Cancer du massif facial

La rareté des can­cers du mas­sif facial (3 % des can­cers ORL) impose une prise en soin spé­cial­isée afin de dis­pos­er des meilleures options thérapeu­tiques. Des symp­tômes aux traite­ments, en pas­sant par les pos­si­bles séquelles et les dif­férents suiv­is néces­saires, le point avec le Pr Antoine Moya-Plana chirurgien ORL à Gus­tave-Roussy et respon­s­able de la réu­nion de con­cer­ta­tion pluridis­ci­plinaire nationale du REFCOR (Réseau d’Expertise Français sur les Can­cers ORL Rares).

Que comprend le massif facial ?

Ce terme englobe la cav­ité nasale ain­si que les dif­férents sinus :

  • le sinus max­il­laire ;
  • le sinus frontal ;
  • l’eth­moïde ou sinus eth­moï­dal ;
  • le sphénoïde ou sinus sphénoï­dal.
schema sinus

« La prin­ci­pale com­plex­ité des can­cers du mas­sif facial est qu’ils touchent le vis­age. Ils se trou­vent ain­si à prox­im­ité de struc­tures anatomiques que l’on pour­rait qual­i­fi­er de nobles, comme l’orbite, la base du crâne, le cerveau, les méninges… Ces critères en font un can­cer dif­fi­cile à opér­er et à irradier », explique le Pr Moya-Plana.

Par­mi les types de can­cers pou­vant affecter cette zone anatomique, on y retrou­ve « plus d’une trentaine d’histologies dif­férentes ». En d’autres ter­mes, une tumeur prenant nais­sance dans le mas­sif facial peut se dif­férenci­er en un très grand nom­bre de sous-types, com­prenant des tis­sus dif­férents aux car­ac­téris­tiques très variables.

Il s’agit prin­ci­pale­ment de can­cers de l’épithélium, le tis­su de revête­ment des cav­ités nasales et sinusi­ennes. On par­le alors de car­ci­nome épi­der­moïde, iden­tique à celui qui touche majori­taire­ment le reste des voies aérodi­ges­tives supérieures. Il est plus fréquent au niveau du sinus max­il­laire. « D’autres types de can­cers peu­vent touch­er des glan­des sali­vaires acces­soires, l’os, le car­ti­lage… », com­plète le chirurgien cervico-facial.

« On y retrou­ve plus d’une trentaine d’histologies différentes »

Existe-t-il des facteurs de risque avérés ?

« Iden­ti­fi­er des fac­teurs de risque est déjà dif­fi­cile pour les can­cers rares des voies aérodi­ges­tives supérieures. Ça l’est encore plus pour des can­cers très rares », recon­naît le spé­cial­iste en oncolo­gie ORL. Cer­taines expo­si­tions pro­fes­sion­nelles sont tout de même recon­nues comme aug­men­tant le risque de dévelop­per un can­cer au niveau du mas­sif facial. C’est le cas :

  • de l’expo­si­tion chronique à la pous­sière de bois, respon­s­able d’un can­cer retrou­vé prin­ci­pale­ment dans le sinus eth­moïde et surnom­mé « adéno­car­ci­nome du menuisier » ;
  • d’expo­si­tion à l’inhalation de pro­duits tox­iques dans le secteur indus­triel (chau­dron­ner­ie, etc.), qui peu­vent aus­si con­duire à des can­cers des sinus.

Le port d’un masque de pro­tec­tion indi­vidu­elle, l’installation d’une souf­flerie, l’aération… sont autant de moyens de préven­tion effi­caces pour pro­téger les tra­vailleurs exposés. Des dépistages sont générale­ment organ­isés pour touch­er ces pop­u­la­tions par­ti­c­ulière­ment à risque.

« Une par­tie des can­cers du nez sont aus­si favorisés par le tabac, plutôt au niveau de la pointe », com­plète Antoine Moya-Plana. Enfin, cer­tains can­cers des fos­s­es nasales, plutôt des car­ci­nomes épi­der­moïdes, peu­vent être liés à un virus HPV (pour papil­lo­mavirus humain).

Quels peuvent être les symptômes d’un cancer des sinus ou des fosses nasales ?

Ils ne sont pas spé­ci­fiques aux can­cers du mas­sif facial et se retrou­vent glob­ale­ment dans nom­bre de can­cers ORL : une nar­ine bouchée, un nez qui coule ou des saigne­ments, tou­jours du même côté, qui per­sis­tent au-delà de 3 semaines, sont des signes d’alerte qui doivent amen­er à con­sul­ter rapidement.

Une tumeur au niveau d’un sinus ou des fos­s­es nasales peut aus­si se man­i­fester par une perte d’odorat, une douleur au niveau de la joue, éventuelle­ment un œdème voire une inva­sion de la peau (altéra­tion vis­i­ble type nod­ule, ulcéra­tion, etc.).

« Quand la tumeur évolue et touche une orbite, elle peut engen­dr­er des prob­lèmes au niveau de l’œil, avec par exem­ple un œdème de la paupière, des prob­lèmes de vision avec une vision dou­ble voire une perte d’acuité visuelle pou­vant aller jusqu’à la céc­ité », développe le Pr Moya-Plana. Mal­heureuse­ment, ces tumeurs sont diag­nos­tiquées à un stade locale­ment avancé dans env­i­ron trois quarts des cas, d’où la néces­sité de con­naître les signes les plus pré­co­ces (obstruc­tion, écoule­ments ou saigne­ments unilatéraux).

« Une nar­ine bouchée, un nez qui coule ou des saigne­ments, tou­jours du même côté, qui per­sis­tent au-delà de 3 semaines,
sont des signes d’alerte »

Ratio homme/femme, pronostic vital…

Du fait de leur très grande vari­abil­ité his­tologique, il est impos­si­ble de lis­ter des général­ités sta­tis­tiques sur les can­cers du mas­sif facial. Touchent-ils plus les hommes que les femmes ? La réponse peut être apportée pour cer­tains sous-types de can­cers seule­ment : « L’adénocarcinome du menuisi­er touche très claire­ment plus les hommes, large­ment plus représen­tés dans les pro­fes­sions à risque. Pour les car­ci­nomes adénoïdes kys­tiques des glan­des sali­vaires acces­soires, ce sont davan­tage les femmes qui en sont atteintes, sans que l’on puisse toute­fois l’expliquer », cite le chirurgien ORL.

Il en va de même pour les taux de survie, très vari­ables d’un sous-type his­tologique à l’autre : « L’adénocarcinome du menuisi­er se soigne générale­ment très bien par exem­ple. À l’inverse, des tumeurs indif­féren­ciées de haut grade sont beau­coup plus agres­sives, avec un pronos­tic plus réservé. »

Comment est posé le diagnostic ?

Suite à l’observation de symp­tômes listés ci-dessus, le patient est adressé vers une con­sul­ta­tion ORL. Le médecin spé­cial­isé met en évi­dence une masse dans le nez, par obser­va­tion directe ou à l’aide d’un fibro­scope, selon la local­i­sa­tion de la lésion tumorale. Une biop­sie est alors pra­tiquée, soit sous anesthésie locale si la tumeur est facile d’accès, soit au bloc opéra­toire sous anesthésie générale (pour des tumeurs proches de la base du crâne, les patients sous anti-coag­u­lants, etc.).

L’analyse anato­mopathologique de la tumeur per­met de déter­min­er pré­cisé­ment son sous-type his­tologique. Le pro­to­cole de traite­ment dépend de cette car­ac­téri­sa­tion, qui se doit d’être la plus pré­cise pos­si­ble. « Pour cela, il faut que la biop­sie soit réal­isée dans les meilleures con­di­tions : bien au cœur de la tumeur, à dis­tance d’éventuels tis­sus nécro­tiques… », com­plète le Pr Moya-Plana. Comme ce diag­nos­tic peut s’avérer com­pliqué, le REFCOR (Réseau d’Expertise Français sur les Can­cers ORL Rares) dis­pose d’une branche spé­ci­fique à laque­lle il est pos­si­ble de faire appel : le REF­COR­path. Con­sti­tué de spé­cial­istes anato­mopathol­o­gistes de ces can­cers très rares, il pro­pose une « sec­onde lec­ture » des­tinée à con­firmer le diagnostic.

Un bilan d’extension est ensuite pre­scrit, des­tiné à déter­min­er l’étendue de la tumeur. « Un scan­ner cer­vi­co-facial injec­té per­met de visu­alis­er notam­ment les atteintes des gan­glions du cou et les atteintes osseuses. Puis une IRM cer­vi­co-faciale injec­tée aide à visu­alis­er les tis­sus mous, comme les exten­sions à l’orbite, au cerveau, aux nerfs… » Des exa­m­ens d’imagerie à dis­tance com­plè­tent ce bilan d’extension. Le choix dépend du type de can­cer et de ses risques de dissémination.

Quels traitements face à un cancer du massif facial ?

« Dans la majorité des cas, le traite­ment stan­dard con­siste en une chirurgie pour retir­er la tumeur, générale­ment com­plétée par une radio­thérapie post-opéra­toire », répond Antoine Moya-Plana. Pourquoi cette asso­ci­a­tion fréquente de chirurgie et radio­thérapie, alors qu’elle n’est pas aus­si sys­té­ma­tique pour d’autres can­cers des voies aéro-diges­tives supérieures ? En rai­son des marges d’exérèse sou­vent plus petites au niveau des sinus et des fos­s­es nasales. « Quand on opère, il nous faut retir­er des marges de tis­sus sains autour de la tumeur. Nous ne pou­vons pas nous le per­me­t­tre autant quand la tumeur est proche des méninges, du cerveau… » Chaque inter­ven­tion chirur­gi­cale des­tinée à retir­er une tumeur can­céreuse tente de préserv­er au mieux les organes adja­cents. « Ce n’est mal­heureuse­ment pas tou­jours pos­si­ble et nous sommes alors con­traints de retir­er des struc­tures anatomiques impor­tantes comme l’œil, un bout de parenchyme cérébral ou de dure-mère (par­tie super­fi­cielle des méninges, NLDR). »

« Les marges d’exérèse sont sou­vent plus petites au niveau des sinus et des fos­s­es nasales »

Des traite­ments par chimio­thérapie ou par immunothérapie peu­vent aus­si être pro­posés, en fonc­tion du type his­tologique de la tumeur ou de son extension.

« Nous savons que cer­taines tumeurs ne répon­dent pas du tout à la chimio­thérapie et mieux à de l’immunothérapie. Que d’autres ne doivent pas être opérées et doivent au con­traire soignées par radio-chimio­thérapie… », analyse le Pr Moya-Plana. « D’où la néces­sité de pos­er un diag­nos­tic très pré­cis afin de don­ner dès le départ les meilleures chances au patient, en lui pro­posant le traite­ment le plus adap­té à son cas. »

Si cette remar­que s’applique bien évidem­ment à tous les can­cers, elle revêt une impor­tance cru­ciale pour des tumeurs très rares comme celles du mas­sif facial. Des réu­nions de con­cer­ta­tion pluridis­ci­plinaires spé­cial­isées sont pro­posées au niveau région­al, au sein des cen­tres experts de lutte con­tre le can­cer. Elles sont com­plétées par des réu­nions nationales, organ­isées deux fois par mois. Ces dernières, que coor­donne le Pr Antoine Moya-Plana, per­me­t­tent de sol­liciter un sec­ond avis col­lé­gial sur ces cas com­plex­es de tumeurs rares. L’expert recom­mande d’ailleurs forte­ment « de s’adresser aux cen­tres experts afin d’améliorer la prise en soin ini­tiale de ces can­cers et les chances de survie ». « Des aides exis­tent pour favoris­er les déplace­ments, pour pro­pos­er un héberge­ment aux patients et aux familles… Tous les ren­seigne­ments sont dis­pen­sés sur le site du REFCOR. »

« S’adresser aux cen­tres experts afin d’améliorer la prise
en charge ini­tiale de ces can­cers et les chances de survie »

Effets secondaires, séquelles et qualité de vie

Les con­séquences esthé­tiques comme fonc­tion­nelles d’un can­cer du mas­sif facial dépen­dent de sa local­i­sa­tion, du type de tumeur et de son extension.

Au max­i­mum, les chirurgiens ten­tent de résé­quer la tumeur par voie endo­scopique, c’est-à-dire en pas­sant par les voies naturelles comme les nar­ines. Les cica­tri­ces externes sont ain­si évitées et la chirurgie ne désta­bilise pas le vis­age (tant qu’il n’y a pas d’autres tis­sus à retir­er). Toute­fois : « Cet abord n’est pas tou­jours adap­té à la tumeur et nous devons par­fois pra­ti­quer une chirurgie ouverte ou trans­fa­ciale. Cela sig­ni­fie cass­er l’os pour accéder à la tumeur, par­fois retir­er une par­tie du squelette du vis­age, un morceau du palais, le planch­er de l’orbite… » Les con­séquences devi­en­nent alors bien plus lour­des et néces­si­tent une longue série d’interventions chirur­gi­cales de reconstruction.

Au-delà des séquelles esthé­tiques évi­dentes, des altéra­tions fonc­tion­nelles sont aus­si fréquem­ment observées, comme des dif­fi­cultés à par­ler, à s’alimenter ou à dég­lu­tir, si le voile du palais est touché notamment.

La radio­thérapie pra­tiquée dans cette par­tie du crâne entraîne elle aus­si son lot d’effets sec­ondaires. Avec des per­tur­ba­tions éventuelles :

  • au niveau du vis­age, avec des brûlures types coups de soleil ;
  • au niveau des glan­des lacry­males avec des yeux qui ont ten­dance à pleurer
  • au niveau de l’odorat ;
  • au niveau de la vision : les rayons ion­isants aug­mentent le risque de cataracte (qui peut s’opérer) et de lésion des nerfs optiques, avec baisse voire perte de l’acuité visuelle.

Par­mi ces effets sec­ondaires, cer­tains finis­sent par s’atténuer et même par dis­paraître au bout que quelques mois. D’autres vont per­sis­ter à vie.

« Au max­i­mum, les chirurgiens ten­tent de résé­quer la tumeur par voie endo­scopique, c’est-à-dire en pas­sant par les voies naturelles comme les narines »

Quel suivi post-cancer ?

Il est dou­ble : à la fois pour sur­veiller la mal­adie et pour amélior­er autant que pos­si­ble les séquelles.

« Le suivi de la tumeur con­siste en un exa­m­en clin­ique et un exa­m­en radi­ologique — IRM locale le plus sou­vent -, tous les 4 mois pen­dant 2 ans, puis tous les 6 mois pen­dant 3 ans, puis 1 fois par an pen­dant au moins 5 ans. Ces ren­dez-vous sont com­plétés par un scan­ner à dis­tance, notam­ment des poumons, tous les ans », détaille le Pr Antoine Moya-Plana.

Un accom­pa­g­ne­ment pluridis­ci­plinaire est égale­ment organ­isé, avec des chirurgiens-plas­ti­ciens pour les recon­struc­tions, avec des den­tistes si une réha­bil­i­ta­tion des dents est néces­saire, avec des kinésithérapeutes, des oph­tal­mol­o­gistes… La fréquence de ces suiv­is est déter­minée au cas par cas et la sur­veil­lance peut se pro­longer pen­dant de longues années après les derniers traite­ments curatifs.

Pro­pos recueil­lis par Vio­laine Badie

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