Comment la langue, les lèvres, le voile du palais ou encore la mandibule interviennent-ils dans la parole ? Quelles conséquences une chirurgie orale, comme une glossectomie ou une mandibulectomie, peut-elle avoir sur l’articulation ? Et surtout, comment la rééducation orthophonique permet-elle de retrouver intelligibilité et aisance ? Jeanne Pfaff, orthophoniste au centre de rééducation des Trois Tours, nous apporte son éclairage.
Le rôle essentiel de la langue dans la parole
La langue est l’un des organes clés de la production des sons de la parole. Composée de plusieurs muscles, elle doit se déplacer rapidement dans la bouche pour articuler différents sons, en particulier les consonnes. Par exemple, pour produire un “T”, la pointe de la langue doit s’élever et venir taper le palais. En revanche, pour un “R”, c’est la base de la langue (sa partie arrière) qui doit se soulever et reculer pour vibrer au fond de la bouche.
Outre sa mobilité, la sensibilité de la langue est tout aussi essentielle. Elle permet de localiser sa position dans la bouche. Lorsqu’elle est anesthésiée, la précision des points d’articulation diminue, ce qui altère la parole.
Mais la langue n’est pas seule à intervenir dans l’articulation. Les lèvres, les joues, la mandibule ainsi que le voile du palais jouent également un rôle déterminant. C’est en effet la forme et le degré d’ouverture de la bouche qui permet de produire les différentes voyelles. Par exemple, un “o” se fait avec une bouche arrondie et plutôt fermée, le “a” une bouche ouverte et non arrondie, et le “i” une bouche plutôt fermée et les lèvres étirées. Les lèvres permettent également de produire certaines consonnes (par exemple le “P”, le “F”…).
Enfin, le voile du palais est le prolongement du palais. Il est mou et est composé de muscles et de tissus. Il se termine par la luette que l’on voit au fond de la bouche. Son rôle est de faire l’étanchéité entre la bouche et le nez. Quand il est fermé, l’air passe par la bouche et permet de produire la plupart des sons, mais il doit s’ouvrir pour produire certains sons nasaux, comme les consonnes “M” et “N” ou les voyelles “an, on, in”. Un dysfonctionnement du voile du palais peut entraîner une fuite d’air par le nez et une voix nasillarde, mais également des fuites d’aliments ou de liquides par le nez pendant la déglutition.
Tous ces articulateurs doivent être capables de se coordonner avec rapidité pour permettre une élocution fluide et naturelle.
Quelles conséquences après une chirurgie orale ?
Les articulateurs sont donc les organes situés dans la bouche qui permettent de produire les sons de la parole. Lors d’une chirurgie orale, l’articulation peut être altérée, en fonction des structures touchées.
Suite à une glossectomie (ablation partielle ou totale de la langue), l’articulation peut être plus ou moins affectée, selon la zone retirée et l’étendue de l’intervention. Plus la portion de langue enlevée est importante, plus les répercussions sur la parole sont significatives. De plus, les sons altérés varient en fonction de la région concernée. En général, la parole devient plus lente, et si le voile du palais (la zone située vers la luette) est touché, le timbre de la voix peut également être modifié.
Dans certains cas, l’intervention peut aussi concerner le plancher buccal ou la mandibule. On parle alors de pelvi-glossectomie ou de pelvi-glosso-mandibulectomie. Ces opérations
limitent l’ouverture de la mâchoire, ce qui complique la production des voyelles et rend l’articulation globalement moins précise.
La rééducation de la parole après chirurgie
La rééducation de la parole se fait avec un·e orthophoniste, dès que le chirurgien donne son accord — parfois dès la première semaine après l’opération. L’orthophoniste commence par un bilan complet pour évaluer la mobilité des articulateurs (lèvres, joues, langue, voile du palais…) ainsi que la sensibilité des zones opérées, notamment au niveau de la langue et de la cavité buccale. Ce bilan permet également de mesurer les impacts de la chirurgie sur la qualité de la parole et sur son intelligibilité, c’est-à-dire la clarté du discours et la facilité avec laquelle il est compris par l’interlocuteur.
Le travail de rééducation vise ensuite à restaurer, autant que possible, la mobilité, la force et la sensibilité des articulateurs afin de permettre la production des sons. Lorsque certains mouvements de la langue ne peuvent être récupérés, les autres articulateurs peuvent, dans une certaine mesure, compenser.
Des exercices spécifiques d’articulation sont alors mis en place pour favoriser une élocution naturelle et fonctionnelle. La rééducation va combiner des exercices visant à récupérer la mobilité et la force des articulateurs (comme tirer ou claquer la langue, la faire glisser sur les dents ou la reculer) et des exercices d’articulation progressive : d’abord sur des syllabes et des mots spécifiques qui contiennent les sons à travailler, puis sur des phrases, des textes et enfin en parole spontanée. La sensibilité, quant à elle, peut être stimulée grâce à des techniques telles que les massages ou la cryothérapie (stimulation par le froid).
En conclusion, les chirurgies de la bouche entraînent des altérations variables de la parole selon l’étendue de l’intervention. Bien que la langue soit un organe essentiel à l’articulation, une rééducation orthophonique précoce permet souvent d’améliorer l’élocution en mobilisant les autres articulateurs et en développant des stratégies compensatoires.