Reconstruction physique et mentale : « Même avec de très bonnes explications, on ne réalise pas vraiment ce qui nous attend »

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La chirurgie des­tinée à soign­er un can­cer de la sphère ORL implique, dans la très grande majorité des cas, une phase de recon­struc­tion avec un lam­beau libre (tis­sus sains prélevés à un autre endroit du corps). Char­lotte, Gérard et Sylvie ont con­nu cette greffe. Com­ment se sont-ils remis, à la fois physique­ment et psy­chologique­ment, après ces lour­des opéra­tions ? Ils témoignent.

Pour Char­lotte, 24 ans aujourd’hui, le diag­nos­tic est tombé en octo­bre 2021 : « Des douleurs à la langue lorsque je mangeais, je par­lais, j’avalais et un aphte qui ne guéris­sait pas. Ces symp­tômes m’ont poussé à con­sul­ter un médecin ORL. » Une semaine plus tard, le diag­nos­tic arrive : car­ci­nome épi­der­moïde du bord droit de la langue. Puis, tout s’enchaîne. Le pro­to­cole de soins pro­posé inclut l’amputation d’une par­tie de la langue, suiv­ie d’une recon­struc­tion avec des tis­sus mus­cu­laires pris dans le dos (mus­cle grand dor­sal). On lui annonce une inter­ven­tion de 8 à 10 heures, une pos­si­ble tra­chéo­tomie tem­po­raire, une grande cica­trice au niveau du dos… « Esthé­tique­ment, ma langue allait être plus ou moins de taille nor­male et j’espérais retrou­ver une bonne élo­cu­tion grâce à cela. Même s’il fal­lait subir cette grosse inter­ven­tion, j’étais per­suadée de faire le bon choix. » Un choix qu’elle ne regrette pas, avec plus de deux ans de recul. Finale­ment pas de tra­chéo­tomie, un rétab­lisse­ment et des pro­grès qu’elle juge « phénomé­naux » : « Au réveil, j’ai mis pas mal de temps à m’habituer au fait d’avoir cette sorte de patate dans la bouche, dans laque­lle je n’avais en plus aucune sen­si­bil­ité. J’avais encore le sou­venir de ma langue “nor­male ” d’avant. Puis, au fur et à mesure des jours, lorsque j’ai recom­mencé à par­ler, à boire, puis à manger (d’abord liq­uide évidem­ment), je m’y suis faite. »

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« J’avais encore le sou­venir de ma langue “nor­male ” d’avant »

Quelques séances de kinésithérapie suff­isent pour aider à tra­vailler les cica­tri­ces au niveau du cou et du dos. La chirurgie est com­plétée par de la radio­thérapie. Char­lotte se remet bien, s’estime même « ravie » du résul­tat de sa recon­struc­tion par lam­beau libre. Quelques mois plus tard, c’est la douche froide : « Une récidive locale au niveau du planch­er buc­cal qui infil­trait même le lam­beau ». Nou­velle opéra­tion avec nou­veau lam­beau, pro­gram­mée pour début 2023 : « J’allais être tra­chéo­tomisée à coup sûr, ce qui m’angoissait énor­mé­ment. On allait égale­ment me retir­er le planch­er buc­cal à droite ain­si qu’une baguette osseuse de mandibule et qua­tre dents. Et tout ce qui serait enlevé serait comblé par une greffe par lam­beau libre de cuisse. Je l’ai vécu vrai­ment dif­férem­ment, beau­coup plus dif­fi­cile­ment que la pre­mière fois. J’ai eu de gross­es com­pli­ca­tions et, du fait de la radio­thérapie, mes vais­seaux san­guins n’étaient pas en bon état. La greffe de lam­beau n’a pas pris. » Une troisième inter­ven­tion est néces­saire, avec prise de lam­beau libre sur l’autre cuisse. La recon­struc­tion est un suc­cès, même si elle a forte­ment mar­qué la jeune patiente : « Mon vis­age a triplé de vol­ume, en plus je n’avais plus de cheveux, j’étais mécon­naiss­able. La greffe était très gon­flée et je n’arrivais même pas à fer­mer la bouche. J’étais telle­ment angois­sée en plus que ce nou­veau lam­beau ne prenne pas non plus. La cica­tri­sa­tion est lente, douloureuse. « J’ai vécu des moments très dif­fi­ciles. Mais je savais que je n’avais pas le choix et que tout ça, c’était pour me sauver. »

« J’ai vécu des moments très dif­fi­ciles. Mais je savais que je n’avais pas le choix et que tout ça, c’était pour me sauver. »

Gérard, 80 ans, évoque des dif­fi­cultés sim­i­laires lors de ses inter­ven­tions de recon­struc­tion. Pour lui, un diag­nos­tic de car­ci­nome au niveau de la mandibule (mâchoire inférieure) a été annon­cé en sep­tem­bre 2022 : « Je per­dais des dents depuis quelques mois, il m’a fal­lu con­sul­ter plusieurs chirurgiens-den­tistes avant que l’on ne m’oriente vers le stom­a­to­logue qui a per­mis de diag­nos­ti­quer le can­cer. » L’intervention des­tinée à résé­quer la tumeur et à recon­stru­ire la par­tie de la mandibule retirée est pro­gram­mée en novem­bre 2022. La zone de prélève­ment pour le lam­beau libre : l’os péroné, dans la jambe, accom­pa­g­né d’une par­tie des mus­cles à prox­im­ité et des vais­seaux qui les irriguent. « J’ai plutôt ten­dance à pren­dre les choses au fur et à mesure qu’elles arrivent, donc je ne me suis pas inquiété out­re mesure avant cette lourde opéra­tion. J’étais plutôt con­fi­ant, après ce que m’avaient expliqué les médecins. Étant un grand marcheur, je me suis inter­rogé sur l’état de ma jambe après le prélève­ment de lam­beau, mais le chirurgien m’a ras­suré. » Quid des futures cica­tri­ces ? « On m’a expliqué qu’elles seraient peu vis­i­bles, dans le pli du cou, donc je ne m’en suis pas vrai­ment soucié. Le seul point plus gênant qui m’a été annon­cé est que l’intervention néces­si­tait de sec­tion­ner le nerf de la lèvre inférieure et que je perdrais donc toute sen­si­bil­ité. » Gérard devra subir deux autres opéra­tions suite à sa recon­struc­tion, d’abord à cause de la décou­verte de cel­lules pos­si­ble­ment can­céreuses à la lim­ite de la zone retirée, puis pour fix­er davan­tage le gref­fon. « Au fil des inter­ven­tions, les œdèmes post-opéra­toires étaient de plus en plus volu­mineux et donc la cica­tri­sa­tion plus longue. J’ai béné­fi­cié d’un accom­pa­g­ne­ment avec un ortho­phon­iste pour recom­mencer tout douce­ment à dég­lu­tir, puis à manger, avec un kinésithérapeute max­il­lo-facial pour tra­vailler l’ouverture de la mâchoire, les mou­ve­ments de langue, pour mass­er les cica­tri­ces. J’ai aus­si vu un diététi­cien-nutri­tion­niste, mais moins fréquem­ment. Enfin, une infir­mière à domi­cile m’a ren­du vis­ite pen­dant plusieurs semaines, pour les panse­ments des cica­tri­ces de la jambe et du cou et pour les soins de la gas­tros­tomie, que j’ai gardée jusqu’à Pâques 2023. »

« Étant un grand marcheur, je me suis inter­rogé sur l’état de ma jambe après le prélève­ment de lambeau »

Les recon­struc­tions avec lam­beau libre peu­vent se faire, dans la majorité des cas, dans le même temps que l’intervention des­tinée à retir­er la tumeur ORL. Par­fois, comme pour Sylvie, 64 ans, elle doit se faire par étapes. Une longue bataille s’engage alors. « J’ai dû être amputée d’une toute petite par­tie du nez suite à un diag­nos­tic de car­ci­nome épi­der­moïde infil­trant fin 2014. Une inter­ven­tion assez sim­ple. Un an plus tard, on m’a annon­cé une récidive vio­lente, à l’intérieur du nez cette fois, qui a néces­sité une ampu­ta­tion com­plète », racon­te-t-elle. L’équipe médi­cale lui fait ren­con­tr­er un épithé­siste, pour fab­ri­quer des pro­thès­es en sil­i­cone. Une solu­tion tem­po­raire, Sylvie insiste pour une recon­struc­tion. « La pre­mière inter­ven­tion a pu avoir lieu en juin 2017, une fois les séances de radio­thérapie et de chimio­thérapie ter­minées et les tis­sus bien cica­trisés. » Les chirurgiens prélèvent de la peau sur la face intérieure son avant-bras et du car­ti­lage de côte. S’en suiv­ront dix autres inter­ven­tions, avec pris­es d’autres car­ti­lages de côtes, de peau au niveau du front (lam­beau dit « pédiculé). Durant ce par­cours du com­bat­tant, un staphy­lo­coque com­plique les choses, détru­it une par­tie du car­ti­lage nasal recon­stru­it, aug­mente encore le nom­bre d’interventions. « On m’avait expliqué les étapes pour refaire mon nez, mais entre ce que l’on entend et la réal­ité, c’est très dif­férent. Même avec de très bonnes expli­ca­tions, on ne réalise pas vrai­ment ce qui nous attend.» Patience et résilience sont les maîtres-mots du par­cours de Sylvie, qui n’est d’ailleurs « tou­jours pas ter­miné » : « L’orifice de mes nar­ines se rétréc­it, il fau­dra une nou­velle opéra­tion pour m’aider à mieux respir­er. » Opéra­tion pour l’heure en stand-bye, le temps qu’elle ter­mine un nou­veau pro­to­cole de soin, pour un can­cer de l’ovaire cette fois.

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Greffe du nez par lam­beau libre
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Sylvie après 11 opéra­tions de reconstruction

« Même avec de très bonnes expli­ca­tions, on ne réalise pas vrai­ment ce qui nous attend »

« Au tout début, les inter­ven­tions chirur­gi­cales se sont bien enchaînées, donc il était assez facile de garder le moral, de s’accrocher. Puis elles se sont espacées, avec même une grande pause à cause du Covid. J’ai com­mencé à ressen­tir des angoiss­es. Cela allait-il finir un jour ? » Même si Sylvie recon­naît ne jamais avoir eu peur face à la lour­deur des chirur­gies à subir, elle avoue avoir été affec­tée par le regard des gens. « Après les opéra­tions, on se retrou­ve gon­flé, défor­mé. Je me sou­viens même que mon mari est entré dans ma cham­bre et ne m’a pas recon­nue. » Plus que ses proches, ce sont les incon­nus qui l’ont ramenée plus sou­vent à son apparence physique trans­for­mée : « Les regards insis­tants, embar­rassés, lim­ite apeurés. J’aurais préféré que l’on me pose directe­ment des ques­tions pour savoir ce qui m’arrivait. » Sa solu­tion : l’autodérision. « Je me suis moi-même affublée de surnoms qui cor­re­spondaient à mon apparence. Comme Ele­phant Women ou Madame Dum­bo », explique-t-elle avec un sourire.

Mal­gré sa grande force de car­ac­tère, Sylvie loue l’aide psy­chologique dont elle a pu béné­fici­er, relayée par un suivi avec une sophro­logue. « Ce nou­v­el organe qui est fab­riqué n’a aucune sen­si­bil­ité, il n’a pas la même struc­ture, la même sou­p­lesse qu’un vrai nez. Même si je me suis habituée à ce nou­veau vis­age, il m’a fal­lu du temps avant de réhabiter cette zone. Pen­dant un cer­tain temps, c’est comme s’il y avait un trou, si cette par­tie de mon corps n’existait plus. La sophrolo­gie m’a appris à y refaire pass­er de la couleur, de la chaleur. »

« Même si je me suis habituée à ce nou­veau vis­age, il m’a fal­lu du temps avant de réhabiter cette zone »

Cette phase de réap­pro­pri­a­tion de son corps, trans­for­mé, recon­stru­it, est essen­tielle pour vivre au mieux avec ces greffes de lam­beau libre. Gérard s’estime sat­is­fait du ren­du « esthé­tique » et pour­suit son tra­vail pour vivre avec une nou­velle mâchoire et les séquelles asso­ciées : « Sans sen­si­bil­ité au niveau de la lèvre, je peux avoir de la salive qui s’écoule sans que je ne m’en rende compte. Les repas restent encore dif­fi­ciles, car très longs et fati­gants. Je ne peux plus aller au restau­rant par exem­ple. » Il préfère se focalis­er sur ce qui « va mieux ». Sa jambe d’abord, « par­faite­ment cica­trisée », lui a per­mis de repren­dre ses ran­don­nées heb­do­madaires. Son vis­age, ensuite, qui a pu retrou­ver un aspect nor­mal. « J’avais dû m’éloigner quelques temps de mes activ­ités asso­cia­tives, ce qui avait été très dif­fi­cile. Aujourd’hui, j’ai pu tout repren­dre », se réjouit-il.

Char­lotte recon­naît égale­ment que son quo­ti­di­en a changé, par la force des choses : « Bien que les cica­tri­ces en elles-mêmes ne me dérangent pas, mes cuiss­es sont irrégulières du fait de la peau qui a été prélevée. J’ai ain­si plus sou­vent ten­dance à les cacher aujourd’hui et à plutôt porter des robes ou des jupes longues en été. J’ai aus­si du mal à retrou­ver ma force mus­cu­laire, je me sens par­fois lim­itée. » Son vis­age ne s’est pas trou­vé impacté par la greffe, hormis une légère asymétrie lorsqu’elle prend la parole. « Con­cer­nant l’élocution et l’alimentation, c’est loin d’être par­fait. J’aimerais que ce soit mieux. » Même si elle pense avec nos­tal­gie à celle qu’elle était avant, elle affirme que son par­cours est devenu une force : « Psy­chologique­ment, ce n’est pas tous les jours sim­ple, car j’ai par­fois l’impression que per­son­ne ne com­prend ou ne mesure l’ampleur de ce que j’ai vécu. J’essaye de trou­ver des astuces pour mieux me faire com­pren­dre ou pour me faciliter la vie pour manger. Ce qui me per­met d’accepter tout cela, c’est d’essayer de vivre la vie la plus nor­male possible. »

« Psy­chologique­ment, ce n’est pas tous les jours sim­ple, car j’ai par­fois l’impression que per­son­ne ne com­prend ou ne mesure l’ampleur de ce que j’ai vécu »

Si nos trois témoins ont accep­té de partager leur expéri­ence, c’est pour par­ler de leur vécu, certes. Mais aus­si pour par­ticiper à la sen­si­bil­i­sa­tion aux can­cers ORL. Des can­cers qui lais­sent des traces, dont il faut être fier, comme l’affirme Char­lotte : « Con­cer­nant mes cica­tri­ces, je les assume plutôt bien, parce que je me dis qu’elles reflè­tent mon par­cours et ce que j’ai tra­ver­sé. Cha­cun de nous a des cica­tri­ces, qu’elles soient physiques ou non, et c’est ce qui nous rend uniques ! »

Pro­pos recueil­lis par Vio­laine Badie

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