Les traite­ments des­tinés à soign­er un can­cer ORL peu­vent avoir un impact sur le sys­tème audi­tif. Des acouphènes jusqu’à la perte d’audition, décou­vrez l’origine de ces séquelles, le suivi néces­saire, ain­si que les solu­tions qui peu­vent être mis­es en place pour y remédi­er. Les expli­ca­tions avec les Drs Guil­laume Michel, ORL au CHU de Nantes, et Romain Tourne­gros, ORL à l’hôpital Lyon-Sud. 

Qu’il s’agisse d’une chimio­thérapie, d’une radio­thérapie, d’une chirurgie, chaque traite­ment pro­posé pour soign­er un can­cer des voies aérodi­ges­tives supérieures peut poten­tielle­ment affecter l’oreille. Ces atteintes, qui se man­i­fes­tent alors par des trou­bles audi­tifs, sont loin toute­fois d’être sys­té­ma­tiques. Quand elles survi­en­nent, les symp­tômes sont par­fois tran­si­toires, par­fois per­ma­nents, avec des degrés de grav­ité variables.

Quelques rappels anatomiques pour comprendre le fonctionnement de l’oreille

Elle se com­pose de trois par­ties, avec, de l’extérieur vers l’intérieur : 

  • l’oreille externe (pavil­lon et con­duit audi­tif externe) ;
  • l’oreille moyenne, séparée de l’oreille externe par le tym­pan (mem­brane qui capte la vibra­tion des sons), puis com­prenant une cav­ité dans laque­lle se trou­vent les trois osse­lets (qui per­me­t­tent l’amplification du sig­nal sonore) ;
  • l’oreille interne, qui con­tient la cochlée, organe qui trans­forme la vibra­tion en sig­nal audi­tif élec­trique, trans­mis ensuite au cerveau via le nerf audi­tif. Au sein de l’oreille interne, se situe égale­ment le sys­tème vestibu­laire, respon­s­able de l’équilibre.

Autre struc­ture anatomique essen­tielle à con­naître : la trompe d’Eustache. Ce petit con­duit relie l’oreille moyenne à la cav­ité nasale et joue un rôle majeur, celui d’équilibrer les pres­sions de part et d’autre du tympan.

schema oreille

Des atteintes au niveau de ces dif­férentes struc­tures anatomiques auront un impact dif­férent sur l’audition.

Les différentes formes de troubles auditifs liés à un cancer ORL

Cer­tains traite­ments anti-can­céreux sont sus­cep­ti­bles d’engendrer des symp­tômes très vari­ables. On peut retrouver :

  • une hyper­a­cousie, soit une ampli­fi­ca­tion des sons qui les rend désagréables voire douloureux. « L’hyperacousie se man­i­feste dans un con­texte de fatigue, d’anxiété et d’hypersensibilité de l’oreille », développe le Dr Guil­laume Michel.
  • des acouphènes, com­muné­ment appelés « bour­don­nements », « tin­te­ments » ou « sif­fle­ments d’oreilles »
  • des ver­tiges
  • une perte de l’acuité audi­tive, pou­vant aller d’une baisse de l’audition, au niveau d’une oreille ou des deux, à la sur­dité complète

Quelles sont les causes de ces troubles auditifs ? 

Tous les types de traite­ments employés pour com­bat­tre un can­cer de la tête et du cou peu­vent poten­tielle­ment avoir un effet sur l’audition. Atten­tion, cela ne sig­ni­fie par pour autant que les trou­bles audi­tifs sont sys­té­ma­tiques après un pro­to­cole de soins anti­cancéreux, loin de là.

La chimiothérapie

La tox­i­c­ité de cer­taines molécules de chimio­thérapie sur le sys­tème audi­tif (on par­le alors d’ototoxicité) est désor­mais bien doc­u­men­tée. « C’est tout par­ti­c­ulière­ment le cas des chimio­thérapies aux sels de platines, dont la plus con­nue est le cis­pla­tine », explique l’ORL Dr Michel. « Les sels de pla­tine engen­drent des pro­duits de dégra­da­tion. Il s’agit de rad­i­caux libres qui se retrou­vent dans le liq­uide de l’oreille interne. » Les pro­duits de dégra­da­tion de ces chimio­thérapies détéri­orent des cel­lules spé­ci­fiques à ce niveau, des cel­lules cil­iées, dont le rôle est de trans­met­tre le mes­sage sen­soriel au cerveau. Ces cel­lules, une fois détru­ites, n’ont pas la capac­ité de se régénér­er. La con­séquence : des sur­dités de per­cep­tion, dites « neu­ro-sen­sorielles ». La trans­mis­sion du son vers le cerveau est altérée.

Dans le cas d’une atteinte provo­quée par une chimio­thérapie, la baisse audi­tive est bilatérale, au niveau des deux oreilles, et défini­tive.

« Tous les types de traite­ments employés pour com­bat­tre un can­cer de la tête et du cou peu­vent poten­tielle­ment avoir un effet sur l’audition. Cela ne sig­ni­fie par pour autant que les trou­bles audi­tifs sont systématiques. »

La radiothérapie

« Les effets dépen­dent grande­ment du champ et de la zone d’irradiation », informe le Dr Guil­laume Michel. « Quand les rayons passent au niveau de l’oreille, notam­ment au niveau de la cochlée, une inflam­ma­tion peut appa­raître. » En com­plé­ment d’une baisse de l’audition, les patients souf­frent par­fois d’acouphènes et de ver­tiges. L’atteinte peut rester tran­si­toire, le temps que l’inflammation s’apaise, ou devenir chronique et engen­dr­er une fibrose.

« La radio­thérapie peut aus­si abîmer directe­ment le nerf audi­tif, avec alors un défaut de trans­mis­sion du sig­nal sonore vers le cerveau. La perte d’audition est ici défini­tive », com­plète le Dr Romain Tourne­gros. « Un autre type de sur­dité est pos­si­ble, par inflam­ma­tion de la trompe d’Eustache. C’est observé, le plus sou­vent, dans les can­cers du rhinophar­ynx ou cavum. L’inflammation empêche la trompe d’Eustache de faire cor­recte­ment son tra­vail, ce qui aboutit à la for­ma­tion d’une otite séro-muqueuse avec accu­mu­la­tion de liq­uide dans l’oreille moyenne. » La perte audi­tive est dite « de trans­mis­sion », puisque c’est la trans­mis­sion des vibra­tions sonores qui est altérée par la présence de liquide.

Dans le cas de trou­bles audi­tifs causés par une radio­thérapie, les signes s’observent en général au niveau d’une seule oreille.

« Quand les rayons passent au niveau de l’oreille, notam­ment au niveau de la cochlée, une inflam­ma­tion peut appa­raître. Un autre type de sur­dité est pos­si­ble, par inflam­ma­tion de la trompe d’Eustache.

La chirurgie

Cer­taines chirur­gies des­tinées à résé­quer une tumeur can­céreuse auront un impact sur l’audition, notam­ment si elles touchent directe­ment l’appareil audi­tif. « C’est le cas pour les can­cers du con­duit audi­tif, pour lesquels il faut par­fois sac­ri­fi­er cer­taines struc­tures de l’oreille, comme le tym­pan et les osse­lets », sig­nale le Dr Tourne­gros. La sur­dité est alors plus ou moins impor­tante, au niveau de l’oreille opérée, pou­vant aller jusqu’à la sur­dité totale si la résec­tion touche l’oreille interne. La recon­struc­tion et la réha­bil­i­ta­tion se font au cas par cas. 

D’autres tumeurs, nais­sant à dis­tance de l’appareil audi­tif mais inva­sives, néces­si­tent par­fois des chirur­gies impor­tantes qui peu­vent, là encore, touch­er des struc­tures anatomiques en jeu dans l’audition. Les con­séquences sont très vari­ables selon l’ampleur et la local­i­sa­tion de l’intervention chirurgicale.

Les autres causes

Au-delà des traite­ments anti­cancéreux, d’autres fac­teurs peu­vent met­tre en péril l’audition, comme les infec­tions. Les trou­bles de l’audition et sur­dités engen­drés par une infec­tion, telle une ménin­gite, demeurent très rares et dépen­dent de la bac­térie en cause. « Ces cas survi­en­nent soit chez des patients présen­tant une baisse de leur immu­nité induite par une chimio­thérapie, soit en rai­son d’une chirurgie qui a créé des brèch­es vers la zone mén­ingée. Quand une infec­tion grave survient , elle peut se propager au niveau de l’or­eille interne et provo­quer une sur­dité de per­cep­tion », avise le Dr Guil­laume Michel. Pour rap­pel, les méninges sont des mem­branes qui envelop­pent le sys­tème nerveux cen­tral (cerveau et moelle épinière).

Chez ces patients, la perte audi­tive observée est générale­ment bilatérale et défini­tive.

surdite 3

Existe-t-il des facteurs de risque connus ?

Le seul fac­teur de risque recon­nu de trou­bles de l’audition engen­drés par des traite­ments anti-can­céreux con­cerne la chimio­thérapie : les patients présen­tant une fonc­tion rénale dégradée dévelop­pent plus facile­ment une sur­dité par­tielle ou totale.

L’avancée en âge, les per­son­nes dia­bé­tiques, des prob­lèmes audi­tifs pré-exis­tants pour­raient égale­ment aug­menter le risque de dévelop­per, voire d’accentuer, des trou­bles de l’audition lors de la prise en charge pour un can­cer ORL.

« Les patients présen­tant une fonc­tion rénale dégradée dévelop­pent plus facile­ment une sur­dité par­tielle ou totale avec une chimiothérapie. »

Quelle prévention et quel suivi ?

Les patients qui se voient pro­pos­er un pro­to­cole de traite­ment inclu­ant une chimio­thérapie avec des sels de pla­tine doivent pou­voir béné­fici­er d’un ren­dez-vous avec un médecin ORL en amont, afin d’effectuer un bilan audi­tif de référence. Des ren­dez-vous réguliers ensuite ser­vent à sur­veiller une éventuelle dégra­da­tion audi­tive. « Si une perte d’audition est con­statée, nous dis­cuterons des options pos­si­bles, comme adapter les dos­es — plus faibles ou sur des durées de per­fu­sion plus longues -, ou chang­er le pro­to­cole de traite­ment quand c’est pos­si­ble », détaille le Dr Romain Tournegros.

Mal­heureuse­ment, en fonc­tion de l’urgence dans laque­lle les traite­ments doivent débuter, une con­sul­ta­tion pour effectuer le bilan audi­tif de référence n’est pas tou­jours envisageable. 

Il est recom­mandé aux patients de rap­porter à leur équipe soignante tout signe inhab­ituel qui appa­raî­trait pen­dant leur prise en charge : 

  • une baisse ressen­tie de l’audition ;
  • une gêne à la com­préhen­sion des con­ver­sa­tions, notam­ment dans des envi­ron­nement bruyants ;
  • des acouphènes ;
  • des ver­tiges ;
  • une hyper­a­cousie.

Les effets d’une radio­thérapie se man­i­fes­tent par­fois de manière tar­dive. N’hésitez pas à con­sul­ter un ORL si vous ressen­tez cer­tains des symp­tômes listés ci-dessus, même si vous n’êtes plus suivi en cancérologie.

« Il est recom­mandé aux patients de rap­porter à leur équipe soignante tout signe inhab­ituel qui appa­raî­trait pen­dant leur prise en charge : perte audi­tive, acouphènes, ver­tiges, hyper­a­cousie, etc.

Quels sont les traitements de ces surdités et troubles de l’audition ?

Face à des symp­tômes tels que des acouphènes ou une hyper­a­cousie, il peut être intéres­sant de se tourn­er vers des séances de sophrolo­gie, d’hyp­nose, de relax­ation, de médi­ta­tion… Elles ne sont pas des­tinées à sup­primer le prob­lème, mais plutôt à aider les patients à accepter et à inté­gr­er ces bruits par­a­sites, dans le but de réduire leur impact sur la qual­ité de vie. « Dans cer­tains cas, nous pou­vons pro­pos­er des appareils audi­tifs avec des généra­teurs de bruit pour mas­quer les acouphènes », com­mente le Dr Michel.

Les per­son­nes qui ressen­tent des ver­tiges peu­vent se voir pro­pos­er des séances de kinésithérapie vestibu­laire, voire des traite­ments médica­menteux.

Les sur­dités engen­drées par des inflam­ma­tions de la trompe d’Eustache (radio-induites) néces­si­tent par­fois la pose d’un dia­bo­lo, yoyo ou aéra­teur à tra­vers le tym­pan. L’orifice ain­si créé est des­tiné à évac­uer le liq­uide accu­mulé. Quand les tis­sus finis­sent par fibros­er, les otites séro-muqueuses devi­en­nent chroniques et le dia­bo­lo doit être lais­sé en place de manière per­ma­nente. « Il existe un autre type de traite­ment, qui est la dilata­tion tubaire, mais elle est peu employée après une irra­di­a­tion en rai­son de la fragilité des tis­sus », pour­suit le Dr Tournegros.

Lors d’une chirurgie néces­si­tant de sac­ri­fi­er des struc­tures de l’oreille, l’équipe soignante envis­age tou­jours les pos­si­bil­ités de recon­struc­tion au cas par cas. Ces recon­struc­tions se déroulent préféren­tielle­ment au même moment que l’intervention de résec­tion de la tumeur, mais peu­vent égale­ment être effec­tuées sec­ondaire­ment. Le Dr Romain Tourne­gros ajoute : « Nous pou­vons aus­si envis­ager, dans cer­taines sit­u­a­tions, la pose d’un implant à con­duc­tion osseuse, au cours de la chirurgie de résec­tion de la tumeur, une petite vis qui va aider à trans­met­tre le son par vibra­tion osseuse et ira stim­uler directe­ment l’oreille interne. »

Dif­férents appareil­lages exis­tent pour palier les sur­dités de per­cep­tion. L’appareillage peut être au niveau d’une seule oreille ou des deux, selon les besoins. En cas de sur­dité totale uni­latérale, un appareil CROS peut être pro­posé. Son principe : un pre­mier appareil capte les sons au niveau de l’oreille sourde et trans­fère les infor­ma­tions en WIFI à un sec­ond appareil situé dans l’oreille saine. C’est cette dernière qui tra­vaille pour capter l’ensemble des sons et recréer un effet « stéréo ».

Les sur­dités totales bilatérales doivent par­fois néces­siter la pose d’un implant cochléaire. Une élec­trode est placée dans l’oreille interne par voie chirur­gi­cale. Elle est des­tinée à capter les sons, trans­mis ensuite à un processeur externe placé sous la peau.

Les solu­tions aux trou­bles de l’audition sur­venus au cours d’un traite­ment anti­cancéreux sont tou­jours adap­tées à chaque cas indi­vidu­el, selon le type et la grav­ité de la sur­dité. Afin d’améliorer au mieux la qual­ité de vie des patients, il est sou­vent néces­saire de met­tre en place des suiv­is com­plé­men­taires, des réé­d­u­ca­tions, des adap­ta­tions telles que l’apprentissage de la lec­ture labi­ale par exemple. 

Pour en savoir plus, voir notre arti­cle dédié : Sur­dités et trou­bles de l’audition : les adap­ta­tions pos­si­bles pour amélior­er le quotidien

Pro­pos recueil­lis par Vio­laine Badie

Cette page a-t-elle répondu à vos attentes ?
OuiNon

Continuons l'échange avec les réseaux sociaux Corasso :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Les information de prénom, nom, email et téléphone sont facultatives. Elles nous permettront éventuellement de vous recontacter pour vous répondre ou échanger.

For security, use of Google's reCAPTCHA service is required which is subject to the Google Privacy Policy and Terms of Use.