Au cours du bilan diagnostique, des traitements, du suivi post-cancer, votre médecin peut être amené à vous prescrire différents examens sanguins. Lesquels ? Dans quel but ? Le Dr Mickaël Burgy, oncologue médical à l’ICANS (Institut de cancérologie Strasbourg Europe) nous éclaire.
Les différentes analyses réalisées sur un simple prélèvement sanguin peuvent apporter des informations précieuses à l’équipe médicale qui accompagne des patients atteints d’un cancer ORL, à toutes les étapes de la maladie. Selon les cas, plusieurs examens sont susceptibles d’être demandés.
Quels examens sanguins en cas de suspicion de cancer et lors du bilan pré-traitement ?
L’étape du diagnostic
De nombreuses études évoquent la possibilité de repérer la présence d’un cancer à partir de biomarqueurs tumoraux (comme de l’ADN de la tumeur) circulant dans le sang. Est-ce un moyen de diagnostiquer un cancer de la tête et du cou ? « Le bilan sanguin n’est jamais employé dans un but diagnostique pour les cancers ORL », répond le Dr Mickaël Burgy. « Des tests sanguins sont possibles pour certains autres cancers, mais aucun dépistage actuellement validé ne se base sur un bilan biologique de ce type. Pour l’ensemble des cancers, y compris les cancers ORL, le diagnostic repose sur la réalisation d’une biopsie et sur l’examen anatomopathologique des tissus prélevés. »
Même constat pour les tests capables de détecter des biomarqueurs des papillomavirus humains (HPV) dans le sang. Certes, certains cancers de la sphère ORL (au niveau de l’oropharynx) nécessitent de caractériser les tumeurs en fonction de la présence ou non d’un virus HPV, afin d’adapter les traitements proposés. Mais cette caractérisation (HPV positif ou HPV négatif) est réalisée, là encore, à partir de la biopsie uniquement.
« Le bilan sanguin n’est jamais employé dans un but diagnostique pour les cancers ORL »
Bilans sanguins avant traitement
En revanche, si les analyses sanguines ne sont jamais employées à visée diagnostique, elles présentent un intérêt dans l’évaluation de la stratégie thérapeutique afin de déterminer si des traitements peuvent être supportés ou non : « Cela vaut en particulier pour les traitements systémiques comme une chimiothérapie », détaille l’oncologue médical. L’objectif des analyses sanguines, dans ce cas précis : « Définir l’état de santé général du patient. »
Pour tous les patients ayant reçu un diagnostic de cancer ORL, un bilan nutritionnel s’impose. « Ces cancers impactent souvent la déglutition et il n’est pas rare que nous prenions en charge des personnes qui ont déjà perdu plusieurs dizaines de kilos en seulement quelques mois. » Ce bilan nutritionnel repose sur tout un ensemble de données (examen clinique, poids, etc.), mais également sur certaines analyses biologiques, comme le taux d’albumine dans le sang. « Évaluer le degré de dénutrition est très important avant un traitement chirurgical, par radiothérapie et par chimiothérapie », continue l’expert de l’ICANS.
Avant un protocole de chimiothérapie, certains paramètres sont également évalués, comme la fonction hépatique, la fonction rénale et la Numération Formule Sanguine (NFS ou hémogramme, informations sur les différents constituants du sang). Leur intérêt : des dysfonctionnements ou anomalies sont susceptibles d’exposer le patient à un risque de toxicité majeur. « La vérification des paramètres rénaux est tout particulièrement importante en cas de traitement par cisplatine, qui est toxique pour les reins et présente certaines contre-indications relatives ou absolues selon leur état de fonctionnement initial », ajoute le Dr Mickaël Burgy.
« Le bilan nutritionnel repose sur tout un ensemble de données (examen clinique, poids, etc.), mais également sur certaines analyses biologiques, comme le taux d’albumine dans le sang »
Quelles analyses sanguines sont nécessaires en cours de traitement ?
Elles dépendent du protocole qui a été validé en Réunion de Concertation Pluridisciplinaire ou RCP.
Le Dr Burgy développe : « En cas de chirurgie, peu de prises de sang sont nécessaires, hormis le bilan standard avant toute intervention chirurgicale : pour les paramètres d’hémostase qui servent à vérifier si la cicatrisation va bien se passer et la recherche d’anticorps irréguliers ou RAI pour anticiper une transfusion sanguine si jamais la question venait à se poser. Pour une radiothérapie, une évaluation de la fonction thyroïdienne est demandée, car les patients irradiés peuvent présenter des complications et nécessiter un traitement d’appoint de l’hypothyroïdie. » L’analyse de la fonction thyroïdienne passe, entre autres, par un dosage sanguin de l’hormone TSH.
Les patients atteints de cancer ORL et traités par chimiothérapie ou immunothérapie doivent être surveillés sur un nombre plus important de paramètres biologiques. « Dans le cas d’une chimiothérapie, nous dosons systématiquement plusieurs paramètres, dans les 48 à 72 heures avant chaque cycle, afin de détecter d’éventuelles toxicités induites par les traitements. Nous effectuons toujours une numération formule sanguine et évaluons la fonction rénale et la fonction hépatique », complète le spécialiste. « L’idée est de ne pas valider le protocole suivant de chimiothérapie si le patient présente déjà des paramètres altérés, au risque de les aggraver. »
« Dans le cas d’une chimiothérapie, nous dosons systématiquement plusieurs paramètres, dans les 48 à 72 heures avant chaque cycle, afin de détecter d’éventuelles toxicités induites par les traitements »
Les traitements par immunothérapie nécessitent l’analyse de davantage de paramètres sanguins. « On touche au système immunitaire. La plupart du temps, tout se passe bien. Cependant, il peut arriver que les traitements provoquent des maladies auto-immunes. On optimise notre surveillance biologique, afin d’anticiper des toxicités avant qu’elles ne se traduisent par des manifestations cliniques. » Parmi les paramètres sanguins pouvant être dosés régulièrement, le Dr Burgy énumère (liste non-exhaustive) : les CPK ou Créatine Phospho-Kinases, qui permettent de monitorer une éventuelle toxicité musculaire, le dosage de la lipase, qui aide à détecter des pancréatites auto-immunes, le dosage du cortisol, nécessaire pour diagnostiquer une insuffisance surrénalienne…
Ces suivis biologiques lors de protocoles d’immunothérapie sont relativement homogènes d’un centre de soin à l’autre, bien que des variations mineures puissent être observées suivant les prescripteurs.
« Les traitements par immunothérapie nécessitent l’analyse de davantage de paramètres sanguins »
Quelles solutions si les bilans sanguins ne sont pas bons pendant une chimiothérapie ou une immunothérapie ?
« Nous prenons en compte à la fois les toxicités cliniques, telles que le niveau de fatigue, les nausées, les vomissements, et les toxicités biologiques observées sur les bilans sanguins. Selon les résultats, plusieurs options s’offrent à nous : poursuivre le traitement à la même posologie ou en la diminuant, le suspendre en attendant la normalisation des paramètres biologiques et/ou l’amélioration clinique, l’arrêter définitivement en cas de toxicités majeures », reprend l’oncologue.
Concernant les différentes toxicités engendrées par une immunothérapie, les adaptations de traitements sont discutées suivant l’organe concerné, avec habituellement une prescription de corticoïdes, dans un premier temps, puis d’immunosuppresseurs en l’absence d’évolution favorable « L’intérêt de continuer un traitement engendrant des toxicités dépend aussi de son efficacité. Il existe des Réunions de Concertation Pluridisciplinaire que nous pouvons solliciter, spécifiquement dédiées aux toxicités liées à l’immunothérapie, auxquelles participent tous les spécialistes d’organes. Ils peuvent déterminer s’il est préférable de poursuivre ou non le traitement. »
« Nous prenons en compte à la fois les toxicités cliniques, telles que le niveau de fatigue, les nausées, les vomissements, et les toxicités biologiques observées sur les bilans sanguins »
Quels bilans sanguins durant le suivi post-traitement ?
Comme pour le diagnostic d’une tumeur initiale, le bilan sanguin n’est jamais employé pour dépister d’éventuelles récidives d’un cancer. Le diagnostic d’une récidive se base toujours sur un examen clinique, des techniques d’imagerie et une biopsie.
« Dans le cas des cancers ORL, le seul dosage sanguin recommandé par les sociétés savantes durant le suivi après traitement est celui de la TSH pour le bilan thyroïdien, surtout pour les patients ayant été traités par radiothérapie ou chirurgie. La Société Française d’ORL recommande de poursuivre le suivi de la fonction thyroïdienne pour les patients irradiés tous les six mois pendant les deux premières années, puis tous les ans. »
« Dans le cas des cancers ORL, le seul dosage sanguin recommandé par les sociétés savantes durant le suivi après traitement est celui de la TSH pour le bilan thyroïdien, surtout pour les patients ayant été traités par radiothérapie ou chirurgie »
Pour les patients en phase de surveillance, traités par une chimiothérapie par cisplatine, les médecins continueront de contrôler la fonction rénale. Cela vaut surtout pour ceux présentant une toxicité séquellaire susceptible de s’aggraver avec le temps, tout particulièrement s’ils présentent d’autres facteurs de risque rénaux tels qu’un diabète ou une hypertension artérielle.
Les traitements d’immunothérapie sont actuellement proposés uniquement aux patients présentant un cancer métastatique ou en cas de récidive sur un champ irradié. Il peut cependant arriver qu’une réponse complète soit observée et un arrêt des traitements est alors envisageable. « Dans cette situation, nous savons qu’une toxicité retardée peut être observée dans l’année qui suit l’arrêt de l’immunothérapie. Nous poursuivons généralement la surveillance biologique entamée lors des traitements (voir ci-dessus) », précise le Dr Mickaël Burgy. Là encore, la fréquence du suivi peut varier légèrement selon le centre de soin.
Propos recueillis par Violaine Badie