Après la chirurgie et la radiothérapie, le suivi kinésithérapique spécialisé est indispensable
Tous les patients traités pour un cancer tête et cou devraient pouvoir accéder à une prise en soin précoce en kinésithérapie à la suite de leurs traitements. Les bénéfices d’un tel accompagnement sont triples : à la fois fonctionnels, esthétiques et psychologiques. Patrick Pérès et Lionel Lafond, kinésithérapeutes spécialisés en rééducation Oro-Maxillo-faciale (ROMF) font le point sur le sujet.
Comment définiriez-vous la kinésithérapie dédiée aux cancers tête et cou ?
Pour les patients concernés par ce type de cancers, la kinésithérapie permet d’améliorer les fonctions altérées par la maladie et les traitements (mastication, déglutition, articulé, phonatoire, esthétique, ventilation…). Ces altérations dépendent non seulement de la localisation du cancer, mais aussi des types de traitements (chirurgie, radiothérapie…). Les patients ayant eu un cancer tête et cou doivent être pris en soin par un kinésithérapeute spécialisé, le plus tôt possible après la chirurgie. L’objectif étant d’éviter au maximum les séquelles (telles que les ankyloses, les fibroses cicatricielles, les fibroses d’œdèmes…) pouvant être à l’origine d’une diminution des mouvements de la bouche, de la langue et du pharynx (gorge) à moyen et long terme.
Nous, kinésithérapeutes OMF (Oro Maxillo Facials), sommes capables de prendre en soin, au niveau ORL, tous types de cancers (oropharynx, cavité buccale, hypopharynx, nasopharynx, larynx…). Nous pouvons ainsi traiter toutes les voies aérodigestives supérieures. Ces cancers tête et cou doivent être pris en charge en kinésithérapie : c’est une nécessité absolue pour le patient ! Outre le fait que ce suivi lui permet d’améliorer sa qualité de vie, il lui redonne confiance et assurance. Durant les séances, nous passons beaucoup de temps avec nos patients (une séance dure environ une demi-heure) : nous avons le temps de les écouter et de parler avec eux. Souvent, ils se confient à nous et cela fait partie du traitement. Nous les rassurons et les accompagnons dans leur quotidien. Dès les premières séances, nous instaurons un climat de confiance ; les patients nous racontent leur histoire. Ils nous posent des questions et nous informent de leurs problèmes. Nous sommes capables de les conseiller (de répéter le discours médical, de rappeler les règles d’hygiène de vie). Mais aussi, de les orienter vers un autre professionnel de santé (médecins, infirmiers, orthophonistes…) si nécessaire. Nous rappelons à nos patients que seul un médecin peut poser le diagnostic et prescrire des traitements. Nous travaillons en collaboration étroite avec les chirurgiens et toute l’équipe d’oncologie. Car la prise en soin des cancers tête et cou est un travail pluridisciplinaire.
Comment débute la prise en charge kinésithérapique ?
Avant toute chose, nous effectuons un bilan détaillé de l’état de santé et de la situation du patient (antécédents, circonstances liées au cancer, traitements effectués, difficultés et troubles développés à la suite des traitements, état psychologique, situation familiale…). Tous ces éléments nous permettent de mettre en place des objectifs précis pour chaque patient. Pour un résultat optimal, son accord et sa motivation sont très importants. Ce bilan initial est réajusté en fonction de l’évolution de la personne concernée par un cancer tête et cou. Nous adaptons ainsi nos techniques au quotidien du patient : lors des séances, nous tenons toujours compte de son état psychologique et fonctionnel et de son niveau de fatigue.
Notre premier objectif — pour tous les patients ayant subi une chirurgie pour un cancer tête et cou — est de libérer les éventuels œdèmes en procédant à un drainage lymphatique manuel. C’est une technique très douce qui nous permet de toucher les zones sensibles et d’aider à la résorption d’œdèmes.
Ce premier contact tactile permet au patient de se réapproprier les zones lésées. Le drainage lymphatique doit être effectué le plus tôt possible après la chirurgie. Parfois, les patients ont peur de regarder ou de toucher leur visage. Notre rôle, c’est aussi de les rassurer et de dédramatiser leur situation. Cela passe notamment par le toucher. Lorsque nous posons nos mains sur les zones de la tête ou du cou qui les font souffrir — par le biais de massages, par exemple — nous les aidons à mieux accepter leur visage ou leur corps.
Dans quels cas la kinésithérapie est-elle sollicitée ? Pouvez-vous nous livrer plusieurs exemples de séquelles, de soins spécifiques et de bénéfices escomptés pour les patients ?
En cas de problème d’ouverture buccale après chirurgie, nous procédons par exemple, à des techniques de « contracté / relâché ». Ces techniques permettent de récupérer la souplesse des muscles buccaux qui se trouvent en état de sidération, voire de fibrose après avoir été agressés par la chirurgie ou la radiothérapie. Pour cela, nous travaillons avec nos doigts ou avec un ou plusieurs bâtonnets que nous plaçons dans (ou en travers de) la bouche du patient. Puis, nous lui demandons de fermer la bouche, de serrer le plus fort possible (sans douleur) pour contracter les muscles pendant quelques secondes. Ensuite, nous lui demandons de relâcher la contraction pour gagner en ouverture buccale.
Mais avant de procéder à cette technique, il est primordial de bien masser les zones lésées, et les cicatrices afin de gagner en élasticité. En premier lieu, nous travaillons donc toujours de façon manuelle (avant d’utiliser les outils tels que les bâtonnets) pour redonner de la souplesse aux tissus, mais aussi, de la confiance aux patients. Par ailleurs, avant même de toucher une cicatrice, nous procédons à un bilan de cette dernière (De quel type de cicatrice s’agit-il ? Est-elle encore inflammatoire ? De quand date-t-elle ? Comment a‑t-elle évolué au fil du temps ?). Quand la cicatrice n’est plus inflammatoire, mais qu’elle présente une fibrose ou des adhérences par exemple, nous utilisons des techniques précises avec les doigts pour la tracter et l’étirer autant que possible.
En cas d’exérèse chirurgicale partielle de la langue, nous travaillons particulièrement le groupe musculaire lingual par le biais d’exercices permettant à la langue de retrouver force et mobilité. Nous nous intéressons également à la cicatrice de la langue pour l’assouplir par le biais d’exercices spécifiques. Par ailleurs, nous réapprenons au patient à remettre le bol alimentaire sur la langue et à déglutir. Nous utilisons de grandes cuillères (ressemblant aux cuillères à cocktail) afin qu’il puisse amener l’aliment le plus loin possible sur la langue et travailler la poussée linguale postérieure pour pouvoir envoyer le bol alimentaire en arrière de la langue. En cas de troubles de l’articulé phonatoire, nous travaillons en collaboration avec les orthophonistes. Notre rôle est d’aider à mieux placer la langue et débuter des exercices sur des phonèmes.
Dans certains types de cancers, certaines dents peuvent avoir été endommagées ou enlevées. Lorsque les patients ont encore leur dents ou portent un appareillage dentaire, nous leur proposons des exercices faisant travailler la bouche et la mâchoire (ouverture de bouche, avancée mandibulaire et latéralité, prise de conscience et travail des mouvements intervenants dans la mastication) pour que leur occlusion (contact dentaire entre les arcades supérieures et inférieures) soit la meilleur possible. Ces exercices favorisent une mastication optimale. Nous travaillons, pour cela, en lien avec le chirurgien-dentiste.
Pour améliorer les fonctions respiratoires et désencombrer les bronches si nécessaire, souvent en post-opératoire immédiat, nous procédons à des manœuvres drainantes. Nous aidons également les patients à récupérer une ventilation naso-nasale. La respiration par le nez est primordiale : elle permet une filtration des impuretés de l’air, elle réchauffe l’air inspiré, régule la température du cerveau. La ventilation buccale quant à elle, risque d’assécher la bouche, favorise une mauvaise position de la langue… Souvent, les patients ayant été opérés pour un cancer de la gorge respirent par la bouche : nous leur réapprenons à bien respirer par le nez.
Les patients peuvent également souffrir de séquelles neurologiques, notamment lorsqu’ils ont subi des curages ganglionnaires (opération chirurgicale qui consiste à enlever une partie des ganglions afin d’examiner s’ils sont atteints par des cellules cancéreuses). Là encore, nous bénéficions de techniques manuelles permettant de redynamiser toute la partie musculaire ayant été atteinte par le curage.
Quand le patient a subi des greffes de peau et/ou de muscle, il ne faut pas hésiter à masser aussi les sites de prélèvement pour assouplir les cicatrices et aider à la récupération musculaire. Quoi qu’il en soit, pour tous types de cicatrices, nous faisons en sorte d’améliorer la qualité de la peau et des muscles mais aussi, son côté esthétique par le biais de massages spécifiques.
Enfin quand le patient se sent mieux, nous l’aidons à reprendre une activité physique adaptée à son état de santé, le plus précocement possible. Cela participe grandement à l’amélioration de son état général.
À quoi sert la mobilisation en kinésithérapie ?
Il s’agit d’exercices permettant de faire bouger certaines zones du corps ou du visage du patient. Nous lui proposons ainsi des exercices précis de la bouche, de la ceinture scapulaire, du cou ou de l’épaule par exemple, pour lui faire gagner en amplitude et diminuer les douleurs. Après un curage ganglionnaire , le nerf spinal peut être touché. Certains patients vont avoir une épaule « tombante », en raison des muscles abîmés au niveau de cette zone. Nous pouvons la travailler pour améliorer la fonction de l’épaule.
Par ailleurs, les patients souffrant de cancer tête et cou peuvent se sentir tendus, stressés : nous contribuons à les détendre par le biais de mobilisations et de massages.
Quelles sont les éventuelles conséquences de la radiothérapie pour les patients ?
Très souvent, les patients présentant un cancer tête et cou sont traités avec une radiothérapie dans les mois qui suivent la chirurgie. Lorsque nous travaillons en post-chirurgie, les patients font des progrès. Par exemple, leurs cicatrices s’assouplissent, ils gagnent en ouverture buccale, ils améliorent leur déglutition, ils peuvent recommencer à s’alimenter… Or quelque temps plus tard, lorsqu’ils effectuent la radiothérapie, ils perdent souvent tout ou partie de ces bénéfices. Cela peut être difficile à vivre pour les patients. Notre rôle est de les prévenir du risque de perte de gain après la radiothérapie et de les aider à progresser au maximum avant de débuter ce traitement.
Après la radiothérapie, nous redoublons alors de travail pour leur permettre de progresser à nouveau. Par ailleurs, les séquelles liées à la radiothérapie (diminution d’ouverture de bouche, par exemple) peuvent survenir à distance de ce traitement, parfois deux ou trois ans plus tard. Notre rôle, c’est aussi de les informer sur ce sujet afin qu’ils soient attentifs à l’apparition de séquelles longtemps après la radiothérapie et qu’ils puissent agir en conséquence en revenant nous voir, si nécessaire, pour un avis ou pour entamer à nouveau un traitement.
Quelle est la durée moyenne d’une prise en charge en kinésithérapie ?
Elle est longue : elle dure deux ans, en moyenne. Le patient vient nous voir une ou deux fois par semaine au départ, puis les séances s’espacent (une fois tous les 15 jours ou tous les mois). Chez eux, ils doivent également effectuer des exercices plusieurs fois par jour afin de consolider et d’augmenter les bénéfices acquis lors des séances. L’autonomisation du patient est primordiale dans la réussite de sa récupération fonctionnelle. Les séances au cabinet ne suffisent pas.
Comment trouver un professionnel spécialisé en cancer tête et cou ?
Le patient est souvent orienté par l’équipe médicale qui le suit à l’hôpital. Le site de la SIKLOMF – Société Internationale de kinésithérapie Linguale oro-maxillo-Faciale — comporte un annuaire avec une carte de France des kinésithérapeutes pouvant prendre en soin les personnes concernées par un cancer tête et cou. Par ailleurs, l’association Corasso a également répertorié sur son site les kinésithérapeutes spécialisés dans ce domaine.
Comment la kinésithérapie est-elle prise en charge (séances et transport) ?
Une séance de kinésithérapie coûte 18,26 euros pour une demi-heure, en moyenne. Les patients ayant un cancer tête et cou sont remboursés à 100 % par l’Assurance maladie. Quant au transport, si la personne a besoin d’une assistance pour ses déplacements, le médecin lui prescrit un transport médical (VSL ou taxi) intégralement remboursé par l’Assurance maladie. Une prise en charge des frais engagés est également possible lorsque le patient utilise sa propre voiture.
Propos recueillis par Hélia Hakimi-Prévot