Altéra­tion de la voix, la dys­pho­nie fait par­tie des symp­tômes et des séquelles fréquents en cas de can­cer de la tête et du cou. Quelles en sont les caus­es ? Qui con­sul­ter ? Quelles solu­tions pour l’améliorer ? Le Dr Alexan­dre Ten­dron, ORL et chirurgien cer­vi­co-facial à l’Insti­tut Gus­tave Roussy (Ville­juif) nous répond.

dysphonie

Mod­i­fi­ca­tions de la voix, dif­fi­cultés à la parole, d’apparition pro­gres­sive ou plus soudaine, les dys­pho­nies font tou­jours par­tie des symp­tômes qui néces­si­tent une con­sul­ta­tion. Qu’elles survi­en­nent spon­tané­ment ou suite à des traite­ments pour soign­er un can­cer ORL, un accom­pa­g­ne­ment médi­cal s’impose.

Qu’est-ce qu’une dysphonie ?

Pour com­pren­dre les trou­bles qui se cachent der­rière le terme « dys­pho­nie », il faut avant tout con­naître le mécan­isme com­plexe de la parole. « Il com­prend trois grandes par­ties : d’abord un trans­duc­teur qui fab­rique le son, il s’agit des cordes vocales situées dans le lar­ynx, une souf­flerie pour pro­duire l’air néces­saire à leur vibra­tion, les poumons, et enfin ce qui per­met de mod­uler le son pour for­mer des mots. Cette dernière caté­gorie inclut des résonateurs et des artic­u­la­teurs comme la bouche, le phar­ynx, la langue, les lèvres et le voile du palais », détaille le Dr Alexan­dre Ten­dron, assis­tant chef de clin­ique au ser­vice ORL de L’Institut Gus­tave Roussy. 

« La dys­pho­nie en tant que telle ne con­cerne que les atteintes des cordes vocales », pour­suit-il. Les atteintes des dif­férents résonateurs, quant à elles, provo­quent des trou­bles de l’articulation, une dif­fi­culté à for­mer les mots cor­recte­ment. Les affec­tions pul­monaires engen­drent plutôt des prob­lèmes de souf­fle, avec un essouf­fle­ment et une perte d’endurance de la voix.

« La dys­pho­nie en tant que telle ne con­cerne que les atteintes des cordes vocales »

Symptômes : quelles sont les différentes formes de dysphonies ?

Les trou­bles qui affectent la voix se man­i­fes­tent de nom­breuses manières. Il peut s’agir :

  • d’une voix érail­lée (cas le plus fréquem­ment ren­con­tré en cancérologie) ;
  • d’une voix tremblante ;
  • d’une voix com­plète­ment éteinte, le patient est aphone ;
  • d’une voix soufflée ;
  • d’une voix qui se bloque (d’origine neu­rologique ou psychogène).

Cer­taines dys­pho­nies appa­rais­sent bru­tale­ment, d’autres beau­coup plus pro­gres­sive­ment. Selon leur cause, cer­taines d’entre elles sont plutôt aiguës, c’est-à-dire per­sis­tent quelques jours puis dis­parais­sent, quand d’autres devi­en­nent chroniques et s’installent dans le temps.

« Les trou­bles qui affectent la voix se man­i­fes­tent de nom­breuses manières. Voix érail­lée, trem­blante, éteinte, soufflée… »

Quelles peuvent être les causes d’une dysphonie ?

Les orig­ines d’une dys­pho­nie sont mul­ti­ples. Elle peut résul­ter d’une patholo­gie bénigne avec sim­ple inflam­ma­tion des cordes vocales, comme d’une cause plus grave. Les dys­pho­nies con­stituent un symp­tôme très impor­tant à surveiller. 

Elles peu­vent résul­ter d’une atteinte directe des cordes vocales lorsque locale­ment celles-ci sont lésées. Mais elles peu­vent aus­si bien être indi­rectes, par une atteinte nerveuse de la com­mande du larynx.

Quand elles résul­tent d’une atteinte directe des cordes vocales, elles sont qual­i­fiées de « dys­pho­nies organiques ». Quand elles sont liées à une atteinte nerveuse, ce sont alors des « dys­pho­nies induites ». En can­cérolo­gie ORL, deux caus­es prin­ci­pales sont pos­si­bles : une tumeur qui impacte directe­ment les cordes vocales ou bien des effets sec­ondaires de traite­ments néces­saires pour soign­er une tumeur maligne. 

« Les dys­pho­nies con­stituent un symp­tôme très impor­tant à surveiller »

Les dysphonies liées à la présence d’une tumeur 

Elles survi­en­nent quand une tumeur per­turbe le fonc­tion­nement nor­mal des cordes vocales. Plusieurs cas de fig­ure se présen­tent, comme l’explique le Dr Alexan­dre Ten­dron : « La tumeur peut être présente directe­ment sur la corde vocale ou bien à dis­tance, mais elle infil­tre cette zone. On observe alors une voix plutôt souf­flée et érail­lée et par­fois d’autres trou­bles comme des dif­fi­cultés res­pi­ra­toires ou de dég­lu­ti­tion. Une autre pos­si­bil­ité : celle des tumeurs qui affectent le nerf respon­s­able du mou­ve­ment les cordes vocales (le nerf vague et sa branche, le nerf laryn­gé récur­rent, NDLR). » 

Les tumeurs can­céreuses pou­vant affecter la voix se situent au niveau du lar­ynx, l’organe de la phona­tion, ou bien autour, au niveau de l’hypopharynx, de l’oropharynx (amyg­dales, base de la langue ou voile du palais), de la cav­ité buc­cale (langue ou bouche) ou des cav­ités nasales. « Pour les can­cers hors lar­ynx, ce sont rarement les cordes vocales qui sont impactées, mais plus sou­vent les résonateurs et artic­u­la­teurs qui mod­u­lent la voix. »

Les dysphonies liées aux traitements anti-cancéreux

Les traite­ments con­cernés com­pren­nent la chirurgie et la radio­thérapie. « Toute inter­ven­tion chirur­gi­cale pra­tiquée dans le cadre d’un can­cer ORL, visant à résé­quer une tumeur, est sus­cep­ti­ble d’affecter la parole », reprend le Dr Ten­dron. « On touche aux vol­umes et à l’anatomie, de la langue, de la bouche, du phar­ynx… Donc automa­tique­ment on mod­i­fie la mod­u­la­tion des sons. Une chirurgie directe­ment au niveau du lar­ynx provo­quera aus­si sys­té­ma­tique­ment une dys­pho­nie puisque on touche directe­ment aux cordes vocales. »  Les inter­ven­tions chirur­gi­cales qui altèrent les mus­cles du lar­ynx ou les nerfs (vague, laryn­gé ou de la base du crâne) entraî­nent, elles aus­si, des mod­i­fi­ca­tions de la voix. Ces dys­pho­nies sont générale­ment persistantes. 

Les séances de radio­thérapie peu­vent avoir le même impact qu’une chirurgie : « Les rayons qui tra­versent la zone du lar­ynx ont pour effet de faire gon­fler les cordes vocales et de provo­quer une inflam­ma­tion. L’œdème mod­i­fie la voix. Elle est plus grave, plus érail­lée. Ce désagré­ment est le plus sou­vent tem­po­raire et ren­tre dans l’ordre une fois que l’effet des rayons dimin­ue, en 3 semaines à 3 mois », affirme le médecin ORL. En revanche, si la radio­thérapie mod­i­fie la sou­p­lesse même des cordes vocales, affaib­lit les mus­cles du lar­ynx ou provoque des atteintes nerveuses, les dys­pho­nies ou trou­bles de la voix observés devi­en­net alors permanents.

« Les tumeurs can­céreuses pou­vant affecter la voix se situent au niveau du lar­ynx, l’organe de la phona­tion, ou bien autour »

Qui consulter pour prendre en charge une dysphonie ?

Trois cas sont à distinguer :

  • Vous souf­frez d’une dys­pho­nie d’apparition spon­tanée, qui per­siste plus de 8–15 jours, alors que vous n’avez pas de can­cer diag­nos­tiqué : il est impératif de con­sul­ter rapi­de­ment un médecin ORL afin de faire un bilan de santé.
  • Vous avez été soigné pour un can­cer au niveau de la sphère ORL, êtes désor­mais suivi à inter­valles réguliers, et observez une mod­i­fi­ca­tion de votre voix ou tout autre symp­tôme nou­veau : « Con­tactez rapi­de­ment l’oncologue qui vous suit pour deman­der un ren­dez-vous plus rapi­de­ment que votre ren­dez-vous habituel de con­trôle », con­seille le Dr Ten­dron. « L’objectif est de dépis­ter au plus vite une éventuelle récidive. »
  • Vous avez été soigné pour un can­cer rare de la tête et du cou et con­servez une voix mod­i­fiée après les traite­ments : n’hésitez pas à en par­ler avec l ’équipe médi­cale qui vous accom­pa­gne si la sit­u­a­tion est trop pénible à vivre. Le Dr Alexan­dre Ten­dron com­plète : « Un suivi est générale­ment pro­posé, mais le ressen­ti de chaque patient vis-à-vis de sa voix est très per­son­nel. Cer­taines per­son­nes ne sont pas gênées par des mod­i­fi­ca­tions, d’autres le sont énor­mé­ment. Il est impor­tant de not­er, toute­fois, que nous ne sommes pas en capac­ité de répar­er totale­ment des cordes vocales abîmées et que la voix ne pour­ra jamais être exacte­ment telle qu’elle était avant les traitements. »

« Nous ne sommes pas en capac­ité de répar­er totale­ment des cordes vocales abîmées et la voix ne pour­ra jamais être exacte­ment telle qu’elle était avant les traitements »

Comment soigner une dysphonie persistante post-cancer ?

« Il n’existe mal­heureuse­ment pas beau­coup de traite­ments disponibles », recon­naît le chirurgien cer­vi­co-facial. « Dans le cadre de dys­pho­nies séquel­laires, suite à des traite­ments anti-can­céreux, nous pou­vons pro­pos­er un accom­pa­g­ne­ment ortho­phonique. »

La réé­d­u­ca­tion avec un ortho­phon­iste per­met de tra­vailler sur les cordes vocales elles-mêmes, mais égale­ment sur les mus­cles si ceux-ci sont affaib­lis, ain­si que sur les dif­férentes struc­tures anatomiques qui entrent en jeu dans la phona­tion. Le Dr Ten­dron ajoute : « Face à des mod­i­fi­ca­tions de la voix sans mod­i­fi­ca­tion des cordes vocales, l’orthophoniste demeure même le seul cor­recteur possible. »

« Par­fois, nous pou­vons être amenés à injecter un peu de graisse au niveau des cordes vocales en cas de grosse perte de vol­ume, pour com­penser un peu et amélior­er la qual­ité de la voix », con­tin­ue le spé­cial­iste. Les chirur­gies recon­struc­tri­ces des­tinées à amélior­er l’anatomie et les pertes de vol­umes, peu­vent aus­si avoir un impact posi­tif sur la qual­ité de la parole.

« La réé­d­u­ca­tion avec un ortho­phon­iste per­met de tra­vailler sur les cordes vocales, ain­si que sur les dif­férentes struc­tures anatomiques qui entrent en jeu dans la phonation »

Quelles précautions pour éviter des dysphonies persistantes ?

Peu de moyens de préven­tion sont effi­caces pour réduire le risque de souf­frir d’un trou­ble de la voix après un can­cer ORL. Ces trou­bles sont loin d’être sys­té­ma­tiques toute­fois, et dépen­dent à la fois de la local­i­sa­tion de la tumeur ini­tiale et des traite­ments mis en œuvre pour la soigner.

Cepen­dant, un fac­teur majeur est à pren­dre en compte : le tabac. Le Dr Ten­dron développe : « Il est tou­jours forte­ment recom­mandé d’arrêter de fumer, à tous les patients atteints d’un can­cer de la sphère ORL, à la fois pour amélior­er les chances de survie et pour réduire le risque de récidives. Il faut savoir que le tabac est, en lui-même, un fac­teur de risque de dys­pho­nie, puisqu’il fait gon­fler les cordes vocales, engen­dre une voix alour­die, plus grave, plus érail­lée. Dès lors qu’il y a eu de la radio­thérapie ou une chirurgie, les cordes vocales sont encore plus sen­si­bles et l’effet du tabac est accentué. »

Ce phénomène s’observe aus­si avec des cordes vocales plus rigides ou des mus­cles affaib­lis par la radio­thérapie, quand les patients n’utilisent pas cor­recte­ment leur voix, soit par le fait de trop forcer, de par­ler trop fort, trop longtemps… « On peut avoir alors une dys­pho­nie liée à un mésusage de la voix. » L’organe de la phona­tion reste frag­ile. On ne s’en rend compte, le plus sou­vent, que quand celui-ci est mal­heureuse­ment affec­té. Veillez à en pren­dre le plus grand soin au quo­ti­di­en, en préser­vant autant que pos­si­ble votre voix.

« Le tabac est un fac­teur de risque de dys­pho­nie, puisqu’il fait gon­fler les cordes vocales, engen­dre une voix alour­die, plus grave, plus éraillée »

Le cas particulier des laryngectomies totales : quelles solutions pour retrouver la parole ?

Les patients ayant dû subir une laryn­gec­tomie totale, une abla­tion com­plète du lar­ynx, per­dent inté­grale­ment l’usage de leur voix puisque l’organe qui fab­rique le son (les cordes vocales) a été retiré. Plusieurs solu­tions de sub­sti­tu­tion peu­vent leur être proposées :

  • une réé­d­u­ca­tion avec un ortho­phon­iste pour appren­dre la « voix oro-œsophagi­en­ne ». « L’orthophoniste éduque sur la manière de faire vibr­er un autre organe pour pren­dre la place des cordes vocales, ici l’œsophage. Évidem­ment, la vibra­tion est très dif­férente et la voix ne sera pas du tout la même », décrypte le Dr Alexan­dre Tendron.
  • la pro­thèse tra­chéo-œsophagi­en­ne, petit tube inséré entre la tra­chée et l’œsophage. « Elle per­met, en expi­rant de l’air par les poumons, de le faire pass­er par l’entrée de l’œsophage et de ren­dre ain­si pos­si­ble sa vibra­tion. Il s’agit tou­jours d’une voix œsophagi­en­ne, mais plus facile à maîtris­er. La réé­d­u­ca­tion ortho­phonique reste une étape indis­pens­able mais sera de courte durée. » Atten­tion, tous les patients ne sont pas éli­gi­bles à la pose de ce type d’implant phona­toire et tout acte chirur­gi­cal sup­plé­men­taire peut com­porter des risques. Le choix de pos­er ou non une pro­thèse tra­chéo-œsophagi­en­ne est dis­cuté au cas par cas. 
  • le laryn­go­phone. « Plutôt que de créer une vibra­tion avec l’œsophage, si on n’y arrive pas, on apporte la vibra­tion par un appareil extrin­sèque. On le place soit au niveau du cou, soit sous l’angle de la mâchoire, soit sur la joue quand le cou est trop « car­ton­neux » notam­ment à cause des rayons. En faisant vibr­er les résonateurs, le laryn­go­phone crée un son. La voix est très robo­t­ique mais cela reste un moyen de com­mu­ni­ca­tion intéressant. »

Un dernier con­seil du Dr Alexan­dre Ten­dron : « En général, il est tou­jours préférable d’avoir plusieurs options à dis­po­si­tion. Un patient qui maîtrise la voix œsophagi­en­ne ou qui est équipé d’une pro­thèse peut utilis­er un laryn­go­phone en par­al­lèle, s’il com­mence à fatiguer en fin de journée par exemple. »

Pro­pos recueil­lis par Vio­laine Badie

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