Il n’est jamais trop tard pour s’arrêter de fumer : quel que soit son âge, les bénéfices sont nombreux pour la santé. À l’occasion de la Journée mondiale sans tabac qui se déroule chaque année le 31 mai, le Dr Khalida Berkane, addictologue à Gustave Roussy, nous explique comment et pourquoi « désapprendre à fumer », c’est vraiment tout bénéf !
Comment les patients sont-ils adressés ?
À Gustave Roussy, un repérage systématique du tabagisme est réalisé lors de la première consultation d’accueil, avec un process d’adressage simple, via un formulaire interne, afin que l’aide au sevrage tabagique se mette en place le plutôt possible dans le parcours de soins. Idéalement avant de débuter les traitements.
Dr Khalida Berkane, addictologue à Gustave Roussy
Que leur dites-vous pour les encourager/convaincre de la nécessité d’arrêter de fumer après leur diagnostic de cancer ?
Le plus important, c’est de ne pas culpabiliser les patients ! Il faut plutôt leur dire que l’éviction du tabac fait partie intégrante du traitement du cancer, et ce, quel que soit sa localisation et son stade mais encore plus lorsque le cancer dont ils souffrent est secondaire au tabagisme. De plus, fumer va interagir avec certaines chimiothérapies, entraînant une moindre efficacité et une moindre tolérance, va réduire l’efficacité de la radiothérapie, en augmentant certaines complications (dégradation de la qualité vocale, gravité et persistance de la radiomucite, parfois responsable de dénutrition et d’arrêt du traitement) et augmenter le risque de complications post-opératoires. La consommation de tabac est également associée à un moins bon fonctionnement physique, social, intellectuel, à une moins bonne vitalité, à davantage de nausées, de dyspnée, de perte d’appétit et de plus fortes douleurs ressenties. Pour finir, le risque de mortalité globale est plus élevé pour les fumeurs par rapport aux anciens fumeurs, que l’on soit en stade précoce ou avancé. Après les traitements, il est très important de maintenir cet arrêt au long cours. Car continuer à fumer est associé à un risque de rechute et de second cancer plus élevé pour les fumeurs, comparé à ceux qui ont arrêté.
À l’inverse, quels bienfaits peuvent-ils espérer s’ils arrêtent de fumer ?
Globalement, l’arrêt du tabac va augmenter les chances de succès du traitement et aider les patients à traverser la période des traitements en meilleure santé. Pour la chirurgie par exemple, on constate une diminution du risque de complications liées à la cicatrisation du site opéré (dans le cas des cancers tête et cou souvent 2 à 3 sites), la survenue d’infection et la prolongation du séjour hospitalier, si l’on arrête de fumer au moins huit semaines avant l’intervention.
Pourquoi dit-on que le tabagisme est une « drogue », une addiction ?
Le tabac est une plante qui contient de la nicotine, une substance psycho-active capable d’activer le système de récompense impliqué dans la motivation à enregistrer et à reproduire des comportements nécessaires à la survie. Fumer, un comportement souvent débuté jeune, va se poursuivre souvent très longtemps et sera associé aux comportements et émotions de l’individu. Cela explique la complexité de la dépendance au tabac ; d’une part la dépendance physique à la nicotine, responsable des phénomènes de manque ressentis à l’arrêt, d’autre part la dépendance psychologique et comportementale (gestes, habitudes, gestion des émotions…). C’est une drogue dure, rendant le sevrage difficile pour la plupart des fumeurs. Ils peuvent se sentir particulièrement démunis dans les situations de stress, de tristesse, de colère… car fumer était pour eux un moyen de réguler leurs émotions. Leur expliquer ces mécanismes participe à les déculpabiliser et leur donner les clés pour débuter la séparation avec ce comportement
Comment se déroule l’accompagnement à l’arrêt du tabac à Gustave Roussy ?
Il y a deux étapes : le sevrage et la prévention de rechute, tout aussi importante. Concernant le sevrage : après évaluation de la dépendance tabagique du patient à l’aide de questionnaires validés scientifiquement, on pourra déterminer si sa dépendance physique est faible, moyenne ou forte et quel est le niveau de sa dépendance psychologique et comportementale. On évaluera également sa motivation à l’arrêt du tabac et on repèrera les obstacles à cet arrêt, comme l’anxiété, la dépression, l’isolement social, la précarité…
À l’aide de cette évaluation, un traitement de sevrage et un suivi personnalisé pourront être débutés. Au début, le suivi sera rapproché (une fois par semaine le premier mois), afin d’adapter le traitement si nécessaire. De son côté, la prévention de la rechute fera appel aux TCC (thérapie cognitive et comportementale) mais également au traitement pharmacologique au long cours, nécessaire pour les plus gros fumeurs. La rechute étant fréquente, il ne faut pas la considérer comme un échec mais la voir comme une expérience intéressante : cela permet de repérer quelles situations nous ont fait rechuter. C’est un processus d’apprentissage. Le suivi couvrira toute la période des traitements oncologiques et jusqu’au premier contrôle confirmant la rémission de la maladie cancéreuse. Ensuite, les patients sont adressés à leur médecin traitant pour le suivi ultérieur ou vers une consultation de tabacologie près de chez eux.
Quelles sont les méthodes validées ?
Les méthodes qui ont fait la preuve de leur efficacité sont la substitution nicotinique (patchs et pastilles)*, associée à une thérapie cognitive et comportementale pour aider les patients à ne pas rechuter. L’objectif est d’analyser les situations qui conduisent à la rechute et les solutionner en amont. La varenicline (Champix®) est également un traitement très efficace pour les patients chez lesquels le remplacement nicotinique n’a pas fonctionné — malheureusement, il est actuellement en rupture en France — toujours associé aux TCC pour la prévention de rechute. Également recommandé, le Zyban®, bien que moins utilisé en raison de ses effets secondaires et des nombreuses contre-indications.
Il a été démontré que la combinaison patch + substituts oraux était plus efficace ?
En effet, elle répond bien aux besoins physiques et psycho-comportementaux du fumeur mais dans les cancers des VADS, la prise orale est difficile en raison de la dysphagie et des ulcérations tumorales.
Quid de la vapoteuse quand on a un cancer de la tête ou du cou ? La recommandez-vous à vos patients ?
Le risque de cancer associé à l’utilisation à long terme des vapoteuses, semble bien moindre, que celui des cigarettes de tabac combustibles mais non nul par rapport à ne pas utiliser de vapoteuses. La présence de formaldéhydes (classé cancérogène par le CIRC), de constituants potentiellement mutagènes (humectant et aromatisants) et toxiques pour les cellules pourrait influer sur le risque de cancer notamment en cas d’utilisation prolongée des vapoteuses. Il s’agirait en particulier des cancers naso-pharyngés, des sinus et des voies respiratoires hautes, sites où la concentration de formaldéhydes est la plus importante **,***,****
Concernant les autres cancers, il n’existe pas de données évaluant le risque. Il reste à déterminer si les niveaux d’exposition sont suffisamment élevés pour contribuer à cette cancérogenèse. C’est pour ces raisons que je ne la recommande pas en première intention chez les patients avec un cancer ORL.
Que pensez-vous de l’acupuncture, l’hypnose ou l’auriculothérapie ?
Ces méthodes ne sont pas recommandées pour le sevrage tabagique, ni en France, ni ailleurs dans le monde. Mais elles peuvent contribuer au maintien de l’abstinence pour la gestion du stress par exemple. Si elles sont pratiquées par des personnels formés, elles ne sont pas dangereuses et peuvent conduire à l’arrêt tabagique chez certains fumeurs. Il faut savoir que beaucoup de fumeurs arrêtent seuls sans aucune aide malgré un tabagisme massif, ancien. Il ne faut donc pas décourager ceux qui souhaitent le tenter.
Avoir un cancer de la tête ou du cou est souvent assimilé à une consommation de tabac et/ou d’alcool. Comment déculpabiliser ceux qui fument, et qui peuvent se croire responsables de leur maladie ?
L’alcool et le tabac sont des facteurs de risques majeurs pour 2/3 des cancers ORL. Il est important d’en informer les patients afin qu’ils prennent conscience que l’arrêt de ces deux produits est important pour le succès du traitement. Dans la majorité des cas, ils le comprennent très vite et collaborent très bien. Il est important également d’en informer le grand public pour prévenir ces cancers évitables si l’on ne fume pas et que l’on boit très modérément, c’est-à-dire moins de 2 verres par jour et pas tous les jours.
Si l’on n’est pas suivi dans un centre de lutte contre le cancer ou un hôpital doté d’un service addictologie, vers qui, ou vers quel genre de structure, les patients peuvent-ils se tourner ?
Il existe des consultations de tabacologie dans toute la France. Il est possible de trouver un centre près de chez soi en allant sur le site de Tabac info service (voir en bas de page) et en tapant son adresse. Beaucoup de médecins généralistes sont formés à la tabacologie et accompagnent leurs patients vers le sevrage. Il existe également des applications gratuites de qualité comme Tabac info service ou Stop tabac (stop-tabac.ch) réalisés par des professionnels de la tabacologie qui offrent des coachings efficaces. On peut aussi profiter du mois sans tabac en novembre : mois-sans-tabac.tabac-info-service.fr/. ll s’agit d’un défi collectif : 1 mois sans tabac, c’est 5 fois plus de chance d’arrêter. Vous pouvez en profiter pour vous lancer dans cette démarche.
Propos recueillis par Céline Dufranc
*la substitution nicotinique vise à diminuer l’envie de fumer et à réduire les symptômes de manque dus au sevrage tabagique. Elle remplace la nicotine contenue dans les cigarettes par de la nicotine médicale. Cette nicotine, présente sous diverses formes (timbres, gommes…), arrive au cerveau sans passer par les poumons et soulage la sensation de manque. Les études scientifiques ont montré que ces substituts augmentent les chances de réussir de 50 % à 70 %.
**Franco, T., S. Trapasso, L. Puzzo, and E. Allegra. 2016. Electronic cigarette: Role in the primary prevention of oral cavity cancer. Clinical Medicine Insights: Ear, Nose and Throat 9:7–12.
***Welz C, Canis M, Schwenk-Zieger S, Becker S, Stucke V, Ihler F, Baumeister P. Cytotoxic and genotoxic effects of electronic cigarette liquids on human mucosal tissue cultures of the oropharynx. Journal of Environmental Pathology, Toxicology and Oncology. 2016;35(4):343–354.
****Yu V, Rahimy M, Korrapati A, Xuan Y, Zou AE, Krishnan AR, Tsui T, Aguilera JA, Advani S, Crotty Alexander LE, Brumund KT, Wang-Rodriguez J, Ongkeko WM. Electronic cigarettes induce DNA strand breaks and cell death independently of nicotine in cell lines. Oral Oncology. 2016;52:58–6
Tabac info service : faites-vous aider !
Sur le site tabac-info-service.fr, vous pouvez bénéficier d’un accompagnement téléphonique gratuit en composant le 39 89. Le site internet permet d’accéder à un suivi personnalisé, via la messagerie du site Tabac info service. Vous pouvez également bénéficier d’un coaching 100 % personnalisé en téléchargeant gratuitement la nouvelle application Tabac info service sur le site tabac-info-service.fr.
Ses « + » :
- Préparez-vous au jour J pour mettre toutes les chances de votre côté (choix de la méthode d’arrêt, stratégies pour résister…)
- Vous personnalisez votre coaching selon votre motivation, vos inquiétudes et habitudes de vie.
- Vous pouvez réduire progressivement votre consommation de tabac jusqu’à un arrêt total.
- Vous pouvez contacter un tabacologue en cas de besoin par téléphone (ou par messagerie).
- Vous gérez votre poids et votre stress avec des conseils, des exercices et des vidéos de relaxation et de visualisation positive.
- Vous faites le plein d’astuces et de mini-jeux pour ne pas craquer dans les moments difficiles.
- Vous avez des supporters ! Vos proches peuvent envoyer des vidéos de soutien.
- Vous partagez vos progrès sur Facebook.
« Les fumeurs ne sont pas coupables d’un manque de volonté mais VICTIMES d’une dépendance ».
« Dans l’arrêt du tabac, il n’y a pas d’échec… mais des succès différés ».
Pr Gilbert Lagrue (tabacologue)