Des outils pour entendre

Les pro­to­coles de soins mis en place pour lut­ter con­tre un can­cer tête et cou sont sus­cep­ti­bles d’engendrer dif­férents types de sur­dités. Des appareil­lages aident sou­vent à restau­r­er une bonne com­préhen­sion audi­tive. Leur util­i­sa­tion peut être com­plétée par d’autres con­seils et réé­d­u­ca­tions. Pas­sage en revue avec le Dr Romain Tourne­gros, ORL prati­cien hos­pi­tal­ier et chef de ser­vice adjoint à l’hôpital Lyon-Sud, et Stéphanie Borel, ortho­phon­iste au cen­tre implant audi­tif de la Pitié-Salpêtrière (APHP).

Des trou­bles de l’audition con­sé­cu­tifs au traite­ment d’un can­cer ORL sont loin d’être sys­té­ma­tiques. Toute­fois, lorsqu’ils survi­en­nent, ils con­stituent un hand­i­cap non-nég­lige­able. La perte audi­tive peut être vari­able, par­tielle ou totale, au niveau d’une seule oreille ou des deux. Pour restau­r­er une bonne qual­ité de vie, un appareil­lage peut être envisagé.

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Les différents appareillages pour remédier à une surdité

Avant tout, l’appareillage audi­tif ne sera envis­agé que lorsque la perte d’audition est con­sid­érée comme défini­tive. Il peut arriv­er que cer­tains trou­bles audi­tifs qui appa­rais­sent au cours d’un pro­to­cole de soins anti-can­céreux soient transitoires.

Quand con­sid­ère-t-on qu’une perte audi­tive est défini­tive ? « Cela dépend de son éti­olo­gie et des lésions très dif­férentes que celle-ci engen­dre », répond l’ORL Dr Romain Tourne­gros, spé­cial­isé dans la prise en charge des patholo­gies de l’oreille (oto-neu­rolo­gie). Les sur­dités provo­quées par une chimio­thérapie ne sont pas réversibles, tout comme cer­taines sur­dités causées par une radio­thérapie, une fois l’inflammation ini­tiale résolue, ou par une chirurgie impor­tante et touchant à l’intégrité de l’appareil auditif.

« Les patients soignés pour un can­cer des voies aérodi­ges­tives supérieures sont générale­ment suiv­is par un médecin ORL, c’est donc lui qui éval­uera si un appareil­lage peut être une bonne option pour pal­li­er la sur­dité », pour­suit le Dr Tourne­gros. En cas de traite­ment par radio­thérapie, sachez que les effets sec­ondaires se font ressen­tir par­fois de manière très tar­dive, des mois voire des années après l’arrêt des rayons. Si des trou­bles audi­tifs survi­en­nent une fois le suivi pour votre can­cer ter­miné, con­sul­tez un ORL libéral pour effectuer un bilan (en men­tion­nant vos antécé­dents médi­caux) et pour rechercher des solu­tions adaptées.

Voici les dif­férents appareils audi­tifs existants :

  • les appareils clas­siques, de dif­férentes formes (allant de la pro­thèse invis­i­ble, logée dans le creux de l’oreille, à la pro­thèse con­tour d’oreille). Ils remé­di­ent à des sur­dités légères à pro­fondes, jamais complètes.
  • les appareils CROS, en cas de sur­dité totale uni­latérale. Cet appareil­lage com­prend deux par­ties : un appareil logé dans l’oreille sourde capte les vibra­tions sonores et trans­met les infor­ma­tions par WIFI à un appareil posi­tion­né dans l’oreille saine. C’est donc cette oreille fonc­tion­nelle qui analyse tous les bruits environnants.
  • les implants cochléaires, envis­agés en cas de sur­dité sévère à pro­fonde et bilatérale. Ils néces­si­tent d’être ori­en­tés vers un cen­tre chirur­gi­cal spé­cial­isé. L’intervention con­siste à pos­er des élec­trodes dans l’oreille interne, qui trans­met les vibra­tions sonores à un boîti­er dis­posé sous la peau.

« Les patients soignés pour un can­cer des voies aérodi­ges­tives supérieures sont générale­ment suiv­is par un médecin ORL,
c’est donc lui qui éval­uera si un appareil­lage peut être une bonne option pour pal­li­er la surdité. »

Ces dif­férents appareils restau­rent une audi­tion sou­vent très accept­able. Cepen­dant, une gêne per­siste par­fois lors des con­ver­sa­tions, dans cer­tains envi­ron­nements bruyants par exem­ple. Pour faciliter le quo­ti­di­en, il existe dif­férentes méth­odes de réé­d­u­ca­tion et tech­niques à met­tre en place. 

Con­cer­nant les pro­thès­es audi­tives « clas­siques », leur prise en charge atteint désor­mais 100 % entre l’Assurance mal­adie et les com­plé­men­taires san­té, pour les appareils de classe 1. La prise en charge reste par­tielle pour les appareils de classe 2 (dis­posant de davan­tage d’options). « Pour les patients qui souhait­ent éviter les restes à charge, les appareils de classe 1 peu­vent être tout à fait sat­is­faisants. Il est impor­tant de le savoir pour éviter de se tourn­er vers des appareils vus sur Inter­net par exem­ple, qui ne sont pas de vrais appareils audi­tifs mais de sim­ples amplifi­ca­teurs sonores. L’amélioration de l’audition ne sera pas du tout com­pa­ra­ble », met en garde Dr Romain Tournegros.

La place de la rééducation orthophonique en cas de surdité

Le rôle des ortho­phon­istes dans le suivi post-can­cer ORL est mul­ti­ple : pour pal­li­er des trou­bles de la dég­lu­ti­tion, des dys­pho­nies, mais aus­si face à des sur­dités.

Quelle aide peut apporter l’orthophoniste ?

« Durant le par­cours de soins, les patients sont amenés à ren­con­tr­er le médecin ORL, puis l’audioprothésiste. L’orthophoniste arrive comme troisième inter­venant dans cette chaîne », informe Stéphanie Borel, ortho­phon­iste au cen­tre implant audi­tif de la Pitié-Salpêtrière (APHP) et Maître de Con­férences au Départe­ment d’Orthophonie de Paris (Sor­bonne Uni­ver­sité). « Cela ne se fait pas de manière sys­té­ma­tique, pour plusieurs raisons. Le médecin ou l’audioprothésiste ne pense pas tou­jours à ori­en­ter les patients vers nous, et tous les ortho­phon­istes ne s’occupent pas de la prise en soin des surdités. »

Cepen­dant, se tourn­er vers ces pro­fes­sion­nels revêt un intérêt majeur dans cer­tains cas : vous êtes appareil­lé et avez retrou­vé un cer­tain niveau d’audition, mais restez gêné dans les envi­ron­nements bruyants ou quand plusieurs per­son­nes par­lent en même temps, voire ressen­tez que men­er une con­ver­sa­tion vous demande beau­coup d’effort et cause de la fatigue. « La sur­dité, quand elle s’ajoute poten­tielle­ment à d’autres hand­i­caps liés au can­cer, peut forte­ment impacter la vie sociale et avoir de lour­des con­séquences émo­tion­nelles », insiste Stéphanie Borel.

Pour être adressé vers un ortho­phon­iste, il suf­fit de dis­pos­er d’une pre­scrip­tion médi­cale stan­dard d’un médecin général­iste ou d’un médecin ORL indi­quant « pre­scrip­tion d’un bilan ortho­phonique avec réé­d­u­ca­tion si néces­saire ». Une pre­mière con­sul­ta­tion per­met ensuite d’effectuer un bilan com­plet. Si l’orthophoniste estime qu’une réé­d­u­ca­tion est néces­saire, il pro­posera un suivi avec, en général, une séance de 30 à 45 min­utes par semaine. La durée de ce suivi varie en fonc­tion des besoins et des objec­tifs, fixés con­join­te­ment avec le patient.

Les réé­d­u­ca­tions ortho­phoniques béné­fi­cient d’une prise en charge à 100%, 60 % par l’Assurance mal­adie et 40 % par la com­plé­men­taire san­té. Depuis 2021, les télé­con­sul­ta­tions sont autorisées en ortho­phonie. Les séances peu­vent donc s’effectuer en visio­con­férence, à con­di­tion que le patient et l’orthophoniste soient tous deux d’accord.

« La sur­dité, quand elle s’ajoute poten­tielle­ment à d’autres hand­i­caps liés au can­cer, peut forte­ment impacter la vie sociale et avoir de lour­des con­séquences émotionnelles »

Audition, cognition, lecture labiale : les trois volets de la rééducation

L’objectif d’une réé­d­u­ca­tion ortho­phonique n’est pas de restau­r­er l’audition. C’est le rôle de l’appareillage. L’orthophonie se focalise sur la facil­ité de com­préhen­sion, sur la réduc­tion de l’effort d’écoute, qui peut se révéler épuisant. Pour cela, les séances regroupent trois axes :

  • l’entraînement audi­tif : « Pour aider le patient à s’adapter à son appareil­lage, l’aider, dans le bruit, à répéter des mots, des phras­es, à mieux com­pren­dre », détaille Stéphanie Borel.
  • l’entraînement cog­ni­tif : « Pour met­tre en place des sup­pléances men­tales, appren­dre à déduire ce qui n’a pas été com­pris. Il s’agit de faire un tra­vail de mémoire, de logique, de mus­cler son cerveau pour qu’il comble les trous liés à un déficit audi­tif et com­prenne la con­ver­sa­tion dans son ensemble. »
  •  la lec­ture labi­ale : « Pour com­pléter ce qui n’a pas été enten­du. Une per­son­ne qui n’est pas née sourde ne sera jamais en capac­ité de com­pren­dre l’intégralité d’une con­ver­sa­tion à tra­vers la lec­ture labi­ale. C’est un out­il com­plé­men­taire de l’audition, pour apporter davan­tage de con­fort dans le bruit. » 

« L’orthophonie se focalise sur la facil­ité de com­préhen­sion, sur la réduc­tion de l’effort d’écoute, qui peut se révéler épuisant. Pour cela, les séances regroupent trois axes : l’entraînement audi­tif, l’entraînement cog­ni­tif,
la lec­ture labiale. »

Exemple d’exercice d’entraînement auditif : 

Stéphanie Borel illus­tre : « Nous pou­vons met­tre un bruit de cock­tail par­ty en fond, avec des con­ver­sa­tions mélangées comme au restau­rant, et lire un petit texte au patient. En cachant nos lèvres, l’intérêt ici est de se con­cen­tr­er unique­ment sur l’audition. On demande ensuite ce qui a été compris. »

Exemple d’exercice d’entraînement cognitif :

« On va pronon­cer plusieurs mots au patient, en lui deman­dant de retenir la pre­mière let­tre de chaque et de recréer un nou­veau mot avec ces let­tres. Si je lui dis “sil­hou­ette”, “ori­g­an”, “cathéter”, “litote”, “émer­veille­ment”, il doit faire un tra­vail cérébral pour me redonner à la fin de mot “SOCLE” », explique la spécialiste.

Exemple d’exercice de lecture labiale :

« Avant de com­mencer à déchiffr­er des mots, nous entraînons le patient à recon­naître les visèmes, les sons de manière visuelle, en bougeant les lèvres. Je peux énon­cer trois mots dif­férents, sans son, et deman­der qu’ils com­men­cent par la même voyelle ou par des voyelles dif­férentes. Je peux deman­der à analyser com­ment se com­por­tent mes lèvres quand je tente de pro­duire les sons “PA” et “FA” », énumère l’orthophoniste de l’APHP. « Une fois les visèmes appris, on peut les inté­gr­er dans des mots, puis des phrases. »

Les stratégies de communication et le rôle de l’entourage

L’orthophoniste délivre égale­ment de nom­breux con­seils à adopter au quo­ti­di­en pour réduire autant que pos­si­ble les efforts de com­préhen­sion. Stéphanie Borel évoque quelques exem­ples : « On évit­era les envi­ron­nements très bruyants si on veut suiv­re une con­ver­sa­tion, on veillera à ce que l’interlocuteur ne soit pas en con­tre-jour afin de bien voir son vis­age et ses lèvres… »

Les proches aus­si jouent un rôle essen­tiel pour faciliter le quo­ti­di­en de per­son­nes souf­frant de sur­dité : éviter de par­ler en étant à l’autre bout de la mai­son, répéter des phras­es com­plètes plutôt que des mots isolés, s’assurer d’un con­tact visuel… Autant de petites habi­tudes qui peu­vent grande­ment con­tribuer à amélior­er la com­préhen­sion audi­tive tout en réduisant les efforts immenses qu’elle peut par­fois exiger.

« Les proches aus­si jouent un rôle essen­tiel pour faciliter le quo­ti­di­en de per­son­nes souf­frant de surdité. »

Quelques ressources utiles

Si vous recherchez des sources d’information pour mieux appréhen­der une sur­dité, à des­ti­na­tion de la per­son­ne touchée ou bien de l’entourage per­son­nel et pro­fes­sion­nel, si vous souhaitez trou­ver des aides locales (asso­ci­a­tions de prox­im­ité, pro­fes­sion­nels de san­té, stages de lec­ture labi­ale, etc.), vous pou­vez con­sul­ter ces trois sites :

Pro­pos recueil­lis par Vio­laine Badie

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