Depuis quelques mois, le site cancer-douleurs.fr propose au grand public et aux professionnels de santé toutes les informations nécessaires pour appréhender les douleurs liées à la maladie et aux traitements. Une manière de rassembler sur une seule et même plateforme toutes les données scientifiques sur cette thématique.
Une simple observation est à l’origine de ce projet : « J’ai pu constater qu’il n’existait pas de site internet qui regroupait toutes les connaissances actuelles sur les douleurs liées au cancer », explique David Balayssac. Le professeur de Toxicologie à la faculté de pharmacie de Clermont-Ferrand et membre de l’équipe de recherche Neuro-Dol (Université Clermont Auvergne — Inserm), travaille depuis longtemps sur la douleur. L’idée germe alors de proposer une page Web entièrement dédiée à ce sujet. La gestion de la plateforme a été confiée à l’Institut Analgésia (fondation de recherche contre la douleur).

Une nécessité pour les patients
« Au travers d’études épidémiologiques menées auprès de patients atteints de cancer, il a été mis en évidence qu’ils étaient insuffisamment pris en charge pour leurs douleurs, pendant mais surtout après la maladie », poursuit David Balayssac. « Des traitements sont généralement proposés, mais ce ne sont pas forcément les plus adaptés en raison des caractéristiques très spécifiques de ces douleurs. » Il cite l’exemple des douleurs neuropathiques chimio-induites : « Les médecins prescrivent beaucoup une certaine molécule, la prégabaline, car elle dispose d’une AMM dans l’indication de la douleur neuropathique. Cependant, des études solides ont démontré que la duloxétine se révèle plus efficace. Problème, son AMM est restreinte aux douleurs neuropathiques d’origine diabétique, donc elle est peu utilisée pour les douleurs d’origine cancéreuse. »
« Il a été mis en évidence que les patients atteint de cancer étaient insuffisamment pris en charge pour leurs douleurs, pendant mais surtout après la maladie. »
L’ambition du site cancer-douleurs.fr est multiple : proposer une information aussi exhaustive que possible, étayée (recommandations d’experts et études scientifiques à l’appui) et régulièrement actualisée. Plusieurs axes y sont développés :
- Les spécificités des douleurs liées au cancer, selon leur origine (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, hormonothérapie) ;
- Les dernières données scientifiques sur les médicaments contre ces douleurs, et sur les thérapies complémentaires (activité physique, nutrition, acupuncture, etc.) ;
- Un focus sur la recherche comprenant : un répertoire des essais cliniques en France, des enquêtes pour faire de la recherche participative et améliorer la compréhension de ces douleurs, les dernières publications internationales (partie du site en cours de développement).
« Notre objectif est d’apporter toutes les recommandations qui existent, quand elles existent, sur ces douleurs, dans le but d’améliorer la prise en charge des patients », continue le pharmacien David Balayssac. Les différents contenus sont rédigés par des membres de l’équipe Neuro-Dol, ainsi que par le comité scientifique de Cancer & Douleurs, qui regroupe des pharmaciens, médecins de la douleur, oncologues, radiothérapeutes, neurologues, chirurgiens, infirmiers en pratique avancée, chercheurs…
Une double cible : patients et professionnels de santé
Bien évidemment, les informations publiées peuvent être utiles à tout professionnel de santé qui souhaite mettre à jour ses connaissances sur les douleurs provoquées par un cancer, le plus souvent iatrogènes (conséquences des traitements). Selon M. Balayssac : « La prise en charge des douleurs est généralement bien structurée pendant la maladie. Une fois que les traitements sont terminés, cette prise en charge est parfois moins systématique et moins efficace. » Or, les séquelles laissées par ces soins, certes indispensables, sont souvent lourdes. Chercher à mieux appréhender les douleurs résiduelles post-cancer constitue un véritable enjeu, pour améliorer la qualité de vie sur le long terme.
C’est pourquoi le site Cancer & Douleurs s’adresse aussi aux patients eux-mêmes, « afin de les aider à devenir acteurs de leur santé et de leur donner des clés pour engager un dialogue avec leurs soignants s’ils estiment que leurs douleurs ne sont pas correctement soulagées ».
« La prise en charge des douleurs est généralement bien structurée pendant la maladie. Une fois que les traitements sont terminés, cette prise en charge est parfois moins systématique et moins efficace. »
Différentes ressources externes sont également listées, comme des outils utiles pour les professionnels de santé et des associations vers lesquelles les patients peuvent se tourner.
La douleur dans les cancers tête et cou
Certaines douleurs peuvent être communes, quelle que soit la localisation du cancer initial. C’est le cas notamment des troubles neurosensoriels, liés à des altérations des nerfs périphériques causées par la prolifération de cellules cancéreuses, par des chirurgies ou par certaines molécules de chimiothérapie proposées pour traiter le cancer. Débutant sous forme de picotements ou de perte de sensibilité, elles peuvent évoluer vers de vraies douleurs handicapantes. « Il existe des médicaments pour les soulager, qui ne sont pas toujours efficaces. Elles s’améliorent généralement, mais cela peut prendre plusieurs mois », détaille le Pr Nathalie Pham-Dang, cheffe de service Chirurgie maxillo-faciale au CHU de Clermont-Ferrand et membre de l’équipe Neuro-Dol.
« Certaines douleurs peuvent être communes, quelle que soit la localisation du cancer initial. »
Concernant les douleurs plus spécifiques, la chirurgienne évoque celles consécutives à la chirurgie ou bien à la radiothérapie : « Les interventions chirurgicales destinées à réséquer une tumeur cancéreuse des voies aéro-digestives supérieures (VADS) peut entraîner des lésions au niveau des nerfs sensitifs de la face. Les patients vont plus souvent ressentir une perte partielle ou totale de la sensibilité au niveau de la zone concernée. Pour certains, cela peut devenir une anesthésie que l’on qualifie de « douloureuse ». La perte de sensibilité est associée à une mauvaise perception des sensations restantes. Par exemple, un simple doigt qui caresse la peau au niveau où le nerf est lésé peut provoquer une sensation de brûlure, de décharge électrique… » De même, les séances de radiothérapie au niveau des VADS causent les mêmes brûlures que partout ailleurs dans l’organisme. Cependant, ces lésions appelées radiodermites sont souvent beaucoup plus douloureuses car elles touchent non seulement la peau, mais également l’intérieur de la bouche et de la gorge.
La prise en charge de ces douleurs est au cœur des préoccupations pendant les protocoles de soins. Après, cette prise en charge peut être plus aléatoire. Il ne faut pas hésiter à en parler avec son équipe soignante pendant les rendez-vous de suivi. A titre d’exemple, Pr Pham Dang explique que certains soins de support apportent un réel confort : « Même si on ne peut pas vraiment parler de douleur, mais davantage de gêne liée aux tissus cicatriciels ou fibrosés, les orthophonistes et les kinésithérapeutes peuvent améliorer considérablement la situation en assouplissant ces tissus, au niveau du visage, de la bouche, de la gorge… »
La spécialiste rappelle deux points essentiels concernant les douleurs liées à un cancer des VADS, en amont du diagnostic et en aval des traitements : « Une tumeur de petite taille n’engendre pas de douleur spécifique. Si des douleurs apparaissent, la tumeur a déjà pris une grande ampleur. C’est pourquoi il est indispensable d’insister sur les symptômes qui doivent amener à consulter : nez qui coule, mal à la gorge, voix enrouée… persistant pendant plus de trois semaines. » Elle conclut : « Pour les patients ayant été soignés, l’apparition d’une nouvelle douleur doit aussi être un motif de consultation en urgence, sans attendre le prochain rendez-vous de contrôle. Cela peut être lié à une récidive ou bien à une ostéoradionécrose pour des douleurs au niveau de la mâchoire. Il s’agit d’une nécrose de l’os consécutive aux traitements par radiothérapie. »
Propos recueillis par Violaine Badie