Dispositif médical novateur

Des chercheurs améri­cains ont dévelop­pé un patch qui per­met, grâce aux sim­ples mou­ve­ments mus­cu­laires de la gorge, de repro­duire des phras­es sans l’intervention des cordes vocales. Le tout avec l’aide d’une intel­li­gence arti­fi­cielle. Ce dis­posi­tif médi­cal donne des espoirs aux patients souf­frant de trou­bles de la parole. Qu’en est-il vrai­ment ? Com­ment fonc­tionne ce patch et quelles appli­ca­tions médi­cales en atten­dre ? Les expli­ca­tions du Pr Bertrand Bau­jat, ORL à l’hôpi­tal Tenon (Paris).

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L’annonce a fait grand bruit dans les médias, suite à une étude pub­liée en mars dernier (2024) dans la revue Nature Com­mu­ni­ca­tions*. Plusieurs chercheurs du départe­ment de bio-ingénierie de l’Université de Cal­i­fornie à Los Ange­les (UCLA) révè­lent avoir dévelop­pé un dis­posi­tif médi­cal pour des patients présen­tant dif­férents hand­i­caps vocaux. Son principe : le patch, col­lé sur la peau du cou, per­me­t­trait de « par­ler » sans utilis­er les cordes vocales, grâce à une intel­li­gence arti­fi­cielle (IA).

Comment fonctionne ce dispositif médical ?

Avec un design inspiré des origamis japon­ais, le patch capte les mou­ve­ments de la gorge et les décode via un algo­rithme, afin de recréer des phras­es. Sans inter­ven­tion des cordes vocales donc, puisque « ce sont les mou­ve­ments des mus­cles extra-laryn­gés qui sont cap­tés », détaille le Pr Bertrand Bau­jat, ORL spé­cial­isé en chirurgie cer­vi­co-faciale à l’hôpital Tenon. Les mus­cles per­me­t­tant de faire fonc­tion­ner le lar­ynx, organe de la parole abri­tant les cordes vocales, se dis­tinguent en effet en deux groupes : des mus­cles intrin­sèques et des mus­cles extrinsèques.

Ce patch, de forme car­rée, mesure env­i­ron 3 cm de côté, 1,5 mm d’épaisseur et pèse à peine 7 grammes. Sa découpe géométrique le rend suff­isam­ment flex­i­ble pour capter des micro-mou­ve­ments mus­cu­laires à tra­vers la peau. Les mou­ve­ments sont ensuite « traduits » en phras­es com­plètes grâce à une intel­li­gence artificielle.

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Pho­to du cou d’une per­son­ne avec l’appareil – un car­ré adhésif noir – fixé à l’extérieur de la gorge. ©Jun Chen Lab/UCLA

Aucun besoin d’une source d’énergie pour le faire fonc­tion­ner, puisque les chercheurs pré­cisent que le dis­posi­tif « s’auto-alimente ».

« Les mou­ve­ments des mus­cles de la gorge sont ensuite « traduits » en phras­es com­plètes grâce à une intel­li­gence artificielle »

En quoi est-il intéressant ?

Les ingénieurs de UCLA con­sacrent une grande par­tie de leur arti­cle à décrire les aspects tech­nologiques du patch. Selon le Pr Bertrand Bau­jat : « C’est sûre­ment là que l’étude présente un intérêt. » En com­para­i­son avec d’autres dis­posi­tifs basés sur le même principe, ce patch serait plus flex­i­ble, plus léger, plus facile à sup­port­er. « Près de la moitié de l’article détaille com­ment le film est très con­fort­able, com­ment on peut se baign­er avec… L’innovation con­cerne avant tout la tech­nolo­gie employée. »

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La tech­nolo­gie portable est conçue pour être suff­isam­ment flex­i­ble pour suiv­re et cap­tur­er l’ac­tiv­ité des mus­cles laryn­gés sous la peau. ©Jun Chen Lab/UCLA

Le patch est com­posé de plusieurs matéri­aux, avec notam­ment un polymère à la fois élas­tique et isolant (du poly­diméthyl­silox­ane ou PDMS), du cuiv­re et une couche inter­mé­di­aire asso­ciant du PDMS et des micro-aimants. Cette dernière con­ver­tit les mou­ve­ments mus­cu­laires en vari­a­tions mag­né­tiques, puis en sig­naux électriques.

« Ensuite, seule­ment, les chercheurs améri­cains évo­quent les résul­tats de leur inven­tion. Ils analy­sent ce que tran­scrit la machine à par­tir du mou­ve­ment d’une sorte de voix chu­chotée, en dis­ant qu’ils sont sat­is­faits sans pour autant détailler », décrypte le Pr Bau­jat. « Les résul­tats sont pure­ment sta­tis­tiques et non cliniques. »

« En com­para­i­son avec d’autres dis­posi­tifs basés sur le même principe, ce patch serait plus flex­i­ble, plus léger, plus facile à supporter »

Que révèlent les résultats de l’étude ?

Ils évo­quent une pré­ci­sion de « près de 95 % », ce qui sig­ni­fie que le dis­posi­tif a retran­scrit les inten­tions de parole des sujets testés avec 95 % d’exactitude.

Point impor­tants : le patch a été testé unique­ment sur huit volon­taires sains, c’est-à-dire ne présen­tant aucune patholo­gie, répé­tant cinq phras­es très sim­ples (comme « Joyeux Noël » ou « Je t’aime »). 

Les auteurs évo­quent la suite de leurs inves­ti­ga­tions, qui va se con­cen­tr­er sur enrichir l’algorithme de l’IA afin d’élargir le nom­bre de phras­es et de mots sus­cep­ti­bles d’être recon­nus et retran­scrits. Ils n’abordent pas le sujet de futurs tests sur des patients avec des prob­lèmes médi­caux impac­tant la voix et les cordes vocales. « Il s’agit d’un pro­duit extrême­ment prélim­i­naire, qui est encore très loin d’une util­i­sa­tion clin­ique dans un con­texte de patholo­gie », tem­père le Pr Bertrand Baujat. 

« Il s’agit d’un pro­duit extrême­ment prélim­i­naire, qui est encore très loin d’une util­i­sa­tion clin­ique dans un con­texte de pathologie »

Qui pourrait bénéficier d’un tel dispositif ? 

Le texte pub­lié dans la revue Nature Com­mu­ni­ca­tions men­tionne, comme poten­tiels béné­fi­ci­aires de la tech­nolo­gie, des per­son­nes souf­frant de dys­pho­nie. Ils lis­tent « divers­es affec­tions pathologiques des cordes vocales » ain­si qu’une « récupéra­tion post-opéra­toire suite à une chirurgie du can­cer du lar­ynx »

Ces indi­ca­tions, repris­es dans dif­férents arti­cles de presse grand pub­lic, n’ont pas man­qué d’éveiller l’intérêt des patients soignés pour un can­cer ORL et souf­frant de trou­bles de la phona­tion. « Les auteurs restent très flous sur ces indi­ca­tions. Aucune autre pré­ci­sion n’est apportée, ce qui révèle une cer­taine mécon­nais­sance des patholo­gies can­céreuses laryn­gées », explique le Pr Bau­jat. « Les caus­es des trou­bles de la parole dans les can­cers ORL sont très var­iées. Générale­ment, pour soign­er ce type de can­cers, les traite­ments sus­cep­ti­bles d’impacter les cordes vocales affectent aus­si le fonc­tion­nement des mus­cles de la gorge. Les prob­lèmes phona­toires dans un con­texte de can­cer sont asso­ciés à des mod­i­fi­ca­tions pro­fondes de la mus­cu­la­ture extra-laryn­gée, provo­quées soit par la chirurgie, soit par la radio­thérapie. » 

Chez les patients ayant subi une laryn­gec­tomie, même par­tielle, il est qua­si­ment impos­si­ble que les mus­cles extra-laryn­gés con­ser­vent un par­fait état de fonc­tion­nement. Or, pour l’heure, le patch a été testé unique­ment chez des sujets ne présen­tant aucun défaut musculaire.

« Dans un con­texte de sténose com­plète du lar­ynx par exem­ple, avec les mus­cles qui fonc­tion­nent encore par­faite­ment, on peut penser que cette tech­nolo­gie pour­rait présen­ter un intérêt pour recréer une forme de voix. Cepen­dant, cela se pro­duit unique­ment dans le cas de patholo­gies non-can­céreuses, comme lors de séquelles dues à une intu­ba­tion pro­longée. Dans ce cas pré­cis, le patch pour­rait aider avec la voix, mais n’aiderait pas pour la fonc­tion res­pi­ra­toire. Les patients resteraient dépen­dants de leur can­ule de tra­chéo­tomie pour respir­er », analyse l’ORL. « Au final, il est trop tôt pour imag­in­er une util­ité de cette tech­nolo­gie en can­cérolo­gie, à mon avis, mais il faut bien sûr encour­ager toute recherche en ce sens », con­clut Bertrand Baujat. 

« Dans un con­texte de sténose com­plète du lar­ynx par exem­ple, avec les mus­cles qui fonc­tion­nent encore par­faite­ment, on peut penser que cette tech­nolo­gie pour­rait présen­ter un intérêt »

Pro­pos recueil­lis par Vio­laine Badie

Source :

*Che, Z., Wan, X., Xu, J. et al. Speak­ing with­out vocal folds using a machine-learn­ing-assist­ed wear­able sens­ing-actu­a­tion sys­tem. Nat Com­mun 15, 1873 (2024). https://doi.org/10.1038/s41467-024–45915‑7

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