Soigné pour un cancer de la gorge depuis deux ans, Jacques a mis 18 mois pour récupérer un mode de vie « à peu près normal ». Parmi les nombreux effets secondaires qu’il doit gérer figurent les troubles de l’odorat — qui n’ont rien d’accessoire — ! Non sans humour, il raconte comment il a appris à améliorer le goût, auquel ces troubles sont étroitement liés.

« Tout le tintouin a commencé par cette phrase, prononcée par mon médecin ORL, le 5 juillet 2023 », se souvient Jacques. « Je suis embêté de vous dire qu’on a trouvé des cellules cancéreuses, vous avez un cancer, mais on ne sait pas où ».
Après une batterie d’examens, la petite boule que Jacques avait sentie fortuitement en se rasant se révèle être un cancer ORL-HPV au niveau de l’épiglotte.
« Un cancer peace and love attrapé quand j’avais 20 ans, lié au virus HPV contre lequel on ne vaccine pas que les filles. Les garçons, eux aussi, peuvent désormais être vaccinés”, précise-t-il.
De nombreux effets secondaires
Après 33 séances de radiothérapie et 6 séances de chimiothérapie, Jacques ressent de nombreux effets secondaires qui vont impacter sa qualité de vie. Au début, l’odorat semble être un sujet presque marginal. Jacques se souvient de n’avoir rien relevé d’anormal à l’hôpital.
« J’avais d’autres préoccupations plus essentielles : douleurs, sécheresse buccale, difficultés à déglutir, fatigue intense, chemobrain, baisse du moral…». Mais un mois plus tard, en rentrant chez lui à la fin des traitements, mauvaise surprise :
« L’odeur du café, alors que j’étais un consommateur régulier, m’était devenue insupportable, à la limite de provoquer des nausées. Comme les odeurs de cuisine : oignons, échalotes, sauces mijotées… Régulièrement, je sentais une odeur parasite de tabac froid qui n’existait pas », raconte-t-il.
Comme il continue de percevoir des odeurs, Jacques ne s’inquiète pas plus que cela. Il préfère améliorer le fonctionnement de ses glandes salivaires et de ses papilles. Il entreprend des séances d’Osteovox@, une technique manuelle pratiquée par des orthophonistes et des ostéopathes, visant à travailler tous les muscles de la mâchoire et du cou. Son orthophoniste lui suggère de creuser le sujet odorat pour essayer d’améliorer son goût. Elle l’oriente pour cela vers Emmanuelle Albert, orthophoniste à l’hôpital La Conception de Marseille, qui s’occupe de patients ayant perdu le goût et l’odorat pendant le Covid. « Elle m’a fait passer des tests de reconnaissance, de différenciation, d’intensité, de perception… J’étais capable de distinguer pas mal de choses mais avec de gros trous dans la raquette et un niveau de perception très faible ». Qu’à cela ne tienne ! La jeune femme lui propose une rééducation basée sur une série d’exercices de trois types, à pratiquer trois fois par jour :
- Stimulation de la voie ortho-nasale (la perception via les narines),
- Stimulation de la rétro-olfaction (la perception qui remonte de la bouche vers le nez) pendant les repas,
- Exercices neurosensoriels, en s’appuyant sur la mémoire des odeurs.
Des progrès encourageants
Très vite, Jacques améliore sa capacité de perception. « Au départ, il me fallait des inspirations longues et continues pour repérer des odeurs simples comme la menthe, le citron, la lavande ou le curry. Peu à peu, au bout d’une dizaine de jours, de simples inspirations par saccades ont suffi. ».
Pour compléter le programme, il s’est acheté un “Loto des odeurs” pour s’entraîner à distinguer une trentaine d’odeurs. « Cela fait 1 mois et ½ que je “joue” de temps en temps. Je “sens” sans difficulté. Mais je confonds encore beaucoup, notamment l’ananas et la fraise. Au global je me trompe quand même moins souvent. ».

Aussi volontaire que persévérant, ce courageux grand-père réalise à chaque repas des petites séances de rétro-olfaction : il souffle par le nez pendant qu’il fait semblant de mastiquer, en s’imaginant le goût que cela devrait avoir. « J’ai appris à écouter mon corps pour corriger certaines postures qui entretenaient douleurs et mal être. Par exemple, fermer la bouche pour respirer par le nez, minorer la sécheresse buccale, mieux dormir, ou encore mieux positionner la langue pour mieux déglutir et fermer plus naturellement la bouche. »
Grâce à cet entraînement intensif, Jacques a fait d’immenses progrès : il ne renifle plus. Il flaire, il hume… Il reconnaît même la fraîcheur de l’Eau de Cologne de Jean Marie Farina de Roger Gallet qu’il porte depuis longtemps, et ne compte pas s’arrêter là.
Il a déjà écrit un formidable récit (pas encore édité),”Y en a marre d’en avoir marre”, à l’effet cathartique. Il y raconte ses ressentis, ses relations avec ses soignants, ses proches, en particulier Marie, celle qui l’accompagne depuis toujours, envers et contre tout. Et cela ne manque pas de sel !
Par Céline Dufranc
POUR ALLER PLUS LOIN : Petit manuel pratique pour retrouver l’odorat et le goût d’Emmanuelle Albert