Octobre 2021, le couperet tombe : cancer du tiers supérieur de l’œsophage, diagnostiqué aux urgences et très tardivement, comme beaucoup d’entre nous. Le parcours vers la guérison commence avec de la chimiothérapie : j’ai la chance d’être prise en soin par un oncologue profondément humain et bienveillant, le Dr Recton, doublé d’une équipe d’hôpital de jour formidable, qui cultive le rire et la vie.
En concomitance de ce traitement en hôpital public, la radiothérapie se met en place au sein d’un centre de lutte contre le cancer (CLCC Henri Becquerel), de même qu’une surveillance de la langue et des cordes vocales. Là encore, la chirurgienne ORL, la Dr Roussel, est une véritable partenaire santé privilégiant le dialogue et la recherche de solutions. Un deuxième épisode vient animer ce parcours : une trachéotomie est effectuée en urgence en décembre 2021, et de provisoire, elle deviendra définitive. Après une surveillance étroite des cordes vocales et quelques exérèses au niveau de la langue, le dernier épisode de cette mini-série sort en avril 2023 : pour ce deuxième cancer, ce sera une pharyngo-laryngectomie totale circulaire avec lambeau jéjunal. En bref, une belle trachéostomie et un électro-larynx en cadeau !
En tant que patiente, je conçois le parcours de soin comme un travail d’équipe avec des partenaires de santé, ce qui me permet d’en être active et actrice. Avant la maladie, j’étais animatrice de groupes d’analyse des pratiques professionnelles et formée à l’éducation thérapeutique du patient (ETP) : échanger avec les professionnels est donc une évidence, et facile malgré mon handicap. Mais j’entendais une personne pleurer tous les jours pendant mon séjour en chirurgie ORL ; mon mari me racontait quant à lui avoir croisé une personne dans la vingtaine avec une trachéotomie et dans la détresse. A ce moment-là, je n’avais pas la force ni l’énergie d’aller vers eux, mais j’entendais et ressentais, y compris pour moi, la nécessité de l’accompagnement et du soutien, autre que médical.
Par ailleurs, les conséquences et les séquelles de nos cancers viennent bousculer le rapport à nous-mêmes, aux autres, et à nos groupes d’appartenance : si vous êtes adhérents à Corasso, probablement qu’à un moment, vous avez éprouvez la nécessité de trouver un groupe de pairs, un groupe d’appartenance qui permettent de se connaître et de se reconnaître (ce qui d’ailleurs effraie parfois, car cela implique une dose d’acceptation de nos difficultés et handicaps !).
Comme beaucoup, j’ai effectué quelques séjours en chirurgie et fréquenté régulièrement les soignants : j’ai donc eu le temps de dialoguer avec les équipes, orientées elles aussi autonomie et qualité de vie du patient, et plus particulièrement à propos de l’ETP pour les personnes trachéotomisées ou laryngectomisées.
Tous ces éléments convergeant, mes questions et propositions ont trouvé un écho à Becquerel, et parrainée par la Dr Roussel, j’ai été “recrutée” en octobre 2022 par Emmanuelle Hoche pour intégrer le Becquerel-LAB.
En tant que bénévole, je suis soumise à une charte qui définit mon champ d’exercice, et notamment la confidentialité de mes interventions : je ne rentrerai donc pas dans les détails.
Les missions d’un patient partenaire santé au Becquerel-LAB sont multiples, et s’exerce aussi bien en amont qu’en aval du parcours de soin :
- Je suis par exemple dans le projet de pair-aidance en ORL pour les futurs trachéotomisés, et disponible pour un prochain accompagnement en tant que pair-aidante,
- Je suis patiente partenaire ressource lorsque je partage mon vécu pour des projets comme un aménagement de service ou de nouveaux locaux. Ou encore en co-construisant avec les soignants des questionnaires pour améliorer la prise en soin des patients (soins de support, prise en compte du handicap…),
- Je suis patiente partenaire formatrice lorsque je participe à l’élaboration et/ou l’animation de la formation de professionnels de santé en formation initiale (préparateurs en pharmacie, futurs infirmiers), ou en continue,
- J’ai la double casquette Corasso et Becquerel-LAB lorsque je me rapproche de l’ERI pour développer la présence de notre association au sein du centre, ou pour contribuer à l’animation d’ateliers, de stands lors de la semaine de sensibilisation, et en dehors de cette période : ce versant est celui de patient partenaire acteur du système de santé.
Ces missions et projets nécessitent transversalité et partenariat avec différents services ou soignants et/ou d’autres patients partenaires santé du Centre de Lutte Contre le Cancer (CLCC) : l’expérience patient étant depuis quelques années semées et cultivées au sein de Becquerel, l’accueil des professionnels est toujours chaleureux, la considération de notre expérience bien présente pour un réel travail d’équipe et de co-construction. La complémentarité avec le bénévolat corassien (oui, j’ose !) est intéressante et bienvenue, car la synergie vient encore enrichir l’expérience et le champ des possibles.
Je ne peux vous décrire l’enthousiasme, le plaisir à être en lien avec les professionnels et les patients, de contribuer à mon échelle à l’évolution de la prise en charge, à plus de fluidité entre le patient et la personne (comme lorsque nous sortons de l’hôpital et que nous sommes de nouveau une personne avec toutes ses dimensions de vie, les problèmes causés par notre maladie et ses séquelles, auquel l’hôpital n’a pas forcément de réponse, mais le groupe Corassons échangeons, oui !), à l’amélioration de la qualité de vie, au dialogue fructueux avec les équipes.
Au-delà du partage, l’engagement en tant que bénévole est mon bâton de résilience : je me teste par rapport au handicap de communication pour trouver des adaptations, j’identifie et repousse mes limites (cognitives, de fatigue, de communication etc…) lorsque je le peux, je rythme et donne un sens à mon temps de convalescence. Sans cet appui, je me serai isolée, repliée sur moi-même : aujourd’hui, je reste ouverte sur le monde.
Si vous aspirez à devenir patient partenaire santé ou aidant partenaire, je vous invite à une réflexion en quatre temps :
1. Il est nécessaire de répondre à un seul pré-requis fondamental : suis-je au clair, ai-je une juste distance avec la maladie ? Il peut certes y avoir de la colère, des doutes, de la rancœur etc… mais il est nécessaire d’identifier ces nœuds. Car que se passe-t-il lorsque dans un accompagnement, nous nous trouvons en miroir, en écho avec un morceau de notre histoire ? Comme un boomerang, tout nous revient, avec le risque de nous abîmer et d’abîmer les personnes que nous accompagnons.
L’autre risque est la projection de notre histoire sur d’autres patients, les rendant objet de notre histoire et non sujet de la leur : nous risquons de les instrumentaliser, de les utiliser pour réparer une injustice, assouvir notre colère, leur prodiguant des conseils par rapport à nous et non en tenant compte de leurs besoins ou aspirations.
Personnellement, je pousse assez loin cette pratique de la juste distance car je suis par ailleurs toujours suivie activement en tant que patiente. Je veille donc à bien distinguer les deux dans mon esprit, et celui des soignants : ainsi, quand je viens pour moi, je me fais appeler par mon nom d’épouse, et lorsque je suis bénévole (Corasso ou patiente partenaire santé), par mon nom de jeune fille.
2. Quelles sont mes motivations ? Les comprendre, ainsi que les valeurs qui animent notre engagement, est indispensable pour être au bon endroit et mieux les mettre en œuvre. Le mythe autour du bénévolat, qui impliquerait un don de soi inconditionnel et sans contrepartie, court parfois dans le monde associatif : donner a autant de place et de légitimité que recevoir. Dès lors, le plaisir, la satisfaction, la reconnaissance ou d’autres retours ont parfaitement leur place. Le pouvoir, l’ascendance sur une personne ou un groupe, en revanche, beaucoup moins.
3. Suis-je prêt(e) à me former ? Être patient partenaire santé, même bénévole, mobilise des “soft skills” et des compétences techniques qui peuvent s’acquérir et se développer. En voici quelques exemples :
- La réalité de la pair-aidance est que, parfois, nous sommes confrontés à la colère, l’amertume, les idées suicidaires… La relation d’aide et d’accompagnement est une compétence à part entière : en se formant, on acquiert des outils, une juste distance dans la relation (empathique ne veut pas dire être une éponge !), garantissant ainsi un accompagnement respectueux de soi-même et des autres.
- Se former à l’ETP (Education Thérapeutique du Patient) permet d’animer des groupes ou des ateliers plus aisément.
- La connaissance du cadre dans lequel nous évoluons avec ses droits et ses devoirs nous permet d’identifier où se trouvent nos propres limites (humaines, et de notre rôle), de même que celles du système hospitalier et associatif dans lequel nous évoluons. Ainsi des complémentarités et des relais peuvent être identifiés, passés dans l’intérêt des personnes accompagnées.
- Enfin, être acteur de la démocratie en santé nécessite d’en comprendre les arcanes et la culture, afin d’identifier les réseaux et les leviers adéquats par rapport à nos objectifs, d’être pertinents dans nos actions.
4. Suis-je prêt(e) à travailler en équipe avec des bénévoles et des soignants, et à partager mon expérience ? Car cela permet d’analyser et de transmettre nos savoirs expérientiels, de trouver des solutions ensemble, de contribuer à nous faire grandir, à nous enrichir mutuellement. Ce qui bénéficie fortement aux personnes que nous accompagnons. Mais aussi, même dans des moments de relation en face à face, de ne pas se sentir seul(e), de savoir que le groupe et l’équipe sont en filet, toujours derrière et avec nous.
Comment devenir patient partenaire, un peu, beaucoup… ?
- Les visios “ambassadeurs/ambassadrices Corasso” permettent une première approche et des repères.
- Vous trouverez également une bonne entrée en matière avec un MOOC sur le site de l’association Francophone des Patients Experts.
- Les “Promotion Santé” de chaque région proposent des formations à l’ETP.
Enfin des formations certifiantes ou diplômantes sont proposées, comme par exemple :
- Certificat Universitaire “devenir acteur du système de santé”, à Caen,
- Diplôme Universitaire “mission partenaire et référent en rétablissement en cancérologie” à La Sorbonne (Paris)
- DU partenariat patients-professionnels en santé, à l’Université de Nantes
- Des certificats ETP ou patients-experts à l’Université Aix-Marseille
Cette liste n’est pas exhaustive, d’autres formations existent en région.
Pour conclure, qu’en est-il de la place des patients partenaires aujourd’hui ? Comme toute pratique émergente, elle est encore floue, et polymorphe selon les établissements. Même diplômés, peu de patients partenaires trouvent à être embauchés, ou rémunérés. Cependant, le secteur se réfléchit et le statut est régulièrement questionné.
En revanche, en tant que bénévole, le champ des possibles est large et les établissements s’ouvrent de plus en plus au partenariat patient, modifiant les pratiques de soin : une belle révolution est en marche !