Ils se prénomment Caroline, Clarisse, Nicolas, Stéphanie. Tous se sont vu diagnostiquer un cancer des voies aéro-digestives supérieures. Tous ont connu ce rendez-vous spécial qui a bouleversé leur vie, durant lequel ils ont appris les détails de leur maladie et de leurs futurs traitements. Pour Corasso, ils se confient.
« Colère », « incompréhension », « tristesse », « panique »… Pour les patients qui l’entendent, le mot « cancer » est synonyme de cataclysme. L’annonce d’un tel diagnostic et de ses modalités d’accompagnement fait l’objet d’une consultation dédiée. Une manière de mieux encadrer ce temps d’échange nécessaire entre le patient et son/ses médecins.
« Le 4 janvier 2016, je suis avec mon mari dans le bureau de la chirurgienne ORL. Je me suis trompée dans l’heure du rendez-vous tellement, inconsciemment, je repousse l’annonce. Elle me reçoit quand même, accompagnée de la cheffe de service », raconte Caroline, 46 ans. « Le rendez-vous a duré plus d’une heure. Pourtant, je ne me rappelle que de quelques bribes : “cancer de la langue”, “chirurgie programmée”, “ganglions atteints”, “radiothérapie”… » Pour Caroline comme pour nos autres témoins, certains fragments de la consultation s’impriment de manière indélébile, quand d’autres restent très flous.
« Je me suis trompée dans l’heure du rendez-vous tellement, inconsciemment, je repousse l’annonce »
« Plusieurs médecins étaient présents, dont le chirurgien », se remémore Nicolas, 53 ans, diagnostiqué d’un cancer de l’oropharynx en mars 2023. « Le rendez-vous a été assez long. Ils m’ont surtout parlé de la chirurgie, m’ont dit qu’elle durerait 12 heures, qu’ils se relaieraient… Ils ont évoqué la greffe, la sonde de gastrostomie pour m’alimenter… Moi qui n’avais jamais été opéré de toute ma vie, cela faisait tellement d’informations à retenir ! J’ai été sonné ! » L’annonce des traitements, de leur lourdeur, de leur durée, de leurs effets secondaires, a été plus traumatisante encore que celle du diagnostic. « C’est là que je me suis rendu compte que c’était très grave. J’étais préparé à l’annonce du cancer, mais pas à ça. »
Clarisse, 50 ans, confirme ce ressenti. « On m’a diagnostiqué un cancer de la base de la langue HPV induit en janvier 2023. Je n’ai pas vraiment eu de réaction quand l’ORL de ville me l’a annoncé, je m’attendais à entendre ce mot. Le rendez-vous avec l’oncologue, quelques jours plus tard, a été bien plus violent. » Son mari, présent avec elle, ne retient qu’une phrase : « La bonne nouvelle, c’est que ça se guérit et que le traitement est court ». Clarisse est davantage frappée par la suite : « La mauvaise nouvelle, c’est que le traitement sera très lourd, de la chimiothérapie et de la radiothérapie. Il ne faudra pas que je maigrisse, mais en même temps je ne pourrai plus manger et les médicaments me feront énormément vomir. Je vais avoir mal, je serai mise sous morphine. Je suis sortie en me disant que je n’arriverais jamais à surmonter tout ça. »
« Moi qui n’avais jamais été opéré de toute ma vie, cela faisait tellement d’informations à retenir ! »
Certes, le temps d’échange avec les professionnels de santé instauré pendant cette consultation d’annonce aide — un peu — à assimiler le flot d’informations. Il n’évite pas pour autant un sentiment qui semble universel : celui d’en ressortir totalement démuni. Stéphanie, 39 ans aujourd’hui, en avait 10 de moins quand l’infirmière d’annonce lui explique qu’elle souffre d’un carcinome épidermoïde de la langue : « Elle m’a détaillé la prise en charge et m’a même fait visiter l’unité de soins intensifs pour me rassurer avant mon opération. Je m’attendais un peu au diagnostic, puisqu’on m’avait orientée vers le Centre Antoine Lacassagne, qui soigne des cancers. Mais je suis quand même passée par toutes les émotions : de la colère, de la tristesse, de l’incompréhension… »
« Je suis passée par toutes les émotions : de la colère, de la tristesse, de l’incompréhension… »
Une onde de choc tout aussi inévitable que légitime. « L’angoisse m’a submergée. Je me suis sentie incapable de gérer les traitements annoncés, au point de faire des crises de panique qui m’ont conduite aux urgences psychiatriques », confesse Clarisse. « Les larmes ont coulé, mon cerveau a fait un black-out pendant ma première consultation d’annonce », reconnaît Caroline. Malheureusement, deux autres ont suivi : un diagnostic de récidive, un an plus tard, puis de métastases pulmonaires. « Le monde s’est effondré quand on m’a expliqué qu’il fallait cette fois passer par une chirurgie lourde. Il s’est effondré de nouveau quand on m’a parlé de métastases, car, dans ma tête, c’est synonyme de fin. Mon réflexe a été de tout refuser en bloc. Heureusement, deux entretiens ont tout changé. D’abord avec un chirurgien qui a su écouter mes peurs pendant plus d’une heure, a répondu à toutes mes questions, tout en étant très franc sur les difficultés que j’allais devoir affronter. Il a réussi à me persuader de continuer à me battre et d’accepter l’opération. » Le second ? « Avec mon oncologue, qui avait saisi mon besoin de tout comprendre. Avec l’annonce du diagnostic de métastases, il a pris le temps de m’expliquer dans les moindres détails le plan d’attaque. Après ça, je m’en suis remise complètement à lui. »
« Mon premier réflexe a été de tout refuser en bloc. Heureusement, deux entretiens ont tout changé. »
Et les proches dans tout ça ? Comment leur partager ce qui déjà, pour soi, est si dur à entendre ? Chacun le gère à sa manière, comme il peut. Stéphanie a laissé sa maman, présente avec elle au rendez-vous avec l’infirmière d’annonce, se charger d’informer la famille. Clarisse a préféré compartimenter : « Mon petit dernier avait 11 ans. Je n’ai employé le mot cancer devant lui que quand j’ai su qu’une guérison était possible. Pour le reste de mes proches, j’ai créé deux groupes WhatsApp, un pour le noyau familial, un autre pour les amis. Je voulais y échanger uniquement les informations que j’avais choisi de diffuser. » À tous les membres invités, elle n’imposera qu’une seule règle : « Ne pas me partager des informations qu’ils auraient pu lire ou entendre ici ou là. Je voulais me fier uniquement à mon oncologue. Donc je leur ai assigné un rôle précis, celui de m’encourager, c’est tout. »
Propos recueillis par Violaine Badie