Résumer 8 ans de combat contre un carcinome adénoïde kystique des glandes salivaires accessoires. Je relève le défis !
C’était un lundi, le 17 mai 2010. Le jour de mon sixième mois de grossesse. Il était grand temps de faire une petite visite chez le dentiste. Je n’y avais pas mis les pieds depuis 5 ans. Il paraît que les dents des femmes enceintes sont plus fragiles. Et puis je l’adore le Dr Ygal Danan, c’est l’occasion de lui annoncer la bonne nouvelle ! C’est un praticien bienveillant et brillant, un de ceux qui vous font une piqûre dans le palais sans même que vous la sentiez. Bref, un magicien des soins dentaires chez lequel vous vous rendez en toute confiance, sans aucune appréhension.
L’examen est minutieux, comme à son habitude. Chaque dent est observée avec attention, RAS. Un petit détartrage au passage. Pshiiiiiiiit, pshiiiiiiit, pshiiiiiiit.
Une dernière vérification avant de me laisser repartir.
Son regard se fige, ses mâchoires se crispent.
“Sabrina, c’est quoi cette boule ?”
“Laquelle ?”
“Celle sur ton palais ! ”
J’avais le palais très incurvé donc je n’avais jamais senti auparavant cette grosseur du côté gauche. Asymétrique et vascularisée, si caractéristique des tumeurs malignes.
Avant même que le diagnostic soit posé, j’avais compris. Pourtant le Dr Boris Petelle me reçoit en consultation dès le lendemain et met tout en œuvre pour me rassurer. Mais, on ne fait pas une photo de votre palais, encore moins une biopsie, pour un aphte… je ne suis pas dupe…
Le couperet tombe quelques jours plus tard.
Les questions de tout ordre fusent alors. Pourront-ils me soigner sans que cela impacte la santé de mon bébé ? Comment vont-ils me traiter ? Avant ou après l’accouchement ? Pourquoi, à 29 ans ? Pourquoi pendant ma grossesse ? Pourquoi moi ?
Certaines de ces questions trouverons des réponses… d’autres pas. Il va falloir apprendre à vivre avec. De toute façon, la priorité est de m’orienter vers un centre de soins. Je choisis Gustave Roussy. C’est le plus proche de chez moi et il dispose d’une cellule spécialisée pour les femmes enceintes.
L’extérieur du bâtiment n’est pas des plus engageants. Mais l’intérieur est surprenant. Un grand hall moderne, des espaces de consultations disposés autour d’un jardin intérieur, surplombé d’une verrière. Il y a pire contexte… Ça paraît futile, pourtant ces petits détails ont leur importance. Sans compter sur la sympathie du personnel à l’accueil, du gardien de parking ou encore des secrétaires. Un hôpital de bisounours ! Et ça, ce n’est pas un détail !
C’est le Dr Stéphane Temam qui aura la responsabilité de me débarrasser du crabius de merdus. Mais avant cela. Il va falloir qu’il fasse preuve de beaucoup de patience pour m’expliquer ce qui m’attend, sans pour autant m’effrayer. Parce qu’à ce moment précis, c’est à dire tout juste 8 jours après la découverte de la tumeur, j’ai dans l’idée que l’on va m’enlever rapidement cette boule et que je vais pourvoir poursuivre ma grossesse tranquillement.
En fait… non ! Pas vraiment. Pas du tout même.
Avec toute la sérénité qui le caractérise, le Dr Temam m’explique qu’il va d’abord falloir faire des examens radiologiques pour vérifier l’ampleur des dégâts. On pourra alors statuer sur le traitement adéquat.J’apprends deux semaines plus tard que la tumeur fait 6 cm et qu’il est question d’une intervention en neurochirurgie. La base du crâne semble touchée. Je n’échapperai pas à la radiothérapie. La dose maximale en IRMT : 32 séances environ 3 semaines après l’intervention.
Côté exérèse, le décor est planté. Et côté reconstruction… qu’en est-il ?
Tenue bleu turquoise pour faire ressortir la couleur de mes iris. Je vais lui mettre la pression ! Il ne faut pas qu’il me rate ! Je suis une boule de complexes mais jusque-là, j’avais trois détails physiques qui me rassuraient : mes cheveux, ma poitrine, mes yeux. Il ne faut pas qu’il abîme mon regard !
En salle d’attente, avec ma mère, nous découvrons le sens du mot “patient”. Elle m’accompagne à beaucoup de rendez-vous. C’est sa façon de me soutenir et peut être bien de se rassurer… sait-on jamais, si j’avais l’idée de lui cacher des informations…
Il est en retard, il paraît que c’est fréquent.
La douce Aline qui assure l’accueil de l’espace 6 me conseille d’aller voir la psychologue, le Dr Frédéric Kolb me recevra après.
Je ne voulais pas y aller à cette consultation psy ! On m’a presque imposé le rendez-vous ! On en a vu d’autres dans la famille et on a toujours tenu bon ! On sert les dents, on est solidaire et puis c’est tout !
Une heure plus tard, les yeux rougis, je retrouve ma mère.
Finalement, c’était peut-être utile d’échanger avec Madame Léger… J’en retiens un conseil essentiel : ” Ne prenez pas tout en charge. Déléguez ! C’est vous le chef d’orchestre ! ” J’ai bien entendu, de là à mettre en œuvre…
C’est mon tour. Le Dr Kolb, chirurgien plasticien, dont tous me disent tant de bien, a attendu mon retour. Il est 13h. Nous ne sortirons de la salle de consultation qu’à 14h30. Une heure et demie d’échanges intenses. Je veux tout savoir ! Il va tout me dire.
La tumeur est montée tout près de l’œil. On va le sauver mais il va falloir reconstruire le planché de l’orbite en plus de la mâchoire et du palais. On appelle ça une maxilectomie totale.
Une journée entière au bloc. On retire le carcinome avec de larges marges de résection. C’est à dire que l’on enlève les tissus sains autour de la tumeur pour les analyser au cours de l’opération. On vérifie qu’ils ne contiennent plus de cellules cancéreuses. Tant que l’on trouve des traces de crabe, et que l’on peut retirer les tissus touchés, on continue ! C’est la meilleure façon de limiter les risques de récidive.
Je vais ressortir épuisée de l’opération, passer quelques jours en soins intensifs. Je serais probablement transfusée car je vais perdre beaucoup de sang. Je serai nourrie par sonde nasogastrique jusqu’à ce que je puisse me réalimenter par la bouche.
Je vais également être trachéotomisée car je serai trop enflée pour respirer par le nez.
Assise sur le fauteuil d’auscultation, je sers les accoudoirs. Mon front perle. Le malaise vagal s’invite. Je ne veux pas qu’il s’en aperçoive, j’ai encore des questions. Poursuivons.
Pour la reconstruction, on va prendre un bout de cartilage costal pour le planché de l’orbite, la pointe de l’omoplate pour le palais et du muscle scapulodorsal pour combler tout ça. Il faut mettre de gros lambeaux car la radiothérapie va griller les tissus et les faire rétrécir.Les risques sont nombreux mais je suis jeune, avec une hygiène de vie relativement saine, les autogreffes devraient bien se passer. De toute façon, il n’y a que 3% de rejets, je ne vais quand même pas cumuler les raretés !
Je comprends qu’au-delà d’être un médecin empathique et bienveillant, le Dr Kolb est un artiste, un orfèvre. Il va tout simplement sculpter mes os pour leur donner une nouvelle fonction. Alors quand il m’informe de la possibilité d’une intervention plus légère et plus rapide, sans reconstruction, avec une simple prothèse… même au bord de l’évanouissement, je refuse. J’ai 29 ans, je suis trop jeune pour cela !
Sur le pas de la porte je conclus : “En gros Docteur, vous êtes en train de me dire que je vais en chier ?“
Oups, c’est sorti tout seul…
Quelques années plus tard, lorsque je vois le méchant de Skyfall retirer sa prothèse devant M, je suis confortée dans ce choix ! Au fait, pourquoi les défigurés sont-ils presque toujours les méchants au cinéma ?
Après cet échange éprouvant, je me sens soulagée, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Je vais en baver mais tout semble sous contrôle. En tout cas, le Dr Kolb est motivé pour faire au mieux, il a de l’expérience et il ne m’a rien caché. Il a même consenti qu’avec la couleur de mes yeux, il serait difficile de dissimuler les traces de l’opération.
J’essaie de me rassurer sur mon futur visage. Mais il n’y a pas à tortiller, je ne serai jamais plus comme avant.
Avec mes cheveux, des lunettes et du maquillage, j’aurais bien assez d’artifices pour dissimuler les cicatrices. Enfin, j’espère…
1er août 2010, veille de l’opération. Cela fait 2 mois et demi que j’ai été diagnostiquée.
Jusqu’à là, j’allais bien. C’est maintenant que ça va se compliquer !
C’est un dimanche. J’arrive à l’hôpital en fin d’après-midi. L’ambiance est pesante. Peut-être parce qu’en ce mois estival le service est plus calme. Peut-être parce que l’on est dimanche. Sûrement parce qu’en me retrouvant dans cette chambre sordide, je commence à réaliser ce qui m’attend… Rien ne sera jamais plus comme avant.
Catherine, une des adorables infirmières qui prendra soin de moi avec Rim et tant d’autres, apporte une boite de mouchoirs. Peut-être bien que j’ai enfin le droit de pleurer… Maintenant que l’on me prend en charge c’est peut-être possible… Peut-être bien que j’en ai besoin…
Dernier repas, douche à la bétadine, dodo, douche à la bétadine, bloc, dodo…
“Votre maman et votre mari ont appelé pour savoir si tout c’était bien passé”
“Tout s’est bien passé Madame Le Bars.
…
Je ne comprends pas…
…
Ha oui, on a préservé les dents jusqu’à la canine.”
“Je m’attendais vraiment à pire je t’assure. Le plus dur c’est ton œil cousu mais ça ira mieux quand ils élèveront les fils.”
“Madame, je vais enlever la canule
Essayer de respirer par le nez.
Fais un effort tout de même !
“Madame, on va vous transférer dans le service ORL.”
Je ne me souviens que de ces mots durant les 72 premières heures.
Les jours suivants, je récupère petit à petit. On retire peu à peu ce qui m’encombre : la canule, les redons…
Reste cette maudite sonde nasogastrique et la perfusion. Rien qui ne m’empêche de me lever mais toujours pas de douche en perspective. Pourtant j’en rêve ! Je n’en ai pas la force mais je voudrais tant me débarrasser de tout ce sang et cette bétadine qui ont séché sur mes cheveux ! C’est dégoûtant !
Un dimanche après-midi, Najet, mon aide-soignante adorée, mon ange-gardien, fait appel à une de ses collègues. J’ai oublié son prénom mais j’ai toujours l’image de son visage rayonnant.
Elle prépare la petite salle d’eau pour me délivrer. Quelques serviettes, une chaise devant le lavabo. C’est jour de fête !!!
C’était douloureux mais que c’est bon des cheveux tout propres ! C’est fou comme les petits plaisirs de la vie prennent une autre dimension dans ce contexte !
Alors que je ne m’y attendais pas, cette expérience capillaire se transforme en guet-apens… Elles en profitent. Elles veulent que j’affronte le miroir !
Pas moi !
Depuis que je suis sortie des soins intensifs et que je suis mobile, j’ai demandé que l’on cache le miroir de la salle d’eau. Je ne veux pas me voir ! C’est trop tôt ! Mes sensations suffisent à imaginer ma face d’Elephant Man.
Pourtant, elles insistent les bourriques ! Ma mère au premier rang soutenue par les infirmières et aides-soignantes. Sacrée équipe !
“Tu t’imagines sûrement pire que la réalité ! Ça a déjà bien dégonflé !“
Je n’ai pas la force de résister.
…
Le chemin va être long.…
D’autant plus long que le thermomètre s’affole. Le lambeau prend un aspect suspect. Une odeur nauséabonde s’installe…
Quelques coups de scalpel par ci par là n’y font rien.
Après plusieurs jours, il n’y a plus de doute. La nécrose ronge irrémédiablement la greffe.
Trois semaines plus tard, il faut recommencer… ou envisager la prothèse.
Le Dr Kolb passe à nouveau une longue heure à mon chevet. Il s’excuse même de cet échec, c’est dire s’il est humble ! Il n’y ait pourtant pour rien.! La grossesse récente explique peut-être cette nécrose du fait d’un défaut de vascularisation. On ne saura jamais. De toute façon, il faut prendre une décision !
Reconstruire c’est repartir presque à 0. En ai-je la force ? J’ai hâte de retrouver ma fille, elle me manque tellement. Elle n’a que 7 semaines et a déjà passé la moitié de sa vie sans sa maman.
Mais je suis encore une jeune femme. Mon choix va impacter le reste de ma vie…
Même si je sais que je veux la reconstruction, j’ai besoin que mon chirurgien et le porte de ma fille me confortent dans ce choix. J’ai besoin de savoir qu’ils ont confiance en moi.
Douche à la bétadine, dodo, douche à la bétadine, bloc, dodo…
“Votre maman et votre mari ont appelé pour savoir si tout c’était bien passé”
“Tout s’est bien passé Madame Le Bars.”
La reconstruction seule est moins épuisante. Je récupère plus vite. Mais je préférais la version fatigante, je ressentais moins la douleur. Je sors de l’hôpital en moins d’une semaine mais la partie est loin d’être terminée…
Je vous épargne, le détail des douleurs, l’angoisse de la trachéotomie, le sevrage de la morphine et ses douces hallucinations, les nuits de nausées, le super sexy conformateur nasal, la sonde nasogastrique rejetée, l’infection nosocomiale bien cachée, la radiothérapie éprouvante, le stress des examens de contrôle, la liste interminables des séquelles, la méningite comme un rappel à l’ordre … Je ne vois pas qui pourrait être intéressé par tous ces détails sordides. Le scénariste de Dr House peut être ?
Je préfère évoquer le soutien de ma famille, de mes amies, du personnel soignant… Les nouvelles premières fois, comme une renaissance. Les retrouvailles avec ma fille ou plus exactement, le véritable début de ma vie de maman. J’ai survécu, je deviens enfin mère et non plus génitrice. Elever ma fille suffisamment longtemps pour lui transmettre mon amour de la vie, pour l’aider à voler de ses propres ailes, devient possible, peut-être.
Portée par tout cet amour, je finis par m’adapter petit à petit à toutes les séquelles. Ou presque…
Mon visage est très marqué. Je ne me reconnais pas. Je ne vois que cela dans le reflet du miroir. Sur les clichés c’est encore pire.Il faut pourtant bien ressortir de la maison. Ressortir de l’hôpital aussi, même s’il est devenu un confortable cocon. Aller chez le pharmacien, faire quelques courses… Bref, retrouver un semblant de quotidien. Il faut se bousculer, il faut oser. Oser affronter le regard des autres.
Finalement, les premières sorties ne sont pas si compliquées. Avec mon visage encore difforme, on croit à un accident. On me questionne. Je passe pour une warrior.
Et puis je sors rarement sans ma fille. Elle est magnifique, elle attire tous les regards. Un vrai bouclier : pendant qu’on l’admire, on ne me voit pas.
Rencontre inattendue. La pétillante Diane Lafosse glisse sa main experte dans ma bouche. Elle est gantée bien sûr. Peu de kiné ose ce type de massage. Elle est une des rares spécialistes. Les séances s’enchaînent dans la bonne humeur, rarement dans la douleur.
Après quelques semaines, quelques mois, mon visage dégonfle, doucement, lentement.
Le combat est moins visible, restent les stigmates. Les perspectives d’amélioration s’amenuisent. Il va falloir se faire à cette nouvelle image. Plus je l’assumerai, plus je resterai indifférente au regard d’autrui. Celui-là même qui me renvoie trop souvent de la pitié, de la peur ou même de la moquerie.
Six mois après la radiothérapie, j’ai enfin rendez-vous pour ma prothèse dentaire. Même si le Dr Temam avait tout fait pour préserver le maximum de dents, il en manquait tout de même quatre… Il me tarde donc de retrouver mon sourire tout entier ! Le Dr Kolb a reconstruit un beau vestibule me dit-on, mon appareil va donc bien tenir. Me voilà rassurée !
Empreintes. Choix des nuances. Essayage. Ajustement. Essayage. Miroir.
A ce moment précis, j’aurais du être ravie. D’autant plus ravie que peu de centres de soins prennent en charge les prothèses dentaires. C’est donc un privilège de ne pas avoir à payer cet appareil dont le besoin est directement lié à un cancer et dont la valeur dépasse largement le millier d’euros.
Je suis donc une privilégiée. Mais une privilégiée insatisfaite : personne ne m’avait prévenue pour les crochets ! Ces trois trucs qui griment mon sourire !
“On ne voit que ça !”
“Mais non madame, c’est parce que vous souriez trop fort. Il suffit d’apprendre à sourire autrement. “
Sourire autrement ? Il est conscient de ce qu’il dit monsieur le prothésiste ??? Comme si mon identité n’était pas déjà assez entamée !? Il faudrait encore en ajouter une couche ! Et puis en plus ça bouge et ça fait mal! La colère gagne. Il fallait bien qu’elle se manifeste à un moment donné.
Heureusement le Dr Stanislas De Montalier trouvera les bons mots et les bons conseils pour m’aider à apprivoiser ce bidule de métal et de céramique.
J’ai bien essayé de le convaincre de me poser des implants dentaires pour me libérer de ces vilains crochets mais malgré mes supplications, il n’a pas cédé. C’est pourtant un monsieur adorable. Tellement adorable qu’il a tout mis en œuvre pour me dissuader. Des implants sur des tissus irradiés c’est bien trop dangereux… Risquer de perdre ma mâchoire ou garder les crochets, ma raison ne m’a pas laissé trop le choix. Mais je n’ai pas changé de sourire pour autant ! Non mais !
Un des nombreux points négatifs de la radiothérapie, c’est qu’elle induit des effets secondaires immédiats et d’autres bien plus tardifs… Prenons l’exemple des lambeaux greffés pour la reconstruction. Ils sont taillés très gros, tellement qu’au début ils sont encombrants. Une fois les œdèmes postradiques résorbés, ils diminuent, comme prévu. Tout est bien en place, presque symétrique.
Et puis, d’un coup, après un an, boum. Les lambeaux rétrécissent plus que prévu. L’œil gauche dégringole. Ça ne va pas être possible ! Je ne vais pas pouvoir rester comme ça ! Il y a presque 1 cm d’écart entre mes deux pupilles.
“Non ! On ne peut rien faire ! “
Comment ça on ne peut rien faire ? Depuis quand le Dr Kolb n’a pas de solution ?
Il me faudra près de deux ans pour le convaincre de me reprendre au bloc ! Deux ans de négociation pour lui faire entendre ma détermination ! Je vois double même après une rééducation orthoptique, même avec des prismes. C’est un problème fonctionnel, l’argument fait mouche.
Depuis, je ne compte plus les chirurgies reconstructrices. Parce que forcément, avec une patiente comme moi, ça n’a pas marché du premier coup.
On a commencé par des petites plaques de PDS. C’est un matériau résorbable qui permet de reconstituer de la matière au contact du cartilage. Exactement ce qu’il me faut pour retrouver cette symétrie tant espérée ! Il suffit de caler les plaques entre le globe oculaire et le cartilage costal qui a servi à reconstruire le plancher de l’orbite. Rien de plus simple ! N’est-ce pas ?
Emplie d’espoir, je rayonne à la vue du résultat.
Ce sera de courte durée.
Quelques jours plus tard, un dimanche, mon nez se met à saigner. Il est complètement obstrué.
Allo les urgences…
En plein week-end, c’est le Dr Kolb que je retrouve. Il constate avec désolation que les plaques ont pris la fuite et pour cela, elles n’ont rien trouvé de mieux que d’éclater ma cloison nasale. S’en suivra une douloureuse extraction des vilaines.
Retour à la case départ. Pour autant je ne suis pas prête à abandonner. On était si près du but !
Alors on recommence en incurvant les plaques.
Elles restent un peu plus longtemps puis rebelote.
Retour à la case départ. Pour autant je ne suis pas prête à abandonner. On était si près du but !
Alors on recommence et cette fois on suture les plaques.
Elles restent beaucoup plus longtemps puis rerebelote.
Le sort s’acharne ! Mon corps refuse ces maudites plaques malgré toute l’ingéniosité du Dr Kolb. Qu’à cela ne tienne !
On essaiera à nouveau avec du cartilage costal, puis avec une prothèse en titane. On en profite pour peaufiner, un canal lacrymal par ci, une reprise de cicatrice par là…
On complétera avec des lipofeeling (des injections de graisse au niveau palpébral pour les expert.e.s).
Une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept… Je ne compte plus les interventions. C’est devenu un rituel. Je n’appréhende même plus.
Petit à petit, l’écart entre mes deux pupilles diminue mais il faut se rendre à l’évidence, je ne serai jamais celle d’avant. Mon corps a changé, mon esprit aussi.
Cela s’en ressent dans mon couple. La relation avec le père de ma fille s’étiole progressivement. Il est resté malgré l’annonce de la maladie et m’a soutenue tant qu’il a pu. Je lui en suis reconnaissante et j’ai tout tenté pour nous reconstruire.
Rien n’y a fait. Le cancer a accéléré la prise de conscience : nous étions faits pour partager un beau bout de chemin ensemble, mais pas tout le chemin. Il reste de notre histoire ce que nous avons de plus précieux.
La séparation est imminente. Une nouvelle épreuve s’annonce. Paradoxalement, elle va me pousser à assumer ma nouvelle image. Je suis une maman épanouie. Ma famille et mes amis me chouchoutent. J’ai changé d’orientation professionnelle pour revenir à ma vocation première. Je suis bénévole pour une cause qui me tient à cœur. Il ne me reste plus qu’à redevenir femme.
Quatre ans après les traitements, une méningite m’a privé de mon oreille gauche. Cophose totale, acouphène, perte d’équilibre… Il n’en faut pas moins pour me motiver à relever un nouveau défi. Ne serait-ce pas le moment d’apprendre à danser ?
Je choisis la salsa. Kite à me lancer, autant y aller franchement ! Mais je ne suis pas si téméraire que ça… c’est avec mon amie Cécile que je fais mes premiers pas. 1 2,3 ; 5,6,7 ; Ariba !
La danse comme une rééducation. Les pas s’enchaînent. Je dois garder le rythme. Les tours s’enchaînent. Je dois garder l’équilibre. Heureusement, Tonton Thierry me prend sous son aile. Malgré mes difficultés, il ne me lâche pas. Un maître de pédagogie et d’empathie. Doucement, mais sûrement, je progresse.
La danse comme une thérapie. La salsa se danse à deux. Un homme et une femme. Une femme et un homme. Dans une même soirée, je me trouve face à une vingtaine de danseurs. Je n’ai plus le choix, je dois assumer ma gueule cassée, les yeux dans les yeux. Doucement mais sûrement, je reprends confiance.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, je découvre que je peux encore plaire.
Jusqu’à là, j’étais pourtant persuadée que l’on ne voyait que mes cicatrices et mon asymétrie. Mais certains regards sont suivis de sourires appuyés… tout n’est peut-être pas si noir ou si blanc. J’avais peut-être oublié quelques nuances de gris.
Gagner en assurance, c’est gagner en charisme. Pourquoi vouloir à tout prix revenir à la normalité ? Pourquoi ne pas faire de ma différence une force ?
Et puis le charme est bien plus efficace que la symétrie. Je vais vite m’en rendre compte. Plus vite que prévu.
Après quelques rencontres décevantes, je suis lassée des coureurs de jupons. Mon physique attire encore des hommes certes, mais pas celui qu’il me faut. Le prochain prétendant va donc devoir faire ses preuves avant que je lui accorde ma confiance. Surtout que je me sens de plus en plus à l’aise dans ma nouvelle vie de maman célibataire, j’ai même un peu de temps pour m’occuper de moi. Rien ne presse. Ce sera mon idéal ou ce ne sera pas ! Et puis c’est tout !
Et puis c’est Bertrand. Un soir de juin en bord de Seine. C’est Bertrand qui voit au-delà des mes stigmates, au-delà de la maladie. C’est Bertrand qui prononce ces mots débordants d’amour : je veux être le port d’attache vers lequel te reviens lorsque tu as besoin de reprendre des forces.La suite, c’est notre histoire. Notre belle histoire. Notre merveilleuse histoire.
8 ans après la fin des traitements, je ne suis plus dans le combat mais encore dans la reconstruction. La surveillance régulière reste nécessaire. J’ai appris à vivre avec, à vivre pleinement. Je suis heureuse, amoureuse et épanouie.
Comme dirait mon cher Dr Temam “A quoi bon vous soigner si ce n’est pour vivre la vie que vous avez à vivre ?”
Sinon, pour le défi résumer, je me suis peut-être un peu emballée… j’aurais dû lancer un défi pavé.
Sabrina
Ma gueule ? Et alors ?
Ma gueule ? Et alors ?
C’est ma gueule !
Quoi, ma gueule ?
Quelle question aimerais-tu qu’on te pose ?
M’accorderiez-vous cette danse ?
Donc j’ai choisi cette question parce que la danse, pour moi, m’a beaucoup aidée dans… ma reconstruction après les traitements. C’est une activité que j’ai choisi de pratiquer avec une amie qui m’est très chère et qui m’a encouragée à… à passer le pas, parce que ce n’était pas facile… de commencer à apprendre des danses latines, en l’occurrence la salsa, puisqu’on est face à face avec un partenaire et que… il faut oser se… se montrer… avec toute la gêne que ça peut… représenter pour soi mais aussi pour l’autre, qui est confronté à notre visage… abîmé.
C’était aussi un challenge parce que… parce qu’ayant perdu l’audition, j’ai perdu l’équilibre avec. Donc…, suivre un rythme avec des difficultés d’audition et… et avec une perte d’équilibre…, ça m’amène à faire… des petites cascades des fois avec… (rires) avec les danseurs au milieu de la rueda.
Je suis tombée dans une super école, avec un prof très… très bienveillant, qui m’a pris sous son aile, qui m’a redonné confiance et qui, au travers de… de ses cours… m’a aidée à révéler… la féminité qui s’était un petit peu… étiolée au fur et à mesure des traitements parce qu’on devient plus une malade par la force des choses qu’une… qu’une femme. Et donc… ce côté féminin, il était temps que je le retrouve, parce que je voulais… aussi… aussi retrouver… retrouver l’amour ! Et… et le fait de… de me sentir à nouveau plus femme, ça m’a redonné plus confiance en moi, ça m’a… donné l’envie d’oser… d’oser rencontrer un homme, avec lequel je suis maintenant et… et qui… renforce encore plus cette confiance, par des mots tout simples… des mots… tels que… tels que : “J’aimerais être le port d’attache vers lequel tu reviens quand tu as besoin de reprendre des forces.” Parce que… parce qu’il me soutient dans… dans mes démarches pour l’association et… et je trouve ça très beau… et parce que surtout, il voit… il voit la femme et pas la malade. Son regard va… va au travers de… de mes cicatrices, au travers… de mon visage abîmé et… et je l’en remercie.
Making off
Quoi ? Ma gueule ?
Ah oui ! C’est là !