Comment continuer de s’aimer lorsque l’on a un cancer tête et cou ? C’est la question que nous avons posée à la psycho-oncologue Sophie Lantheaume, responsable de l’équipe Soins de Support, Coordination Cancérologie, Recherche Clinique à l’Hôpital Privé Drôme Ardèche.
Que diriez-vous aux femmes et aux hommes, qui souffrent du regard des autres ou qui, parfois, culpabilisent d’avoir un cancer ORL ?
Tout d’abord, je leur demanderais la fonction de cette culpabilité. La culpabilité est avant toute chose une colère contre soi-même. Quelles sont les conséquences de la culpabilité, émotionnellement, mais aussi au niveau de leurs pensées et de leurs comportements. Cette culpabilité peut-elle servir à « modifier » certains comportements ? Je pense par exemple à mettre en place davantage de comportements liés à la santé lorsque la culpabilité vient du fait de se sentir coupable d’avoir développé un cancer (fumer par exemple) : cette culpabilité peut-elle m’aider à mettre en place un sevrage tabagique par exemple ? Ensuite, lorsque ce sentiment de culpabilité apparaît, il est important de se parler à soi-même comme on le ferait avec une personne que l’on aime. Nous avons tendance à être beaucoup plus compatissant envers les autres qu’envers soi-même : c’est tout l’objet de mon dernier ouvrage1 sur l’auto-compassion. Savoir dans un premier temps repérer ces pensées qui nous font mal et ensuite tenter de les modifier pour progressivement avoir des pensées et des ressentis plus bienveillants envers soi-même. Le regard que les autres portent sur nous-même est souvent plus difficile à « assumer » lorsque l’on porte soi-même un regard négatif sur soi. Le regard de l’autre fait effet miroir. Le premier pas à réaliser est donc dans un premier temps vers soi…
Comment faire face à son image et s’aimer quand même ?
Travailler l’image de soi et développer davantage d’autocompassion peut se faire avec un professionnel psychologue par exemple. Les difficultés de s’aimer soi-même peuvent aussi bien venir des conséquences de la maladie mais aussi d’éléments, de vécus passés qui sont renforcés malheureusement par l’expérience de maladie. D’où l’intérêt d’aller vers un thérapeute. L’ouvrage S’aimer même avec un cancer permet d’avoir accès à un certain nombre d’outils comme les méditations centrées sur l’autocompassion. On sait aussi que partager avec d’autres personnes qui vivent la même chose, la même expérience, permet de s’alléger un peu des émotions qui nous traversent. C’est ce que l’on nomme l’humanité partagée : nous nous sentons moins seul dans ce que nous traversons. L’idée globale est de ne pas rester seul et c’est malheureusement ce qu’instinctivement nous avons tendance à faire lorsque notre image corporelle est altérée : nous avons tendance à nous replier sur nous-même alors que la compassion de l’autre et une présence bienveillante sont importantes. Enfin, d’autres professionnels de soins de support peuvent aider dans ce processus. Je pense notamment aux socio-esthéticiennes qui apportent un bien-être et permettent, par les différents soins et la relation d’aide adaptés, de mettre au travail l’image corporelle et l’image de soi.
Pour se sentir moins seul.e lorsque l’on est touché.e par un cancer tête et cou, il est possible d’échanger avec les adhérent.e.s de Corasso en distanciel dans le groupe Facebook fermé Corasso Échangeons, lors de nos visioconférences ou encore en présentiel
Pourquoi certains détournent le regard lorsqu’ils croisent des patients qui portent les stigmates de la maladie ?
Voir les conséquences de la maladie et des traitements chez les patients, c’est, pour les « bien-portants », se confronter directement à la possibilité qu’ils puissent tomber eux-mêmes malades et vivre la même chose. S’ils détournent le regard, c’est souvent parce qu’ils ne se sentent pas de se confronter et de faire face à cette « éventualité ». Baisser son regard parle aussi d’un possible sentiment de honte. Certaines personnes disent que dans ces moments-là, elles ne savent pas quoi faire : « Je ne sais pas où regarder. Si je regarde la personne, elle va penser que je la dévisage et si je ne la regarde pas, elle va penser que c’est de la pitié, ou qu’elle n’est pas regardable ». Je dirai que pour que chaque personne se sente plus à l’aise avec l’Autre, et l’autre malade, il faut se confronter régulièrement à cela : lire des choses sur le sujet, regarder, écouter des témoignages. Car effectivement, apporter un regard bienveillant et compatissant envers les autres, ça se travaille tout autant que le regard bienveillant et compatissant envers soi-même !
Comment aider les malades à faire preuve d’auto-compassion envers eux-mêmes ? Quel exercice « clé » pourrait les soulager ?
Il faut déjà les aider à identifier qu’ils ont des pensées « dures » envers eux-mêmes, ensuite parler de ce qu’est l’auto-compassion et puis leur proposer des outils : l’écoute de podcast sur le sujet peut aider par exemple ; entendre des témoignages d’autres patients ; participer à des groupes de parole avec des pairs aussi (si on se sent de se retrouver avec d’autres patients) ; dans mon ouvrage, il y a un accès tout à la fin à des méditations d’autocompassion spécifiquement dans l’expérience de la maladie en ligne grâce au QRcode ; enfin, accéder à un professionnels (psychologue, socio-esthéticienne, etc.).
Propos recueillis par Céline Dufranc
1S’aimer même avec un cancer
Edition IN PRESS