Pratiques alternatives — coupeurs de feu

Les effets sec­ondaires des séances de rayons chez les patients soignés pour un can­cer ORL sont dif­fi­ciles à apais­er. Ces sen­sa­tions de brûlure, douloureuses, hand­i­ca­pantes, peu­vent amen­er à se tourn­er vers des soins alter­nat­ifs, par­mi lesquels le recours aux coupeurs de feu. Une pra­tique qui sem­ble assez répan­due. Avec quels bien­faits poten­tiels ? Quels risques éventuels ? Décryptage.

coupeur de feu magnetisme

On les appelle « coupeurs de feu », « bar­reurs de feu », par­fois « guéris­seurs », « rebou­teux », « mag­né­tiseurs »… Plusieurs reportages télévisés ou arti­cles de presse évo­quent leurs col­lab­o­ra­tions pour soulager des brûlures, par­fois directe­ment dans des cen­tres de soin, des ser­vices hos­pi­tal­iers. Nom­breux sont les témoignages de patients qui se dis­ent « soulagés » par leur inter­ven­tion. Si le bouche-à-oreille fonc­tionne à mer­veille pour recom­man­der ces soins non-con­ven­tion­nels, cer­taines pré­cau­tions s’appliquent pour éviter les mau­vais­es expériences.

Qui sont les coupeurs de feu ?

Il n’existe pas de con­sen­sus pour définir qui sont ces « guéris­seurs », qui n’appartiennent pas, la plu­part du temps, au corps médi­cal. Ils dis­ent avoir hérité d’un « don », trans­mis de généra­tion en généra­tion ou non, qui leur per­met de soulager des douleurs liées aux brûlures. Le principe : ils font inter­venir un trans­fert d’énergie ou un mag­nétisme. Ils seraient env­i­ron 6 000 en France. Un chiffre qui ne peut être qu’une esti­ma­tion, puisque leur pra­tique reste qua­si-secrète et non-officielle.

Dans sa thèse rédigée en 20071, le Dr Nico­las Per­ret, général­iste, cite plusieurs ouvrages évo­quant « des gens dis­crets qu’on trou­ve quand on va les chercher », « décrits par leur humil­ité, leur volon­té de soulager ». Avant d’ajouter : « Ils pra­tiquent cette activ­ité occa­sion­nelle de guéris­seur en plus de leur activ­ité pro­fes­sion­nelle. » Dans l’immense majorité des cas, ils pro­posent de partager leur don de manière totale­ment altru­iste, sans deman­der de rémunéra­tion en retour ou bien juste une com­pen­sa­tion mod­este pour leur temps ou leur déplacement.

« Des gens dis­crets qu’on trou­ve quand on va les chercher (…), décrits par leur humil­ité, leur volon­té de soulager »

Le Dr Nico­las Per­ret écrit égale­ment dans sa thèse : « Les méth­odes employées par les guéris­seurs tra­di­tion­nels sont le plus sou­vent des prières ou l’ap­po­si­tion des mains. » Avec un com­plé­ment d’information toute­fois, puisque les séances des­tinées à « lever le feu » se pra­tiquent aus­si par téléphone.

Une autre médecin général­iste, Dr Manon Mirabel, s’est penchée en 20212 sur le recours aux coupeurs de feu après radio­thérapie. Elle affirme que sur 31 cen­tres de radio­thérapie con­tac­tés dans le cadre de la rédac­tion de sa thèse de fin d’études, villes de grande taille et com­munes rurales con­fon­dues, 15 recon­nais­saient con­serv­er une liste de mag­né­tiseurs à pro­pos­er à leurs patients. Un procédé sou­vent « sous le man­teau » et dépen­dant grande­ment de la sen­si­bil­ité des soignants eux-mêmes à ces tech­niques. La plu­part du temps, c’est le bouche-à-oreille qui va fonc­tion­ner, avec des proches qui recom­man­dent de faire appel un coupeur de feu, soit qu’ils con­nais­sent per­son­nelle­ment, soit dont ils ont enten­du parler.

« Sur 31 cen­tres de radio­thérapie con­tac­tés (…), 15 recon­nais­saient con­serv­er une liste de mag­né­tiseurs à pro­pos­er à leurs patients »

Que peut-on attendre comme bienfaits ? 

À ce jour, l’action des coupeurs de feu ou des mag­né­tiseurs ne s’appuie sur aucune preuve sci­en­tifique. Les béné­fices sont rap­portés par les patients eux-mêmes, avec des résul­tats ressen­tis par­fois spec­tac­u­laires. Les coupeurs de feu visent essen­tielle­ment à soulager des douleurs provo­quées par des brûlures, qu’elles soient d’origine ther­mique, chim­ique, liées à de la radio­thérapie ou à un zona.

Aujourd’hui onco-radio­thérapeute, le Dr Mathilde Damilleville-Mar­tin a tra­vail­lé sur l’évaluation du recours aux coupeurs de feu en radio­thérapie lors de sa thèse de fin d’études en 20213. Elle y a col­lec­té dif­férents témoignages d’onco-radiothérapeutes, cer­tains sep­tiques quant à cette pra­tique et qui ont vu leur opin­ion chang­er. Comme en atteste l’un de ces réc­its : « Il y a quelques années, j’ai pris en charge une jeune femme d’une ving­taine d’année pour une tumeur de la langue. Je l’ai traitée par radio-chimio­thérapie, et au bout de quelques semaines de traite­ment, elle a dévelop­pé une mucite de grade 3, avec intro­duc­tion de morphiniques…etc. Elle m’a lais­sé un mes­sage un jour pour me deman­der si elle pou­vait aller voir un rebou­teux en Vendée. Je n’y ai pas vu d’inconvénient. Je la revois en con­sul­ta­tion quelques jours plus tard, et… plus de mucite. Plus de douleurs non plus. Je lui demande : “Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ?” Et elle me dit qu’elle est allée voir ce bar­reur de feu, il a posé ses mains autour de ses mâchoires, elle a sen­ti de la chaleur, et puis elle est partie…et plus rien. (…) Ça m’a pro­fondé­ment ques­tion­née. (…) Alors je me suis par­ti­c­ulière­ment intéressée à son suivi, parce que je craig­nais que cette réac­tion soit due à une mau­vaise effi­cac­ité des rayons, et non. » 

« Elle me dit qu’elle est allée voir ce bar­reur de feu, il a posé ses mains autour de ses mâchoires, elle a sen­ti de la chaleur, et puis elle est partie…et plus rien »

Cette même radio­thérapeute évoque un sec­ond cas sim­i­laire auquel elle a été con­fron­tée dans sa car­rière : « Le deux­ième épisode con­cerne une infir­mière que j’ai traitée pour un can­cer du lar­ynx. Elle avait au bout de quelques semaines une radio­der­mite de grade 3 avec des pansements…etc. Je la vois venir à ma con­sul­ta­tion sans panse­ments, la peau rede­v­enue nor­male. Je lui dis : “Ils ont bien marché les panse­ments !”, et elle me répond “Non, les panse­ments n’ont pas tenu. Je suis donc allée voir un bar­reur de feu.” À nou­veau je n’en reve­nais pas. Une radio­der­mite de grade 3, ça ne peut pas s’améliorer comme ça, surtout pas avant la fin de la radio­thérapie qui plus est. Ce n’était pas possible. »

« Une radio­der­mite de grade 3, ça ne peut pas s’améliorer comme ça, surtout pas avant la fin de la radio­thérapie qui plus est. Ce n’était pas possible. »

Pour Coras­so, Math­ieu a accep­té de partager sa pro­pre expéri­ence. Diag­nos­tiqué d’un can­cer du cavum fin 2011, il a con­nu « l’immense galère » asso­ciée aux dizaines de séances de radio­thérapie : « Le feu dans la gorge, l’impossibilité d’avaler… Après plusieurs mois de souf­frances, sans réelle amélio­ra­tion, j’ai fini par me laiss­er con­va­in­cre de con­sul­ter un mag­né­tiseur. J’ai une for­ma­tion sci­en­tifique, j’étais peu ouvert à ces pra­tiques que je jugeais un peu saugrenues. Mais comme je ne m’en sor­tais pas, je me suis dit : “Pourquoi ne pas essay­er, tu n’as rien à per­dre”. » Aujourd’hui âgé de 64 ans, il se sou­vient avoir con­tac­té plusieurs per­son­nes à ce sujet. Cer­taines avec qui le con­tact est bien passé, d’autres moins. Il décrit : « L’un des coupeurs de feu, très accueil­lant et chaleureux, était basé dans les Alpes. J’habite dans les Yve­lines. Nous avons effec­tué quelques séances gra­tu­ites par télé­phone. Il ne m’a rien promis puisque, selon lui, je m’y pre­nais un peu tar­di­ve­ment. Il y a eu un silence de quelques min­utes. J’ai com­pris que la séance était en cours. Au bout d’un moment, il m’a dit que c’était ter­miné pour cette fois et que nous pour­rions recom­mencer prochainement. »

Quelques ren­dez-vous plus tard, Math­ieu recon­naît un « vrai soulage­ment » : « La douleur s’estompait enfin dans ma gorge. J’ai pu recom­mencer tout douce­ment à manger… » Impos­si­ble d’après lui de con­clure caté­gorique­ment aux bien­faits de l’intervention des coupeurs de feu, puisque « de manière con­comi­tante, il a été mis en place un traite­ment avec des anti-inflam­ma­toires ». « J’ai tout de même ten­dance à penser que les mag­né­tiseurs ont aidé. J’étais très fer­mé à ces pra­tiques et je m’y suis finale­ment ouvert. Même s’il n’existe aucune preuve tan­gi­ble de leur effi­cac­ité. Si la sit­u­a­tion devait se représen­ter, je n’hésiterais pas à faire appel à un mag­né­tiseur beau­coup plus tôt. »

« Si la sit­u­a­tion devait se représen­ter, je n’hésiterais pas à faire appel à un mag­né­tiseur beau­coup plus tôt »

Comment se protéger des dérives ?

Vous l’aurez com­pris, il est impos­si­ble d’affirmer qu’un recours à un coupeur de feu peut soulager les effets sec­ondaires d’une radio­thérapie au niveau de la sphère ORL. Il est égale­ment impos­si­ble d’affirmer le con­traire. Veillez tout de même à vous tourn­er vers des per­son­nes qui vous ont été recom­mandées. Le ressen­ti per­son­nel joue égale­ment beau­coup, il faut se sen­tir à l’aise avec votre inter­locu­teur puisque les suites d’un traite­ment anti­cancéreux sont des péri­odes de grande vulnérabilité.

Point essen­tiel : faire appel à des thérapies alter­na­tives ne com­porte pas de risque en soi, à con­di­tion de ne jamais se détourn­er des soins tra­di­tion­nels recom­mandés par le corps médical.

Con­tac­tée à ce sujet, la MIVILIUDES (Mis­sion Inter­min­istérielle de Vig­i­lance et de Lutte con­tre les Dérives Sec­taires) indique « avoir reçu une demande d’avis en 2018 sur cette pra­tique : un pro­fes­sion­nel de san­té sol­lic­ité par plusieurs patients qui voulaient y avoir recours. Ces pra­tiques sont con­statées en zone de cam­pagne essen­tielle­ment. La Mis­sion inter­min­istérielle a pu con­stater son util­i­sa­tion dans un ser­vice d’oncologie. » Elle pré­cise : « À la dif­férence d’un “gourou” de la san­té, le coupeur de feu ne cherche pas à met­tre sous emprise la per­son­ne malade et/ou la détourn­er de son traite­ment con­ven­tion­nel. » 

Ces aidants de l’ombre ont générale­ment une réelle éthique, leur objec­tif pre­mier étant de con­tribuer à apais­er des douleurs qui ne trou­vent pas de solu­tions dans la médecine clas­sique. Ils n’exercent donc pas dans un but lucratif. La vig­i­lance reste de mise face à des prati­ciens qui deman­dent de fortes sommes d’argent ou cherchent à se sub­stituer aux soins traditionnels.

Par Vio­laine Badie

Sources :

1. Nico­las Per­ret. Place des coupeurs de feu dans la prise en charge ambu­la­toire et hos­pi­tal­ière des brûlures en Haute-Savoie en 2007. Médecine humaine et patholo­gie. 2009. dumas-00630683

2. Manon Mirabel. Com­pren­dre le recours aux « coupeurs de feu » après radio­thérapie : entre­tiens avec des général­istes et onco­ra­dio­thérapeutes. Sci­ences du Vivant. 2021. dumas-03279885

3. Mathilde Damilleville-Mar­tin. COFER : éval­u­a­tion du recours aux coupeurs de feu en radio­thérapie en tant que soin oncologique de sup­port : étude mixte qual­i­ta­tive et quan­ti­ta­tive. Médecine humaine et patholo­gie. 2021. dumas-03428879

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