Chirurgie des cancers rares de la tête et cou (ORL) : une nécessité thérapeutique
La chirurgie est bien souvent une nécessité pour traiter les cancers ORL rares. Le Docteur Benjamin Verillaud, chirurgien cervico-facial à l’hôpital Lariboisière (Paris) et président du conseil scientifique du REFCOR (Réseau d’Expertise Français sur les Cancers ORL Rares) est aussi le président du conseil scientifique de Corasso.
Il nous explique les bénéfices et difficultés de ce traitement curatif, ainsi que les spécificités liées à la prise en charge chirurgicale des tumeurs rares de la tête et du cou.
Quelles sont les différentes catégories de cancers ORL rares opérables ?
Lorsque l’on parle de cancers ORL rares, pour schématiser, l’on considère quatre groupes :
- les cancers des fosses nasales et des sinus ;
- les cancers des glandes salivaires ;
- les cancers de l’oreille ;
- les cancers du reste des voies digestives supérieures (la cavité buccale, le pharynx, le larynx).
Les cancers des voies aérodigestives supérieures, appelés carcinomes épidermoïdes, ne font pas partie des cancers rares. Nous les rencontrons,en effet, très souvent dans la pratique clinique ORL. Bien qu’ils ne soient pas du ressort du REFCOR, n’hésitez pas à vous rapprocher du réseau (44 centres actifs) qui pourra vous orienter.
Concernant les cancers ORL rares, les approches chirurgicales sont très différentes suivant le groupe dans lequel on se trouve.
De plus, au sein de chacun de ces quatre groupes, il y a des types histologiques très variés : l’OMS a ainsi identifié jusqu’à 30 types de tumeurs par localisation. Ce sont des tumeurs assez différentes dans leur comportement, toutefois, nous sommes quand même obligés de les traiter d’une façon relativement standardisée, il reste donc possible de donner des informations générales sur la stratégie de prise en charge, et en particulier sur la chirurgie.
La chirurgie est donc toujours nécessaire pour ces cancers ?
Il y a aujourd’hui trois familles de traitements pour traiter un cancer : la chirurgie, la radiothérapie et les traitements par médicaments (la chimiothérapie, les thérapies ciblées). Pour ce qui concerne les cancers ORL rares, un traitement curatif comportera obligatoirement une chirurgie et/ou une radiothérapie. La chimiothérapie ou les thérapies ciblées ne sont pas utilisées seules à visée curative. On peut traiter certains patients par chimiothérapie ou thérapies ciblées, mais s’ils ne reçoivent que ces traitements, c’est que nous ne sommes pas dans un contexte curatif, mais dans un contexte palliatif.
Si l’on veut traiter un patient à visée curative, on va donc s’appuyer sur la chirurgie ou la radiothérapie, et très souvent sur la combinaison des deux, avec parfois même un traitement médicamenteux en plus. Un grand nombre des patients pris en charge à visée curative pour un cancer ORL rare seront donc opérés à un moment ou un autre de leur parcours thérapeutique.
Parfois, ce n’est pas possible. Pourquoi ?
Cela peut être impossible pour deux raisons :
- Une situation métastatique défavorable. Quand la maladie est disséminée ailleurs de façon majeure (c’est-à-dire que le patient présente beaucoup de métastases), même s’il n’y a pas de certitude absolue, on est rarement dans la possibilité d’un cadre curatif, et nous allons souvent passer à un traitement médicamenteux par chimiothérapie ou thérapies ciblées.
- Lorsque la balance bénéfices/risques de la chirurgie n’est pas en faveur de l’opération. Dans certains cas, les tumeurs peuvent être très volumineuses ou mal situées. Si l’on veut faire un geste complet (c’est-à-dire enlever toute la tumeur), ce serait alors au prix de sacrifices trop lourds pour le patient. Par exemple : enlever des structures trop importantes, comme dans certaines tumeurs des sinus situées à proximité des deux nerfs optiques. On sait qu’il n’est pas possible de proposer un geste chirurgical où l’on va enlever les deux nerfs optiques, c’est quelque chose qui est trop lourd.
Dans ces situations-là, on ne propose pas la chirurgie. Par ailleurs, certains types de tumeurs sont plus sensibles à la radiothérapie que d’autres : on aura plus tendance à considérer une radiothérapie pour les tumeurs « radiosensibles », tandis que la chirurgie sera privilégiée pour les tumeurs « radiorésistantes ».
Qu’est-ce qui est indiqué, dans ces cas-là ?
Il existe des attitudes un peu variées :
- Proposer la radiothérapie, qui a pour objectif de détruire les cellules tumorales, tout en préservant autant que possible les structures adjacentes
- Discuter d’autres stratégies, par exemple commencer par une chimiothérapie pour faire « diminuer la tumeur » et la rendre opérable.
Le message important à retenir, c’est que, dans pratiquement tous les cancers ORL rares, la chirurgie est discutée, c’est-à-dire que l’option est, au minimum, considérée. Si on peut la faire en dehors des situations évoquées ci-dessus, on va le plus souvent la faire.
Comment évaluez-vous le succès d’une intervention ?
En chirurgie cancérologique, l’objectif est d’obtenir une exérèse complète (c’est-à-dire de retirer la masse tumorale dans sa totalité), si possible avec une marge de sécurité, c’est-à-dire une marge de tissu sain autour de la tumeur. Dans les publications scientifiques, on parle de résection R0, R1 ou R2.
L’exérèse R0 signifie qu’on a tout enlevé et que l’analyse anatomopathologique sous microscope de ce qui a été retiré – et surtout des marges d’exérèse (c’est-à-dire des zones qui se trouvent autour de l’exérèse) – ne retrouve plus du tout de cellules tumorales.
L’exérèse R1, c’est quand un chirurgien a retiré tout ce qu’il voyait. Toutefois, il est passé un peu trop près de la tumeur, et, quand on regarde sous microscope, on voit qu’il reste probablement à l’échelle microscopique quelques cellules tumorales.
L’exérèse R2, c’est l’exérèse incomplète, même macroscopiquement, c’est-à-dire que le chirurgien voit qu’il ne peut pas tout enlever et qu’il laisse de la tumeur en fin d’intervention.
C’est la façon la plus simple d’évaluer la qualité de l’exérèse. En chirurgie cancérologique, le but premier est bien sûr d’obtenir le meilleur résultat en matière d’exérèse, c’est-à-dire une exérèse R0.
Mais nous évaluons l’intervention aussi, évidemment, sur ce qu’on pourrait appeler sa morbidité, c’est-à-dire sur les séquelles que cela laisse aux patients, les complications éventuelles de l’intervention, les suites opératoires. Cela pèse bien sûr dans la balance. La morbidité du geste doit être raisonnable.
Ce qui est très spécifique à notre domaine, c’est que la sphère ORL est « critique » en matière de sens, avec la vision, l’odorat, l’ouïe, le goût. Et elle est aussi critique parce qu’elle se trouve à proximité du carrefour aérodigestif, ce qui a son importance dans le cas de certaines tumeurs, pour la respiration, la phonation et la déglutition. Un chirurgien cervico-facial doit être capable de prendre en charge un patient en laissant le moins de séquelles possible sur toutes ces fonctions. C’est un peu la spécificité de notre spécialité chirurgicale. On doit toujours analyser ces éléments, qui se trouvent par définition à proximité de la tumeur. Chirurgicalement, on doit essayer à la fois d’être oncologiques, et d’épargner au maximum les structures voisines importantes. Les énormes progrès effectués au cours des dernières années dans le domaine de la chirurgie « mini-invasive » d’une part, et de la chirurgie reconstructrice d’autre part, ont d’ailleurs largement aidé à limiter les séquelles chirurgicales chez les patients.
Quel est votre domaine d’excellence en particulier ?
Dans le service, je dirais que ma spécialité est un peu plus particulièrement celle des tumeurs des fosses nasales et des sinus. Ce type de cancers est un assez bon exemple des progrès chirurgicaux qui ont marqué le domaine des cancers ORL rares au cours des 10 ou 15 dernières années. Les fosses nasales et les sinus, anatomiquement, se trouvent entre les deux yeux et juste sous le cerveau. Pendant des décennies, les patients étaient opérés par des voies externes. On faisait une incision soit au niveau du crâne (si c’était une voie d’abord qui passait par le haut), soit au niveau du visage (voies d’abord transfaciales, si on opérait plutôt par l’avant, par la face).
Depuis 10 ou 15 ans, une très grande partie des cancers des fosses nasales et des sinus sont opérés sans cicatrice, par voie endoscopique, en passant par l’intérieur des fosses nasales. On a développé des systèmes optiques et du matériel qui permettent de passer par les narines (un couloir naturel), accéder à la tumeur et l’enlever avec une très bonne vision, dans de bonnes conditions, en évitant ainsi les séquelles liées à des voies d’abord externes. C’est ce que l’on appelle la chirurgie endoscopique endonasale. Cette technique est d’ailleurs aussi utilisée pour des problèmes bénins des sinus.
Comment préparez-vous vos interventions, que ce soit avec le patient ou dans la façon dont vous allez intervenir ?
Dans la préparation, il y a une phase d’évaluation que j’appellerai diagnostique, où on va essayer de bien caractériser la tumeur sous toutes ses facettes. D’abord, en pratiquant une biopsie pour savoir de quel type de tumeur il s’agit. Ensuite, en faisant de l’imagerie (cela dépend, mais souvent il s’agit d’un scanner et d’une IRM). Et enfin on réalise un bilan d’extension à distance (soit un TEP-scanner, soit un scanner) pour définir précisément la lésion, son type, son stade.
Ensuite, il y a une deuxième étape importante : connaître l’état général du patient. Dans certains cas – quand ce sont des patients jeunes et en bon état de santé général –, il n’y a pas tellement de soucis, pas besoin de beaucoup de bilans. Chez des patients un peu âgés ou un peu fatigués, on peut être amenés à demander des bilans cardiologique, pneumologique, ou encore, si on est à proximité de la vision, ophtalmologique.
Une fois que cette phase diagnostique est complète, nous passons à la phase de décision thérapeutique. En cancérologie, les décisions sont prises de façon collégiale lors de réunions pluridisciplinaires (RCP). Or, il est important de rappeler que, par définition, les cancers ORL rares sont des cancers peu rencontrés. Il est donc indispensable que les décisions soient prises par des réunions pluridisciplinaires ayant l’habitude de ces cancers. Il y a 44 centres REFCOR en France, « habilités » et habitués à prendre ce type de décision. Si jamais le cas est vraiment difficile, il y a une RCP en ligne, nationale, tous les 15 jours. Il est important de dire aux patients que leur décision chirurgicale a été vraiment réfléchie et discutée.
Enfin la dernière étape, une fois la stratégie thérapeutique validée, est d’expliquer au patient le diagnostic et les différentes étapes du traitement. Il faut notamment expliquer en quoi consiste le geste chirurgical, quels sont ses risques et ses conséquences prévisibles.
Quels spécialistes réunit une RCP ?
En général, c’est d’abord fait à l’échelle locale. Par exemple, à Lariboisière, nous sommes huit ou dix médecins pour discuter de chaque dossier. Si jamais la décision est trop compliquée, nous soumettons le dossier à la réunion nationale où cinq à dix médecins se connectent. Chaque discipline est représentée. Il y a au moins un chirurgien, un oncologue médical, un radiothérapeute, un anatomopathologiste (parce que dans les cancers rares, il est primordial d’avoir un spécialiste de l’histologie des tumeurs), et souvent un radiologue pour analyser les images.
Quel est le délai en moyenne pour se faire opérer d’un cancer ORL rare ?
Cela dépend un peu des centres parce que, bien sûr, les délais opératoires ne sont pas les mêmes partout. En règle générale, il est recommandé, autant que possible, d’assurer un délai de moins de 30 jours entre la première consultation du patient et le geste curatif. Le but, en cancérologie, c’est d’aller vite.
Ce qui est un peu particulier avec les cancers ORL rares, c’est qu’ils présentent des difficultés un peu spécifiques. D’abord pour le diagnostic, parce qu’ils ne sont pas faciles à diagnostiquer. Il faut parfois un anatomopathologiste expert pour faire un diagnostic. Là aussi, le REFCOR est une force parce qu’il a un réseau d’anatomopathologistes en place sur la France. Il suffit à n’importe quel médecin de faire une demande, pour qu’un prélèvement de type biopsie, quel qu’en soit le centre de provenance, soit adressé à un centre expert pour une relecture. Mais cela peut entraîner un peu de délai, et c’est assez fréquent. Et puis, il y a la décision thérapeutique. Si le centre ne voit jamais, par exemple, de cancer de l’oreille, il va demander à un centre expert de traiter le dossier, ce qui rajoute là encore un peu de temps. Le délai idéal d’un mois est un but qui n’est pas forcément atteint.
Nombreuses sont les personnes qui viennent chercher des informations sur notre site avant même de rencontrer les chirurgiens et de commencer le protocole. Avez-vous un message à transmettre aux patients concernés par un cancer ORL ?
Je pense que, par définition, un patient qui vient sur votre site (et c’est un peu le fondement des associations de patients), c’est un patient qui a envie d’être acteur de sa prise en charge. C’est déjà un point extrêmement positif !
Et puis, la France a la chance d’avoir le réseau REFCOR (Réseau d’expertise français sur les cancers ORL rares) qui œuvre pour qu’une prise en charge plus experte soit proposée, si besoin. Les patients ne doivent donc pas hésiter à en parler à leur médecin car les généralistes (et parfois les spécialistes) n’en sont pas toujours informés.
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