Qu’ils soient infiltrés par la tumeur ou sectionnés lors de la chirurgie destinée à la réséquer, certains nerfs peuvent faire l’objet d’une greffe. Dans quels cas ces réparations sont-elles envisagées ? Quels effets en attendre ? L’éclairage du Pr Sébastien Vergez, chef du service ORL et chirurgie cervico-faciale au CHU de Toulouse-Larrey et de l’IUCT Oncopole.
Quels nerfs peuvent être concernés par des réparations ?
Les cancers rares de la tête et du cou sont susceptibles d’endommager plusieurs nerfs, dont un principal, au cœur des préoccupations : le nerf facial. « C’est surtout lui qui nécessite d’être réparé, car son atteinte a un retentissement cosmétique et fonctionnel évident », développe le Pr Sébastien Vergez. La lésion peut survenir soit en raison de l’infiltration d’une tumeur cancéreuse, soit au moment de l’acte chirurgical pour la retirer. « Nous tentons au mieux de le préserver, mais ce n’est malheureusement pas toujours possible. »
Le nerf facial est un nerf moteur qui émerge au niveau de la base du crâne, près de l’oreille, puis se répartit en plusieurs blanches et ramifications dans la joue pour innerver les muscles du visage. Nous en possédons deux, disposés de manière symétrique de part et d’autre de la face.
Principale localisation cancéreuse concernée par les atteintes du nerf facial : les tumeurs de la glande salivaire parotide, puisqu’il la traverse de part en part.
« Les tumeurs de la parotide impliquent très souvent des lésions de ce nerf. D’autres cancers des environs peuvent aussi être en cause, quand ils finissent par se développer jusqu’à envahir ces structures nerveuses », poursuit le médecin.
Bien que les réparations nerveuses en oncologie ORL concernent le plus fréquemment le nerf facial, d’autres nerfs sont parfois touchés. Leur atteinte est plus anecdotique, puisqu’elle peut être compensée plus facilement par une rééducation adaptée.
« Les cancers rares de la tête et du cou sont susceptibles d’endommager plusieurs nerfs, dont un principal, au cœur des préoccupations : le nerf facial. »
Comment se manifestent les atteintes du nerf facial ?
« Pour la majorité des patients qui ont besoin d’une réparation de ce nerf, des symptômes sont déjà apparus avant tout traitement, à cause du développement de la tumeur », explique le chirurgien cervico-facial. Il existe plusieurs niveaux d’atteinte : « L’extension fait que le cancer affecte le nerf facial et, dans la majorité des cas, il a déjà perdu toute sa fonction avec la moitié du visage paralysée. Avant d’en arriver à ce stade, la tumeur peut avoir envahi le nerf sans que des symptômes ne soient perceptibles. Chez ces patients, qui ne ressentaient rien avant la chirurgie destinée à réséquer le cancer, nous devons expliquer que nous serons sans doute obligés de sacrifier une portion du nerf et qu’une paralysie peut apparaître au décours de l’intervention. »
L’expert détaille les manifestations possibles d’une paralysie du nerf facial :
- difficulté voire impossibilité à élever le sourcil ;
- difficulté voire impossibilité à mobiliser les paupières et donc à fermer l’œil ;
- joue qui s’affaisse ;
- commissure labiale qui s’affaisse avec difficultés à sourire du côté impacté.
Ces symptômes peuvent s’accompagner de troubles fonctionnels : « Une difficulté à mobiliser les lèvres et la langue provoque une dysarthrie, on articule moins bien donc l’élocution est moins bonne. La déglutition peut aussi être impactée, avec une incontinence labiale, des petites fuites liquidiennes très handicapantes. Mais le principal problème, celui susceptible d’avoir des conséquences graves, est l’incapacité à fermer l’œil. Les clignements de paupière servent à le protéger, à le lubrifier. Les complications oculaires sont redoutées en cas d’atteintes du nerf facial. »
« Le principal problème, celui susceptible d’avoir des conséquences graves, est l’incapacité à fermer l’œil »
Le degré de gravité des symptômes est variable, selon l’importance des lésions nerveuses et leur localisation. Les paralysies sont soit complètes, soit partielles avec seulement des paresses musculaires. Également, plus le nerf est lésé près de son tronc et plus l’impact est important. À l’inverse, plus les lésions sont distales, c’est-à-dire éloignées du point où le nerf émerge de la base du crâne, et plus le territoire des ramifications impactées est limité, avec des manifestations localisées à leur zone d’innervation. Quand ces symptômes sont liés à l’infiltration d’une tumeur, même s’ils sont mineurs, ils évolueront toujours vers une paralysie complète si le cancer n’est pas traité.
Quand une réparation du nerf facial est-elle envisagée ?
« Nous tentons de le faire le plus souvent possible », répond le Pr Vergez. Plusieurs techniques de réparation sont possibles :
- la plus simple et la plus fréquemment employée : l’anastomose avec une auto-greffe nerveuse d’interposition. « On coupe le segment du nerf qui doit être sacrifié pour réséquer la tumeur et on prélève un nerf ailleurs, que l’on va façonner pour correspondre à la forme du nerf retiré. Ce nouveau nerf est ensuite suturé au microscope », décrit le chirurgien. Parmi les nerfs intéressants pour le prélèvement, il cite : le nerf sural au niveau de la cheville, ou encore le nerf grand auriculaire sous l’oreille. Tous deux étant des nerfs sensitifs, leur retrait ne provoque quasiment pas de séquelles, hormis une perte de sensibilité de la zone concernée.
- plus complexe : la reconstruction avec lambeau libre. Elle est privilégiée quand la chirurgie nécessite de retirer beaucoup de tissus différents, comme du muscle, de la peau… « Dans ce cas, nous prélevons tous les tissus dont nous avons besoin pour la reconstruction au niveau thoraco-dorsal (partie haute du dos, NDLR), y compris une partie du nerf thoraco-dorsal et des vaisseaux qui vascularisent la zone, qui sont rebranchés au niveau des vaisseaux du cou. Le nerf greffé est donc vascularisé et a de meilleures chances de cicatriser. »
- dernière solution, plus rarement employée en cancérologie : l’anastomose hétéro-nerveuse. Cette option n’est possible qu’en cas d’atteinte du nerf facial localisée très proche de son émergence au niveau de la base du crâne, voire lors de son trajet intra-crânien. Elle nécessite que l’ensemble des ramifications fonctionne parfaitement. « Pour ces cas précis, nous pouvons dérouter un nerf à proximité — spécialement le nerf hypoglosse, qui innerve la langue, ou le nerf massétérin, qui innerve un muscle masticateur dans la joue -. On le coupe à sa racine et le branche aux ramifications intactes du nerf facial. Ce sacrifice a moins d’impact que le sacrifice du nerf facial. »
Les techniques de réparation listées sont parfois impossibles à réaliser, notamment quand une grande portion du nerf facial est lésée ou doit être sectionnée, mettant en jeu un très grand nombre de ramifications. Fort heureusement, des solutions alternatives existent pour tenter d’améliorer les séquelles.
Quelles sont les solutions alternatives à la greffe nerveuse ?
Quand il n’est pas possible de réparer le nerf facial, les chirurgiens peuvent proposer d’autres procédés chirurgicaux, afin que le patient arrive tout de même à fermer l’œil, à sourire, etc.
Quelques exemples énumérés par le Pr Vergez : « Pour aider à fermer la paupière supérieure, nous avons la possibilité de la lester avec une feuille d’or afin d’obtenir une occlusion palpébrale volontaire complète. Pour aider la patient à sourire, nous pouvons procéder à une myoplastie d’allongement du temporal. Cela consiste à dérouter ce muscle, destiné à la mastication, pour l’attacher à la bouche. Sa contraction permet ainsi de bouger le coin des lèvres. » Cette dernière technique nécessite une rééducation spécifique afin d’apprendre à mobiliser différemment les muscles du visage.
Enfin, quand la symétrie du visage est fortement impactée, même après réparation nerveuse, des injections de toxine botulique sur le côté du visage non atteint peuvent parfois être proposées dans le but de rendre la paralysie moins visible.
« Quand il n’est pas possible de réparer le nerf facial, les chirurgiens peuvent proposer d’autres techniques, afin que le patient puisse arriver tout de même à fermer l’œil, à sourire, etc. »
Comment se déroule une greffe nerveuse dans le cas de cancers ORL ?
« Pour les réparations nerveuses par auto-greffe d’interposition ou au moyen d’un lambeau libre, les interventions chirurgicales se font dans le même temps que l’opération de résection de la tumeur cancéreuse », prévient le Pr Sébastien Vergez. Il s’agit donc de chirurgies longues, pouvant être menées conjointement par plusieurs équipes lors de reconstructions avec lambeau libre.
Les anastomoses hétéro-nerveuses et autres chirurgies comme la myoplastie d’allongement du temporal peuvent se pratiquer à distance, parfois des mois voire des années après la première opération. Ces interventions sont discutées au cas par cas, en fonction de l’impact esthétique et fonctionnel des atteintes nerveuses résiduelles, toujours dans le but de tendre vers la meilleure qualité de vie possible.
Quelle préparation et quelles suites post-opératoires ?
Les réparations nerveuses citées plus haut ne nécessitent pas de bilans pré-opératoires spécifiques.
En post-opératoire, une rééducation faciale est toujours prescrite, avec des orthophonistes ou des kinésithérapeutes selon les besoins.
Une rééducation avec un kinésithérapeute est proposée pour les patients chez qui le nerf sural a été prélevé, au niveau de la cheville. L’objectif : éviter les adhérences et la fibrose locale.
À quoi peut-on s’attendre après une réparation nerveuse ?
« Les reconstructions nerveuses ne fonctionnent pas dans 100 % des cas, mais nous obtenons tout de même de bons résultats. Les patients souffrant d’une paralysie totale du nerf facial avant la chirurgie de résection du cancer retrouveront déjà de la mobilité après l’opération. Le degré reste très variable d’un cas à l’autre », informe le chef du service ORL du CHU de Toulouse.
Il est quasiment impossible d’atteindre une symétrie parfaite, comme avant la lésion nerveuse. Un bilan est effectué à distance des chirurgies. Plusieurs raisons à cela : « Souvent, les patients ont besoin de radiothérapie ensuite, qui impacte le fonctionnement du nerf facial et complique sa cicatrisation. Le résultat définitif doit être constaté après la cicatrisation complète et la rééducation, ce qui prend du temps. Il dépendra beaucoup de la localisation de la portion nerveuse réparée ou sacrifiée et de l’ampleur de celle-ci. »
« Les reconstructions nerveuses ne fonctionnent pas dans 100 % des cas, mais nous obtenons tout de même de bons résultats »
Si les résultats des réparations nerveuses sont jugés insatisfaisants, le patient peut se voir proposer, a posteriori, d’autres solutions pour tenter d’améliorer les séquelles (comme la myoplastie d’allongement du temporal, les injections de toxine botulique, etc.)
Propos recueillis par Violaine Badie