INTERVIEW EXPERT
Rencontre avec le Pr Béatrix Barry, cheffe du service ORL et de chirurgie cervico-faciale de l’hôpital Bichat à Paris. Pour Corasso, elle répond aux questions que se posent les patients sur la chirurgie laryngée.
Avant toute chose, comment le larynx fonctionne-t-il ? Quelle est sa fonction ?
Le larynx est un organe qui sert à la fois à parler et à respirer. Grâce aux cordes vocales, il permet de filtrer l’air pour émettre un son, qui sera ensuite transformé dans la bouche pour faire la voix et former les phrases. Il permet aussi de faire passer l’air vers les poumons.
On parle de carrefour aérodigestif, car cet organe protège le poumon au moment de la déglutition. Lorsque l’on avale la salive ou des aliments, le larynx se comporte comme une sorte de sphincter et se ferme pour laisser passer les aliments en arrière dans l’œsophage.
Qu’est-ce qu’une chirurgie laryngée ?
C’est une chirurgie sur cet organe assez complexe qu’est le larynx, lequel comprend trois régions :
- la région sus-glottique ;
- la région glottique (avec les cordes vocales) ;
- la région sous-glottique (moins souvent opérée).
Dans quel cas pratique-t-on une chirurgie laryngée ?
On peut la pratiquer pour des pathologies bénignes, comme des polypes des cordes vocales, notamment chez les gens qui travaillent beaucoup avec leur voix, provoquant une réaction de l’organe du fait de sa surutilisation. On retire alors ces petites boules bénignes. L’intervention est suivie d’une rééducation pour retrouver une voix normale.
Elle peut aussi être pratiquée pour traiter des tumeurs malignes ou des lésions précancéreuses, notamment chez les fumeurs présentant des tâches de leucoplasie, qui sont des lésions blanches pouvant à la longue dégénérer. C’est aussi une sorte d’usure de l’organe, mais cette fois-ci liée au tabac et non au surmenage vocal.
Cette intervention comporte-t-elle des risques ? Si oui, lesquels ?
Il y a différents types de chirurgies du larynx :
- par voie endoscopique (en passant par la bouche, une voie naturelle) ;
- par voie cervicale.
Lorsque nous opérons au niveau du larynx, il y a un risque de modifier la voix, puisque le plus souvent nous touchons aux cordes vocales. Il y a également un risque respiratoire. Il est parfois nécessaire de protéger les voies respiratoires lors de cette intervention.
Existe-t-il des greffes de larynx ?
Les greffes de larynx relèvent encore du domaine de la recherche. Cette intervention n’est pas courante. Le problème de cette greffe est que l’on traite souvent des patients qui ont eu un cancer. Il est ainsi difficile de réaliser une greffe et de donner un traitement immunosuppresseur.
Idéalement, la greffe de larynx concerne des patients qui ont eu un traumatisme du larynx, mais ce n’est pas pour l’instant quelque chose qui se fait en pratique courante.
La chirurgie du larynx est une chirurgie d’exérèse qui ne nécessite pas forcément de lambeau. Dans quel cas est-ce nécessaire ? Comment cela se passe-t-il ?
Effectivement, le lambeau est plutôt utilisé en cas d’atteinte du pharynx associé au larynx. Lorsque la chirurgie laryngée nécessite un lambeau, il est prélevé au niveau de la peau de la cuisse, du bras ou au niveau du thorax. Mais ce sont des situations peu fréquentes en chirurgie laryngée.
Quelle est la différence entre laryngectomie partielle et laryngectomie totale ?
Dans une laryngectomie partielle, nous conservons le larynx en partie et gardons ce sphincter. Le patient va pouvoir continuer à parler (avec probablement une voix un peu modifiée) et surtout à manger et à respirer par la bouche.
Dans une laryngectomie totale, nous séparons le larynx de la déglutition. Le patient n’aura plus de cordes vocales et devra respirer exclusivement par une trachéostomie (un trou à la base du cou).
À quel moment du parcours la chirurgie est-elle proposée ? Avant ou après la radiothérapie ?
La chirurgie est proposée plutôt avant la radiothérapie, car cette dernière ne facilite pas la chirurgie. Lorsqu’un larynx a été irradié avant, les suites opératoires sont plus compliquées, et nous sommes souvent obligés de proposer une chirurgie radicale, c’est-à-dire une laryngectomie totale.
L’idéal est de faire une chirurgie d’abord, d’essayer de faire de la radiothérapie soit à la place soit après (si elle est vraiment indispensable), mais les deux ne font pas très bon ménage. Une laryngée partielle, lorsqu’elle est ensuite irradiée, présente des résultats beaucoup moins bons en matière de voix et de déglutition.
Quels sont les traitements associés en amont et en aval ?
Cela dépend du stade :
S’il s’agit d’une tumeur débutante, il n’y a pas de traitement avant la chirurgie.
Si le patient relève plutôt d’une laryngectomie totale, on essaie de faire cette chirurgie en première intention, sauf si la tumeur est assez avancée. On peut alors proposer une chimiothérapie préalable pour préciser le meilleur traitement entre chirurgie et radiothérapie.
Parfois, une radiothérapie peut être proposée à la place d’une chirurgie. Elle peut aussi avoir lieu après une intervention.
Il y a énormément de cas de figure différents qui vont dépendre du stade de la tumeur et de la décision qui sera prise avec le patient concernant les traitements.
Selon les différentes voies d’abord, quelle en est la durée moyenne ?
Pour une chirurgie endoscopique, il faut compter trente à soixante minutes environ. Parfois un peu plus.
Pour une chirurgie réalisée par voie cervicale, il y a souvent besoin d’aller retirer aussi des ganglions. L’intervention dure alors plus longtemps, environ trois ou quatre heures.
La chirurgie laryngée est-elle une opération fréquente ?
Hors cancer, c’est une opération relativement fréquente pour les services d’ORL, qui ont tous l’habitude de prendre en charge cette chirurgie.
La chirurgie carcinologique du larynx est, quant à elle, fréquente dans les centres spécialisés, recevant les patients atteints de cancers ORL.
Une chirurgie « fréquente », c’est une intervention que l’on réalise quatre ou cinq fois par semaine dans l’équipe, avec des types très variables. Il ne s’agit pas seulement de laryngectomie totale. La pratique est assez large puisque nous prenons aussi en charge des patients pour des problèmes au niveau de la langue, du pharynx, etc.
Parlons maintenant de la préparation. Quelle est selon vous la partie la plus complexe à gérer pour le patient ? Comment peut-on l’accompagner, au travers d’un soutien psychologique, notamment ?
La partie la plus complexe est la modification de la voix. Le patient sait qu’après l’intervention, sa voix ne sera plus la même. Souvent, la voix est déjà un petit peu modifiée par la présence de la tumeur, et le patient est déjà prêt à accepter cette modification de la voix.
Ce qui est de très loin le plus difficile à « accepter », c’est la laryngectomie totale, qui est une vraie mutilation. Il y a une perte de la voix et une nécessité de réapprendre à parler par d’autres techniques. C’est essentiellement dans ce cas-là qu’il y a besoin d’un soutien.
Il faut bien expliquer au patient les conséquences de l’intervention, le caractère définitif de la trachéotomie, les différentes modalités de récupération d’une voix, en tout cas d’un contact avec l’extérieur après l’opération.
On a pu entendre parler du larynx artificiel. Où en sommes-nous ?
C’est un peu comme la greffe de larynx : c’est encore du domaine de la recherche. C’est un organe très complexe, difficile à remplacer par un organe artificiel qui aura les mêmes fonctions. C’est un très beau projet et ce sera certainement une grande aide pour les patients. Mais, malheureusement, c’est encore à l’état de projet, un projet qui n’est ni encore complètement finalisé ni parfaitement au point.