Proche, infirmière, assistante administrative, confidente, sentinelle, personne de confiance… Anna, qui accompagne Paul pour la seconde fois, est bien plus que cela : c’est son « ange-gardien ». Confidences…
“Paul et moi, c’est une histoire qui dure depuis 30 ans. Je n’imagine pas la vie sans lui. Nous étions naturellement proches, très proches, mais lorsqu’il a eu un premier cancer rare (Esthésioneuroblastome — ENB)1 il y a 20 ans, ce mot a pris une nouvelle signification. — Je préfère ce terme, proche, à celui d’aidante, qui me renvoie à l’aide aux personnes âgées -.
La tumeur de Paul n’étant pas opérable au départ, il a d’abord subi une chimiothérapie extrêmement agressive. A l’époque, mon employeur, compréhensif et conciliant, m’a permis de prendre le temps qu’il fallait pour être avec Paul. Mon travail était très prenant, je voyageais beaucoup mais je réussissais à tout concilier. Au début, j’ai pensé que mon rôle consisterait à lui tenir la main. Mais j’ai vite compris que ce ne serait pas « que » cela ! Comme il avait souvent des hémorragies nasales, l’ORL m’a montré comment poser une mèche chirurgicale pour éviter d’appeler SOS médecins. Je me suis donc transformée en infirmière ! Et puis, il y avait le quotidien : le linge, les papiers à remplir, le travail … Cela a été une période intense ! Au bout de cinq ans, quand l’oncologue nous a annoncé qu’il était guéri, quel soulagement pour nous !
Nous en avons profité pour nous pacser et déménager. Paul avait besoin d’un nouveau souffle. Il ne voulait pas rester à Paris. Cette ville lui rappelait trop de mauvais souvenirs. Il avait envie de retourner dans le Sud, où il avait vécu plus jeune. Je me suis organisée et j’ai trouvé un poste là-bas. Un soir, je suis revenue à la maison en lançant : « Nous partons mon chéri ! ». Et nous avons mis le cap sur le Sud. Nouvelle vie, nouvelles marques… et nouveau travail ! Car l’après-cancer, ce n’est pas une période facile. On n’en parle pas suffisamment. Paul, longtemps en arrêt-maladie, avait été licencié par son entreprise. Après avoir suivi une formation, il a fini par trouver un poste il y a six ans dans une société qui emploie des personnes ayant un handicap. Ce mot, « handicap », c’est un peu la « double peine ». Et un moyen détourné de rémunérer à moindre coût. Car Paul est ingénieur. Je suis tellement fière de lui.
Si seulement la vie avait pu continuer ainsi mais non, coup de tonnerre mi-septembre. Alors que l’on pensait en avoir fini avec le cancer, nous avons été rattrapés. Cette fois, il s’agit d’un carcinome épidermoïde de la langue. Il a fallu beaucoup de temps pour le diagnostiquer. Paul avait « juste » un aphte au départ… Le généraliste lui a prescrit des bains de bouche. C’est tout. Mais six mois plus tard, comme c’était toujours là, Paul a repris rendez-vous. Heureusement, c’est une remplaçante qui l’a examiné. Sa « bonne étoile » ! Elle a tout de suite pris les choses en main et nous a bien orienté. Tout est allé très vite : scanner, biopsie… L’ORL qui suivait Paul n’était pas serein après les premières images. Il a demandé une IRM et le diagnostic est tombé, brutal. « La faute à pas de chance ! », nous a‑t-il dit plus tard. Car ce second cancer n’a aucun lien avec le premier. Je l’accompagnais ce jour-là. En entrant dans la pièce, quand j’ai vu trois personnes dans le bureau, dont une infirmière d’annonce, j’ai vite compris qu’il allait se passer quelque chose de grave. En 20 ans, les choses ont changé. Maintenant, quand les médecins annoncent une mauvaise nouvelle, ils s’adressent au proche. Ils s’appuient de plus en plus sur lui.
La question d’être là pour Paul ne se pose pas. Quand on est un patient, certaines choses peuvent vous échapper. C’est la raison pour laquelle, quand on voit un médecin, je prends des notes. Ça le rassure. Cela fait aussi partie du rôle de la « personne de confiance » que l’on peut désigner. Pour nous assurer que le protocole proposé était le bon, nous avons demandé un second avis, un service proposé par ma mutuelle. Après avoir examiné le dossier, le spécialiste de l’hôpital consulté à Paris nous a dit que Paul était « en de très bonnes mains » dans son centre d’excellence. Nous étions rassurés, l’opération pouvait donc avoir lieu en novembre. Il fallait qu’il se prépare psychologiquement à cette glossectomie2 car il n’allait plus pouvoir parler ensuite, ni se nourrir pendant un moment.
Pour autant, est-ce une raison pour l’infantiliser ? Cette façon qu’ont certains soignants de s’adresser à lui sans le nommer ou en disant « il faut qu’il prenne ses petites pilules », ça a le don de m’agacer ! Si au niveau chirurgical il n’y a rien à dire, il n’en va pas de même au niveau des soins. Manque de personnel, manque de formation…, il y a quand même des choses que l’on ne peut pas laisser passer. Après l’intervention, Paul a passé trois jours aux soins intensifs. On n’avait pas transmis mes coordonnées à l’équipe. La trachéo était mal placée, les ballons dégonflés faute de surveillance… On ne lui a pas donné le traitement qu’il suivait à la maison. Ni ses lunettes… Il faut vraiment être vigilant. Je vais le voir tous les jours. J’arrive en début d’après-midi et je ne repars que vers 21h. Je lui apporte du linge propre, un livre… On arrive à discuter sans que Paul ait besoin de parler ou d’utiliser en permanence son ardoise parce qu’on se connaît bien. On joue aux dés, je le stimule…
“Nous avons une guerre à mener”
Récemment, il m’a avoué : « Si tu ne venais pas, je pense que je comaterai dans mon lit toute la journée ». Cela me conforte dans l’idée que ma présence l’aide vraiment. Et que s’il y a un problème, je peux rectifier le tir.
Quand je circule dans les couloirs de l’hôpital et que j’aperçois des patients seuls dans leur chambre, cela m’arrache le cœur. Certains ne reçoivent pas de visites. Comment font-ils ? Qui leur caresse la main ? Dans son épreuve, Paul a de la chance, il m’a, moi… Et je l’ai, lui… Ainsi que nos proches. Et ma coach-psy, qui me soutient beaucoup.
Nous avons une guerre à mener ensemble et rien ne m’empêchera d’être à ses côtés. Même si ma « carrière » devait en pâtir, je ne me pose pas de questions. C’est une question de vie ou de mort. C’est mon choix de vie. Je suis là pour lui. Je l’aime.
Propos recueillis par Céline Dufranc
1 L’esthésioneuroblastome (ENB) est une tumeur maligne rare représentant 3% des cancers des cavités naso-sinusiennes; son origine se situe au niveau de l’épithélium olfactif
2 Une glossectomie est l’ablation chirurgicale de tout ou partie de la langue.
DES RESSOURCES POUR VOUS AIDER
- Les Cafés des aidants, proposés par l’Association française des aidants : aidants.fr
- L’association JADE pour les jeunes aidants : jeunes-aidants.com
- Des séjours de répit pour prévenir l’épuisement chez les aidants, avec la Fondation France Répit france-repit.fr
- Des séjours adaptés pour les patients avec SIEL BLEU
- L’appli Petit Bambou propose un programme « Aidants et soignants » composé de 13 méditations pour vous soutenir
- La Ligue contre le Cancer :
Parlons du soutien psychologique
http://www.ligue-cancer.net/shared/brochures/soutien-psychologique.pdf
Comment accompagner un proche atteint de cancer
https://www.ligue-cancer.net/sites/default/files/brochures/accompagnement-proche-cancer-2016–12-.pdf
INCa : Vivre auprès d’une personne atteinte d’un cancer
https://www.e‑cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Vivre-aupres-d-une-personne-atteinte-d-un-cancer
Cancer Info : 0 805 123 124
http://www.e‑cancer.fr/cancerinfo
A LIRE : https://corasso.org/information-patient/mieux-vivre-au-quotidien/les-aidants/