur à une oreille. Les patients peuvent retarder la consultation parce que pour eux, ça n’apparaît pas si urgent que ça. Et au niveau médical, ça peut arriver également qu’on passe à côté, et c’est pour cela qu’on va sensibiliser tous les professionnels de santé.
Dans ce genre de pathologie, on va rencontrer, bien sûr, des patients âgés, éthylo-tabagiques, mais pas que. On a également des profils plus atypiques. Moi, récemment, j’ai eu en consultation une jeune femme qui avait une tuméfaction au niveau du palais dur et, en fait, elle a rencontré plusieurs professionnels de santé et le diagnostic a été tardif par la prise de rendez-vous.
Plus précoce est le diagnostic, meilleurs les résultats des thérapeutiques et la qualité de vie du patient sont.
D’où la nécessité de bien former dès le plus jeune âge nos étudiants en santé.
Aussi notre rôle de soignants, c’est de créer tous ensemble avec les patients, un réseau Sentinelles ville/hôpital pour permettre des parcours de soins facilités et rapides face à des symptômes évocateurs.
Si ça dure plus de trois semaines, on doit s’alerter.
Quand on a une douleur dans la bouche ou au moment d’avaler sa salive, une boule dans le cou qui ne disparaît pas en trois semaines, le nez bouché mais que d’un côté, la voix qui change, qui devient rauque, enrouée, une douleur dans le nez, que d’un côté, une douleur dans une oreille ou dans la gorge, mais également un aphte, un aphte qui ne part pas en trois semaines, ça doit alerter. Une dent qui bouge isolément ou une perte de poids rapide sans explication.
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