Pour les patients touchés par un cancer tête et cou, un suivi complémentaire assuré par un dermatologue est essentiel pour soulager les brûlures liées à une radiothérapie, les cicatrices, les toxicités cutanées des médicaments… Découvrez comment se déroulent ces consultations et leur intérêt, avec le Dr Jeremy Lupu, dermatologue libéral et consultant à l’Institut Gustave Roussy.
Les traitements destinés à soigner un cancer des voies aérodigestives supérieures s’accompagnent d’effets secondaires souvent lourds et visibles. La peau du visage et du cou peut être impactée par les différentes options thérapeutiques proposées, de la chirurgie en passant pas la radiothérapie, la chimiothérapie, les thérapies ciblées et l’immunothérapie. Prendre en charge ces effets secondaires est la mission du dermatologue, qu’il est possible de consulter pendant les traitements du cancer ou même après.
Pourquoi consulter un dermatologue quand on souffre d’un cancer tête et cou ?
« La consultation de dermatologie couvre deux grandes indications : la prévention des cancers de la peau, dont le risque est accru pour tout patient déjà atteint d’un cancer en raison d’un affaiblissement du système immunitaire, et la prise en charge les conséquences des traitements qui affectent la peau », répond le Dr Jeremy Lupu.
La première indication, le dépistage des cancers de la peau (mélanomes et carcinomes), vaut pour tout patient qui traverse ou a traversé une maladie lourde comme un cancer. « La baisse de l’immunité engendrée par le cancer lui-même ou par ses traitements impose une grande vigilance », poursuit le dermatologue. Le risque de cancer de la peau est majoré au niveau des zones où celle-ci a été abîmée — par une radiothérapie par exemple — et de manière générale sur tout le corps. Une surveillance régulière par un dermatologue est la meilleure prévention pour les populations à risque, dont font partie les patients touchés par un cancer ORL.
« La seconde indication peut se combiner à la première. Notre rôle est de soigner tous les effets secondaires au niveau de la peau », détaille le spécialiste. « En effet, chaque traitement anti-cancéreux peut avoir des répercussions cutanées. Certaines chimiothérapies, immunothérapies, thérapies ciblées présentent une toxicité qui va se manifester de manière très variable. Cela peut aller d’une peau sèche et qui tiraille, appelée xérose, à des folliculites, lésions qui ressemblent à de l’acné et peuvent être très invalidantes quand elles affectent le visage. » Le type de manifestation et son ampleur dépendent du médicament employé.
« Notre rôle est de soigner tous les effets secondaires qui affectent la peau. »
« Bien évidemment, la radiothérapie constitue aussi un motif de consultation en dermatologie, en raison des brûlures qu’elle provoque. Enfin, nous pouvons être consultés pour un suivi post-chirurgical. Les opérations destinées à retirer les tumeurs, les greffes et reconstructions associées, sont à l’origine de cicatrices souvent importantes. » Un dermatologue peut proposer des solutions pour soulager des cicatrices hypertrophiques ou chéloïdes, mais également pour améliorer l’aspect esthétique et fonctionnel de la peau.
Quand est-il intéressant de consulter un dermatologue ?
« Cela dépend du besoin du patient », estime le Dr Lupu. « Le suivi de dépistage des cancers de la peau peut débuter après la fin des traitements. Pour la prise en charge de séquelles cutanées, nous pouvons être amenés à intervenir beaucoup plus tôt. » Les effets secondaires d’une radiothérapie ou d’un médicament administré par voie générale, comme une chimiothérapie, atteignent leur apogée en plein milieu du protocole de soin et persistent plusieurs semaines après l’arrêt des traitements. « L’enjeu d’une consultation en dermatologie est ici majeur. Le dermatologue doit aider à soulager au maximum les effets secondaires cutanés si ceux-ci sont lourds, afin que le patient arrive à poursuivre ses traitements jusqu’au bout. »
« Le dermatologue doit aider à soulager au maximum les effets secondaires cutanés si ceux-ci sont lourds, afin que le patient arrive à poursuivre ses traitements jusqu’au bout. »
Qui peut adresser un patient atteint d’un cancer ORL vers un dermatologue ?
Tout dépend du lieu de prise en soin. Au sein d’une structure hospitalière, l’oncologue ou le chirurgien fait appel, le plus souvent, au service intégré de dermatologie. « Selon les disponibilités des spécialistes et les besoins du patient, ils peuvent aussi orienter vers un dermatologue libéral. Une coordination se met alors en place entre le médecin de ville et l’équipe hospitalière », développe Dr Jeremy Lupu.
Le médecin traitant est également en mesure d’adresser ses patients vers un dermatologue libéral, même longtemps après l’arrêt des traitements. « Si un besoin se fait ressentir, si des effets secondaires cutanés persistent, il ne faut pas hésiter à demander un avis. »
Comment se déroule la consultation en dermatologie ?
Comme pour toute consultation médicale, elle débute par un interrogatoire destiné à prendre connaissance des antécédents, des traitements reçus, des gênes et plaintes éventuelles. Puis vient l’examen clinique, comme l’explique le Dr Lupu. « Le dermatologue doit regarder toute la peau. C’est pourquoi nous demandons au patient de se déshabiller jusqu’aux sous-vêtements et de s’allonger sur une table d’examen. »
Dans le cadre du dépistage des cancers de la peau, chaque millimètre carré est inspecté. Ne soyez donc pas surpris.e si votre dermatologue ne se cantonne pas à regarder en périphérie de vos cicatrices ! « Nous regardons entre les orteils, derrière les oreilles, sur le cuir chevelu… Nous pouvons même être amenés à contrôler les muqueuses, si le patient nous l’autorise et si le contexte médical le nécessite, au niveau buccal, génital, anal. » L’examen cutané destiné à repérer d’éventuelles anomalies s’effectue au moyen d’un petit appareil appelé dermatoscope, une sorte de loupe à travers laquelle le spécialiste évalue si des lésions présentent ou non un caractère malin.
Dans la seconde partie de l’examen clinique, le dermatologue focalisera son attention sur les lésions de peau qui font l’objet d’une demande particulière : une plaque, une tâche, des démangeaisons, des douleurs, des boutons, des cicatrices… Sachez que des problèmes au niveau des ongles (douleurs, fêlures, etc.), fréquents avec certaines chimiothérapies, sont aussi du ressort des dermatologues ! N’hésitez pas à leur en faire part lors de votre consultation.
« Sachez que des problèmes au niveau des ongles (douleurs, fêlures, etc.), fréquents avec certaines chimiothérapies, sont aussi du ressort des dermatologues ! »
Que peut proposer le dermatologue pour vous soulager ?
En première intention, il va proposer des traitements locaux, dits topiques, sous forme de crème à appliquer directement sur la peau. « Il peut s’agir de médicaments, comme des crèmes à base de cortisone, prescrites pour réduire les inflammations liées à des toxicités cutanées par exemple. Il peut aussi s’agir de cosmétiques, de crèmes ou de soins lavants destinés à apaiser des irritations, des démangeaisons… », énumère le dermatologue Dr Lupu. « Si ces traitements topiques ne suffisent pas, nous pouvons aussi prescrire des médicaments par voie orale, comme par exemple des antibiotiques sur le long cours pour soigner les folliculites. »
D’autres soins complémentaires sont susceptibles d’être prescrits, au cas par cas. « Nous avons à disposition plusieurs options thérapeutiques, comme la photobiomodulation pour apaiser les radiodermites (brûlures engendrées par une radiothérapie, NDLR) et accélérer la cicatrisation, le laser pour réduire l’aspect des cicatrices, des injections de corticoïdes pour soigner des cicatrices hypertrophiques… », liste le Dr Lupu. « Certaines approches complémentaires, comme la photobiomodulation et le laser peuvent être débutées très tôt dans le parcours de soin, juste après l’intervention et le retrait des points, sans aucune contre-indication pour les zones sensibles du visage et du cou. »
En dernier recours, si le patient souffre d’effets secondaires trop invalidants et trop difficiles à supporter, le dermatologue peut discuter avec l’oncologue d’une possible réduction des doses de médicament ou d’une suspension temporaire des traitements, le temps que la peau s’apaise. Quand cela est possible, bien évidemment !
« Certaines approches complémentaires, comme la photobiomodulation et le laser peuvent être débutées très tôt dans le parcours de soin, juste après l’intervention et le retrait des points. »
Quels signes doivent vous amener à consulter rapidement votre dermatologue ?
Tout changement au niveau de la peau, une rougeur, une douleur, un tiraillement, une réaction allergique autour d’une cicatrice… sont autant de motifs légitimes de consultation en dermatologie, sans attendre votre prochain rendez-vous de contrôle.
Pour la prévention des cancers de la peau, le Dr Lupu rappelle l’importance de l’auto-surveillance : « Inspectez régulièrement votre peau, y compris les zones que vous ne voyez pas habituellement. Vous pouvez demander à un proche de prendre une photo de votre dos. » Ce qui doit amener à consulter rapidement ? « Tout ce qui est nouveau, évolutif et/ou persistant, comme une croûte présente depuis plusieurs semaines. »
« Ce qui doit amener à consulter rapidement ? Tout ce qui est nouveau, évolutif et/ou persistant. »
Quelle est la fréquence du suivi en dermatologie ?
« Le rythme dépend de la sévérité des lésions cutanées. Nous nous laissons généralement un peu de temps pour voir l’efficacité des traitements proposés. Cela peut commencer par un rendez-vous tous les mois puis s’espacer progressivement, tous les trois mois, six mois, jusqu’à un an. Nous maintenons toujours une surveillance annuelle à vie, même si tous les effets secondaires ont disparu, pour le dépistage des cancers de la peau », indique le Dr Jeremy Lupu.
Propos recueillis par Violaine Badie