INTERVIEW EXPERT
Toutes les réponses aux questions que se posent les patients sur la glossectomie, par le professeur Nicolas Fakhry, chirurgien ORL à l’Hôpital de la Conception (Marseille).
Qu’est-ce qu’une glossectomie ?
La glossectomie est une intervention qui consiste à enlever une partie de la langue. Cela peut être :
- la langue mobile (la partie que l’on retrouve dans la bouche) ;
- la base de la langue (située dans l’arrière-gorge).
Quelles sont les conséquences de cette opération ?
Elles vont dépendre de plusieurs facteurs :
- de la zone que l’on va retirer (langue mobile ou base de la langue) ;
- de la taille de l’exérèse (plus la tumeur est petite, moins il y a de conséquences).
Si l’on retire une tumeur volumineuse, il peut y avoir des difficultés d’élocution ou de déglutition.
Pouvez-vous nous parler des différents types de reconstruction avec lambeau ?
Un lambeau consiste à apporter du tissu vascularisé pour reconstruire une perte de substance. Lorsque l’on enlève une partie importante de la langue, il faut la reconstruire pour avoir une fonctionnalité la plus optimale possible après l’intervention.
Il est possible de prendre des lambeaux locaux (par exemple, la muqueuse de la joue) ou des lambeaux plus à distance (par exemple, la peau au niveau du cou), mais toujours à proximité de la perte de substance.
Parfois, nous sommes obligés de faire des lambeaux libres. Il faut alors prélever du tissu au niveau de la cuisse ou de l’avant-bras, avec une artère et une veine, que l’on raccorde ensuite au niveau des vaisseaux du cou pour effectuer la reconstruction. Le lambeau doit absolument être vascularisé pour être bien viable et bien cicatriser.
Dans certains cas, il n’y a pas de reconstruction, pourquoi ?
En cas de toute petite exérèse (pour une tumeur de petite taille), refermable avec des points de suture, nous privilégierons cette technique.
Lorsque l’on fait un lambeau, les conditions locales doivent s’y prêter. Il peut être difficile de réaliser une reconstruction avec un lambeau dans plusieurs cas :
- le patient a déjà bénéficié de plusieurs opérations dans la zone à reconstruire ;
- le patient est trop âgé ;
- le patient ne sera pas en mesure de supporter une intervention longue.
Dans ces cas-là, nous pouvons renoncer au lambeau en laissant la zone en cicatrisation dirigée, avec des suites fonctionnelles moins bonnes, parce que nous n’avons pas le choix.
Y a‑t-il forcément un curage ganglionnaire en cas de glossectomie ?
Le curage ganglionnaire consiste à retirer les ganglions potentiellement atteints, donc les ganglions du cou pour un cancer de la langue.
On réalise très souvent un curage ganglionnaire lorsque l’on fait une glossectomie. Cela permet d’analyser les ganglions pour voir s’ils sont envahis et de les retirer dans le même temps.
Pour des tumeurs de petite taille (stade I ou II) et pour lesquelles le scanner et le bilan préopératoire ne montrent aucun envahissement ganglionnaire, on privilégie maintenant la technique du ganglion sentinelle. C’est la même technique que pour le cancer du sein. On injecte un traceur radioactif autour de la tumeur pour repérer le premier relais ganglionnaire au niveau du cou et s’il est envahi ou non. S’il est envahi, il faut faire un curage ganglionnaire complet. Cela permet de faire des chirurgies beaucoup moins agressives avec des cicatrices beaucoup plus petites.
Dans certains autres cas, il est possible de surseoir au curage ganglionnaire :
- chez les patients ayant déjà eu un cancer ORL et ayant bénéficié d’un curage ganglionnaire ;
- en présence d’un cancer de bas grade ou d’une très petite tumeur au niveau de la langue mobile.
Que signifie « prendre une marge » dans ce type de chirurgie ?
Lorsque nous opérons un cancer, le but est de le retirer en entier et qu’il n’y ait pas de récidive. Si l’on passe trop près de la tumeur, on risque de laisser des cellules tumorales microscopiques en place ou des petits emboles tumoraux un peu à distance.
Dans toute chirurgie pour un cancer, nous essayons donc de passer un peu à distance de la tumeur en gardant du tissu sain entre celle-ci et la zone où nous incisons. De cette façon, nous sommes certains d’enlever toutes les cellules tumorales.
Quels soins de support conseillez-vous après une telle chirurgie ?
Ces chirurgies peuvent être relativement lourdes et complexes et nécessitent avant tout d’avoir une équipe soignante extrêmement bien formée. En matière de soins de support, cela va dépendre de la lourdeur de la chirurgie.
Il faut bien évidemment un support nutritionnel, avec une diététicienne. Des orthophonistes également, car il est très important de reprendre une rééducation très précocement après la chirurgie.
Il faut aussi des kinésithérapeutes pour rééduquer le patient avec des massages au niveau cervical. Il est important de reprendre une vie normale le plus rapidement possible dans ce que l’on appelle « la réhabilitation améliorée après chirurgie ».
Et puis, bien sûr, il y a tous les soins de support généraux qui sont extrêmement importants :
- prise en charge de la douleur ;
- prise en charge psychologique, etc.
En quoi consiste la rééducation après une glossectomie ?
Cette rééducation est extrêmement importante, car les conséquences d’une glossectomie touchent l’élocution et la déglutition.
La déglutition, c’est le geste d’avaler. Après une glossectomie, une sonde naso-gastrique est souvent mise en place à l’hôpital. Elle est retirée le plus rapidement possible pour que la personne puisse remanger par les voies naturelles. Dès que le patient est autonome au niveau de l’alimentation, il peut regagner son domicile. Il est nécessaire de poursuivre une rééducation à la maison avec un orthophoniste pour avoir une déglutition la plus optimale possible. L’orthophoniste fait travailler également l’élocution, pour reprendre une qualité de vie la plus normale possible.
Une rééducation avec un kiné est aussi importante, notamment en cas de curage ganglionnaire, pour réaliser des massages au niveau cervical ou faire travailler les bras (si présence de douleurs au niveau des épaules).
Après une glossectomie, les patients se plaignent souvent d’avoir un œdème sur le menton et le cou. Que conseillez-vous pour améliorer ce phénomène ?
Cet œdème, en fait, n’est pas dû à la glossectomie, mais au curage ganglionnaire. Il apparaît alors un problème de drainage lymphatique avec un gonflement de la joue ou du menton. Il est souvent plus important le matin, en raison de la position allongée la nuit.
Pour essayer d’améliorer au mieux cet œdème, il faut réaliser des massages avec un kiné pour faire des drainages lymphatiques.
La durée de résorption de l’œdème dépend des traitements restants. Elle dure en général de quelques semaines à quelques mois, avec les massages, drainages lymphatiques. S’il y a de la radiothérapie derrière, cela peut prendre plus de temps.
La glossectomie est-elle toujours la conséquence des facteurs de risque connus, comme le tabac ou l’alcool ?
Pour deux tiers des patients, c’est le facteur de risque numéro un. Le tabac et l’alcool sont chacun des facteurs de risque pour le cancer de la langue. L’association des deux est un cocktail explosif.
En revanche, pour un tiers des patients, les causes sont moins bien connues (notamment les lésions précancéreuses avec les lichens qui peuvent se transformer en cancer).
Un cancer peut aussi se développer sur les glandes salivaires accessoires sans que l’on n’ait d’explication. Celles-ci sont disséminées sous la muqueuse dans toute la bouche pour fabriquer de la salive.
Le HPV peut être à l’origine d’un cancer de la base de la langue, sur les amygdales basi-linguales ou sur les amygdales palatines. Mais il ne provoque pas de cancer de la langue mobile. Il y a aussi toute une série de patients qui développent des cancers sans aucun facteur de risque connu.
Comment se manifestent les symptômes d’un cancer de la langue ?
Les signes sont assez variés. Une lésion aphteuse qui saigne, qui fait mal, qui bourgeonne et surtout qui persiste dans le temps (plus de trois semaines) est suspecte. Une difficulté à avaler (dysphagie ou odynophagie) persistant plus de trois semaines est également suspecte. Si le patient fume et/ou consomme de l’alcool, il faudra encore plus se méfier.
Qui consulter en cas de doute ?
Le patient peut voir son généraliste, qui peut faire un premier examen. En cas de doute d’un potentiel cancer ORL, il faut consulter un spécialiste (un ORL ou un chirurgien maxillo-facial) pour réaliser un examen buccal complet, voire un examen de la base de la langue au naso-fibroscope. Si nécessaire, il faudra ensuite compléter le bilan par un scanner ou une biopsie.
S’agit-il toujours du même type de tumeurs à l’origine d’un cancer de la langue ?
Il y a plusieurs types de tumeurs. Le carcinome épidermoïde est le cancer le plus fréquent.
Ensuite, il y a toute une variété de cancers différents pour les glandes salivaires accessoires (les mêmes cancers que l’on retrouve dans la glande parotide et la glande submandibulaire, qui sont les glandes salivaires principales), comme les adénocarcinomes, les carcinomes mucoépidermoïdes. Ce sont des cancers beaucoup plus rares.
C’est pour ces cancers que le REFCOR a été créé. Ce sont des tumeurs peu fréquentes, très variées, que l’on cherche à mieux comprendre.
Quels sont bien souvent les traitements associés à la glossectomie ?
En général, lorsqu’un patient a un cancer de la langue, l’attitude première est d’effectuer une chirurgie. En fonction des résultats de la pièce d’exérèse, on décide ou non d’un traitement complémentaire. Lorsque la tumeur est petite sans envahissement ganglionnaire, il s’agit d’un traitement chirurgical exclusif.
Lorsque la tumeur est plus volumineuse ou que les ganglions sont envahis, on peut proposer en postopératoire une radiothérapie seule ou associée à une chimiothérapie. On parle alors de traitement adjuvant.
Écouter le podcast sur la glossectomie du Professeur Nicolas Fakhry