INTERVIEW EXPERT
Le docteur Stéphane Temam, médecin ORL et chirurgien cervico-facial, chef du service de cancérologie cervico-faciale de Gustave Roussy répond à toutes vos questions sur la maxillectomie.
Qu’est-ce que la maxillectomie ?
La maxillectomie consiste à enlever l’os maxillaire, présent au niveau de la face, entre la bouche et l’œil, en forme de cube. Ce cube, sur lequel reposent le visage et l’œil, est rempli d’air.
Dans quel cas la maxillectomie est-elle indiquée ?
Cet acte chirurgical est rarement réalisé (quelques centaines d’opérations par an en France). Dans la très grande majorité des cas, il est pratiqué dans le cadre de pathologies tumorales cancéreuses au niveau du massif facial. Dans quelques cas, il est indiqué pour des tumeurs bénignes ou des pathologies vasculaires.
Quelles sont les modalités de cette intervention ?
Il s’agit des modalités de prise en charge du cancer : la chirurgie doit pouvoir enlever le cancer avec des marges de sécurité jugées adaptées à l’agressivité du cancer. Ce n’est pas simplement enlever la tumeur, mais également les structures autour pour qu’on ne laisse pas de cellules cancéreuses autour de la cavité opératoire.
Si l’on a l’impression, sur le bilan préopératoire, que la tumeur est trop avancée, l’intervention n’est pas utile. La chirurgie n’est nécessaire que si l’on pense que l’on va tout enlever.
À quel type de tumeurs êtes-vous confronté en tant que chirurgien ?
Au niveau du massif facial, ce sont des tumeurs qui se développent dans des cavités. Il s’agit souvent de tumeurs qui entraînent très peu de symptômes. Dans la majorité des cas, c’est lorsque la maladie a pris beaucoup d’ampleur (donc avec des tumeurs relativement volumineuses) que les patients consultent et que le diagnostic est réalisé. Il est posé sur une boule apparente dans la bouche, dans le nez ou sur le visage, ou sur des douleurs ou saignements, qui amènent à faire des examens d’imagerie médicale par lesquels la tumeur peut être visualisée.
Avant de pouvoir faire le geste chirurgical, le diagnostic doit reposer sur des biopsies, pour connaître la nature de la tumeur (bénigne ou maligne), le type de cancer, son agressivité, etc. C’est avec ces éléments et la réalisation d’un bilan de la globalité de l’état du corps du patient que l’on peut ensuite, lors d’une RCP, décider ou non d’une chirurgie. Il y a différentes variantes de maxillectomie.
Quels sont les risques de cette intervention pour le patient ?
Les risques de l’acte chirurgical dépendent de ce qu’il faut enlever et de comment nous allons pouvoir procéder. Tout cela est déterminé par le bilan préopératoire.
En fonction de l’emplacement exact de la tumeur (partie basse du maxillaire, partie haute, partie profonde en arrière du sinus), l’acte chirurgical est différent. Les risques et conséquences dépendent d’abord en grande partie de la voie.
Quelle est la durée moyenne de ces interventions ?
Ces interventions, rares, sont le plus souvent complexes dans leur réalisation. C’est pour cette raison qu’elles relèvent dans la majorité des cas d’une prise en charge dans des centres experts, pour essayer de regrouper les cas et d’augmenter l’expertise des chirurgiens qui les pratiquent.
Il y a plusieurs temps opératoires au moment de la chirurgie, qui vont déterminer la durée complète de l’acte chirurgical :
- Un temps d’abord du maxillaire : le maxillaire n’est pas apparent, il est situé dans la profondeur de la face. Il faut donc y accéder soit par une cicatrice à l’intérieur de la bouche, soit par l’intérieur du nez, soit par une incision au niveau du visage qui va permettre, en tournant autour du nez et en coupant la lèvre, de lever la peau du visage et d’accéder à cette région.
- La tumeur est retirée. Elle est située dans la région repérée, mais peut s’étendre dans les organes autour : la région du sinus entre les deux yeux (l’ethmoïde), la région de la pommette (l’os malaire), la cavité de l’orbite, les régions plus profondes et postérieures, au contact du crâne et du cerveau. En fonction de ce que l’on doit retirer, l’opération peut durer entre trois et huit heures, uniquement pour enlever le cancer.
- Il peut également y avoir un temps de reconstruction, avec lambeau ou des tissus locaux.
Lorsque l’on additionne les temps d’exérèse de la tumeur et de la reconstruction, ces actes chirurgicaux peuvent durer une dizaine d’heures.
Y a‑t-il un risque de nécrose du lambeau ?
Le lambeau correspond à une reconstruction pour restaurer la cavité d’exérèse créée en enlevant la tumeur. Le lambeau n’est pas obligatoire.
Il en existe différents types :
- lambeaux locaux (autour de la région opérée : joue, muscle autour du crâne…) ;
- lambeaux distants (muscle + os au niveau de la région dorsale ou de l’omoplate).
Le plus souvent, la reconstruction se fait par lambeau distant. On prélève ce lambeau avec une artère et une veine que l’on va « brancher » sur une artère et une veine de la région du cou et de la face. Ensuite, nous reformons ce qui a été prélevé dans le dos à la forme de ce que l’on veut reconstruire au niveau de la bouche et du visage.
Nous réalisons des microanastomoses entre les artères et les veines, lesquelles peuvent se boucher dans les heures ou jours qui suivent l’intervention, ce qui peut entraîner une nécrose. Le taux de nécrose dépend de la complexité de la reconstruction réalisée, de l’expertise de l’équipe qui procède à l’intervention et de critères liés au patient (comorbidités, état de santé général…). Les modalités d’une reconstruction doivent prendre en compte ces facteurs.
Y a‑t-il des douleurs postopératoires après une maxillectomie ?
Ces chirurgies sont inconfortables et peuvent nécessiter une trachéotomie, surtout lorsque l’on réalise une reconstruction complexe. Pendant quelques jours, le patient n’a pas la possibilité de respirer par les voies naturelles. Cette trachéotomie est totalement transitoire et ne dure que quelques jours. Elle n’est pas douloureuse, mais elle est très inconfortable.
La chirurgie au niveau de la face entraîne le plus souvent la section des nerfs de la sensibilité. L’opération est donc peu douloureuse au niveau de la face.
Cependant, les patients peuvent avoir besoin de médicaments contre la douleur pour la zone de prélèvement du lambeau, qui peut être source de douleurs importantes. Ces douleurs sont prévenues par différentes techniques chirurgicales et d’anesthésie, poursuivies dans les jours qui suivent l’intervention.
Quels sont les risques immédiats d’atteinte des nerfs faciaux ou optiques ?
Il y a des risques attendus, des conséquences directes de l’acte chirurgical, en fonction de la localisation du cancer. Lorsque l’on enlève les marges de la tumeur, il est possible d’enlever des structures anatomiques importantes, et notamment des nerfs (de la sensibilité).
Il est rare de retirer des nerfs de la motricité du visage au niveau maxillaire. Parfois, si la tumeur arrive jusque sous la peau, nous sommes obligés de retirer certains muscles sous-cutanés ce qui peut entraîner une paralysie faciale avec un visage moins mobile et moins expressif.
Après l’intervention, le visage est souvent tuméfié. En combien de temps retrouve-t-il un aspect moins inflammatoire ?
Comme je le dis à mes patients, c’est comme s’ils sortaient d’un match de boxe. Au niveau du visage, dès que l’on opère et que l’on fait des décollements, des œdèmes et ecchymoses se forment, notamment autour de l’œil. Ils peuvent s’étendre dans les jours qui suivent l’intervention. Le gonflement peut être important et impressionnant, après ces chirurgies.
L’aspect psychologique est important à prendre en compte. Comment faire pour être bien préparé et mieux appréhender l’impact de ces chirurgies ?
Effectivement, ces chirurgies ont lieu sur le visage. On parlait de visage tuméfié, des cicatrices. Il peut y avoir des conséquences psychologiques immédiates. Ce sont les explications préopératoires et la prise en charge oncopsychologique (avec des personnes habituées à gérer ces difficultés) en pré et en postopératoire qui vont aider les patients.
Après l’intervention, conseillez-vous d’attendre un peu avant de se regarder dans un miroir ou faut-il le faire rapidement, au contraire ?
La psychologie des patients et des équipes est variable. Je ne pense pas que l’on puisse donner de recommandations générales, il faut s’adapter. Certains patients sont demandeurs et veulent voir leur visage très vite. Nous, nous essayons d’y aller progressivement pour qu’il n’y ait pas de traumatisme trop important dans les conséquences de l’acte réalisé.
Combien de temps cet aspect perdure-t-il ?
L’œdème au niveau du visage va régresser en environ deux ou trois semaines, mais jamais complètement. D’autant que, dans le traitement du cancer du massif facial qui justifie une maxillectomie, il y a souvent besoin de faire un traitement de radiothérapie après la chirurgie. Celle-ci va créer un lymphœdème qui va apparaître pendant les séances et qui persistera après. Dans la prise en charge des séquelles, il y aura la gestion de cet œdème chronique généré par l’addition des deux traitements.
Comment l’alimentation se passe-t-elle après une maxillectomie ?
La plupart des maxillectomies nécessitent le passage par la bouche, qui implique des cicatrices à l’intérieur de la cavité buccale. Lorsque c’est le cas, nous ne recommandons pas de manger tout de suite pour ne pas abîmer les coutures.
Il y a donc fréquemment besoin d’une sonde naso-gastrique, qui passe par le nez jusqu’à l’estomac pour permettre une alimentation en plus de l’alimentation intraveineuse en perfusion. La conjonction des deux permet de s’alimenter pendant la période d’hospitalisation.
Il est très rare que le patient ait encore besoin d’une sonde à la sortie de l’hôpital. Toutefois, puisque la chirurgie se fait dans la bouche au niveau du palais, il y a souvent besoin d’enlever les dents. La reconstruction dentaire est exceptionnellement faite dans le même temps. Il faut donc adapter l’alimentation au déficit dentaire généré, avec une alimentation mixée, dans les premiers temps.
Écouter le podcast sur la maxillectomie du Docteur Stéphane Temam