Cette intervention chirurgicale, qui consiste à retirer une partie de la mâchoire inférieure, s’impose quand l’os est envahi par un cancer ou infecté suite à des traitements par radiothérapie. L’opération, la reconstruction, les soins de support et l’accompagnement : toutes les explications pas à pas avec le Pr Sylvain Morinière, ORL et chirurgien cervico-facial, chef du service ORL au CHU de Tours et président de la Société Française de Carcinologie Cervico-Faciale.
En quoi consiste une mandibulectomie ?
« Il s’agit de la résection chirurgicale, donc le retrait, d’une partie de l’os de la mâchoire inférieure, également appelé maxillaire inférieur ou mandibule », répond le Pr Sylvain Morinière. La mandibulectomie est généralement partielle (il n’est quasiment jamais nécessaire de retirer la totalité de la mâchoire), mais tout de même d’étendue très variable.
Il existe deux types de mandibulectomie : « Elle peut être soit interruptrice, soit non-interruptrice. Dans le premier cas, on coupe complètement l’os, ce qui créée un vide à combler sur l’arc de la mâchoire. Dans le second cas, réservé aux petites atteintes, il suffit de retirer une baguette dans l’épaisseur de l’os, qui se retrouve ainsi affiné mais non coupé », précise le spécialiste ORL.
Important à noter : pour les mandibulectomies interruptrices, une reconstruction de la mâchoire est toujours pratiquée au cours de la même intervention chirurgicale, qui peut durer au total entre 6 et 12 heures.
« La mandibulectomie peut être soit interruptrice, soit non-interruptrice »
Quand cette chirurgie est-elle nécessaire ?
Deux indications imposent d’avoir recours à une mandibulectomie.
- une tumeur cancéreuse ORL (principalement de la cavité buccale et de l’oropharynx) qui a envahi l’os de la mandibule. Le cancer est alors à un stade avancé (stade T4) et la chirurgie constitue la première étape du traitement. « Nous pratiquons une résection de l’os envahi, ainsi que d’une partie supplémentaire saine, de part et d’autre de la tumeur. Ce sont des marges d’exérèse ou marges de sécurité, qui permettent de s’assurer que l’ensemble des tissus cancéreux sont bien enlevés », développe le chirurgien cervico-facial.
- une ostéoradionécrose : Cette affection touche des patients traités par radiothérapie pour un cancer des voies ORL, qui présentent au préalable, le plus souvent un mauvais état bucco-dentaire. Les rayons ionisants provoquent une infection au niveau de l’os de la mâchoire. À un stade avancé, elle ne peut être soignée que par le retrait des tissus osseux touchés. L’opération ici est moins urgente et ne nécessite pas d’ajouter des marges de sécurité, seule la partie de l’os touchée est réséquée.
« Deux indications : une tumeur cancéreuse ORL ou une ostéoradionécrose »
Comment se préparer à l’opération ?
Dans le cas d’une mandibulectomie liée à une tumeur cancéreuse, un suivi carcinologique complet précède l’intervention chirurgicale : entretien d’annonce, examens d’imagerie pour déterminer avec précision l’extension du cancer, détermination des protocoles de traitements… Le patient est amené à rencontrer plusieurs professionnels spécialisés qui lui exposeront le parcours de soin, les séquelles possibles, etc.
« Nous proposons souvent un entretien complémentaire avec un psychologue, car ce sont des interventions lourdes qui impactent l’aspect physique, l’élocution, l’alimentation », reconnaît le Pr Morinière. « Une préparation avec un diététicien en préopératoire est également recommandée, afin de s’assurer que le patient est dans un bon état nutritionnel, bien hydraté, pour que l’intervention et la cicatrisation se passent le mieux possible. » Au besoin, des compléments nutritionnels peuvent être prescrits.
Les mandibulectomies nécessitant une reconstruction ajoutent une étape très importante à cette préparation pré-opératoire : un bilan complet de la zone où seront prélevés les tissus destinés à la greffe (pour vérifier la qualité de l’os, de la peau, des vaisseaux).
Les patients qui consomment de l’alcool et/ou du tabac devront accomplir un sevrage complet avant l’opération. « Pour les y aider, nous les faisons rencontrer des addictologues et organisons la prise en charge du sevrage », poursuit le chirurgien ORL.
Après l’intervention chirurgicale, le patient devra supporter une trachéotomie provisoire ainsi qu’une alimentation par sonde naso-gastrique ou par gastrostomie. Afin de l’y préparer et de lui fournir toutes les informations nécessaires, il peut lui être proposé de rencontrer en amont d’autres professionnels de santé comme des orthophonistes.
« Les patients qui consomment de l’alcool et/ou du tabac devront accomplir un sevrage complet avant l’opération »
Mandibulectomie et reconstruction : comment se déroule l’intervention ?
Sous anesthésie générale, le chirurgien cervico-facial résèque dans le même temps l’ensemble de la tumeur cancéreuse et les ganglions du cou (souvent atteints à ce stade). Plusieurs tissus peuvent ainsi être retirés, une partie de langue, du plancher buccal, de la mâchoire, d’une amygdale, etc.
Si la mandibulectomie est non-interruptrice, il n’y a pas besoin de reconstruction osseuse. En revanche, une greffe de tissus non-osseux est souvent nécessaire (peau par exemple), afin de réparer la muqueuse de la gencive mise à nue pendant l’intervention.
Pour les mandibulectomies interruptrices, la reconstruction a lieu au cours de la même intervention chirurgicale. « Ce que nous appelons un “lambeau libre” est prélevé au niveau le plus souvent d’un os de la jambe nommé peroné ou fibula. Nous prenons de l’os, de la peau, l’artère et la veine qui les vascularisent, parfois aussi du muscle. Nous reconstruisons ensuite la partie de la mandibule ainsi que tous les tissus qui ont été retirés avec ce lambeau libre et suturons les vaisseaux à ceux du cou », détaille le Pr Sylvain Morinière. Beaucoup moins fréquemment, et seulement pour des lambeaux libres de petite taille, les prélèvements osseux, musculaires, cutanés et vasculaires peuvent être effectués au niveau de l’omoplate ou scapula.
Les chirurgiens sont assistés par imagerie et visualisation 3D, à la fois pour prélever exactement le lambeau libre nécessaire à la reconstruction et pour fabriquer une nouvelle mâchoire la plus proche possible de l’anatomie initiale du patient.
« La reconstruction a lieu au cours de la même intervention chirurgicale »
Suites post-opératoires, à quoi s’attendre ?
Une trachéotomie est mise en place pour toute la durée de la cicatrisation, soit entre 2 et 3 semaines. Même chose pour la sonde d’alimentation, introduite par le nez ou connectée directement à l’estomac à travers la peau : cette sonde sera conservée le temps que les tissus cicatrisent correctement et qu’une alimentation redevienne possible par la bouche. Ce temps varie grandement selon les patients, pouvant aller de 3 semaines à plusieurs mois.
Un suivi des cicatrices est prévu, à la fois au niveau du cou et de la zone du lambeau libre (jambe ou épaule). Les os prélevés pour la reconstruction ne présentent pas une importance fonctionnelle majeure. Après quelques mois, la fonction est généralement totalement rétablie : marche ou mouvement de l’épaule.
La rééducation orthophonique débute généralement tout de suite après l’opération, à la fois pour améliorer la déglutition et la parole. Une réhabilitation dentaire est également possible dans un deuxième temps, afin de disposer des dents artificielles sur la mâchoire reconstruite.
Il peut arriver que d’autres chirurgies soient nécessaires après la première intervention de reconstruction : des retouches pour améliorer la fonctionnalité ou l’esthétique, des greffes de peau secondaires… « Il existe aussi un risque que le lambeau ne prenne pas, même si cela reste rare, moins de 10 % des cas. Nous procédons alors au retrait d’une partie ou de la totalité de la greffe et pratiquons une seconde reconstruction à l’aide d’un autre lambeau libre », commente le chirurgien.
« Il peut arriver que d’autres chirurgies soient nécessaires après la première intervention de reconstruction »
Quelles séquelles peuvent persister après une mandibulectomie ?
Les plus fréquentes sont avant tout esthétiques : les cicatrices au niveau du cou, de la jambe ou de l’épaule restent visibles.
Malgré la rééducation orthophonique, il peut également arriver que la mobilité ne puisse pas être entièrement retrouvée. On se retrouve alors en présence d’un trismus, c’est-à-dire de difficultés à ouvrir correctement la mâchoire. « Certains patients n’arrivent pas à remanger normalement et une adaptation alimentaire est parfois nécessaire, avec par exemple des aliments plus faciles à avaler ou même mixés. » Des troubles de la sensibilité peuvent aussi persister au niveau de la bouche, avec une altération du goût.
« Le suivi post-cancer dure 5 à 10 ans. Pendant tout ce temps, nous accompagnons les patients en leur proposant tous les soins de support possibles afin d’améliorer au mieux les éventuelles séquelles. Certes, une intervention chirurgicale comme une mandibulectomie reste lourde, mais les techniques de reconstruction ont fait des progrès considérables ces dernières années », insiste le président de la Société Française de Carcinologie Cervico-Faciale. Avec pour conséquence un nombre de plus en plus important de patients qui retrouvent une qualité de vie tout à fait satisfaisante, même « quasi normale », après leur cancer.
Propos recueillis par Violaine Badie