Et après ?

INTERVIEW EXPERT

Pour Coras­so, le Pr Béa­trix BARRY, cheffe du ser­vice ORL et de chirurgie cer­vi­co-faciale de l’hôpital Bichat à Paris, répond aux ques­tions que se posent les patients sur la chirurgie laryn­gée et en par­ti­c­uli­er, sur ses con­séquences fonc­tion­nelles à long terme.

Que pouvez-vous nous dire sur les différentes séquelles fonctionnelles ?

Les séquelles se por­tent essen­tielle­ment sur la voix. À par­tir du moment où nous tou­chons à la corde vocale et au lar­ynx, nous mod­i­fions la voix. Le patient, en fonc­tion du type d’intervention, aura une voix plus ou moins dif­férente de sa voix ini­tiale, en général un peu plus grave. La plu­part du temps, il fau­dra réalis­er une réé­d­u­ca­tion pour obtenir les meilleurs résul­tats pos­si­bles en ter­mes de voix après l’intervention. Les séquelles sur la voix sont bien enten­du majeures si le patient a eu une laryn­gec­tomie totale.

Et concernant l’alimentation ?

Avec une cordec­tomie sim­ple (retrait d’une seule corde vocale par voie endo­scopique), il y a peu de con­séquences sur la déglutition.

Après une laryn­gec­tomie par­tielle un peu plus impor­tante (surtout par voie cer­vi­cale), il existe des dif­fi­cultés à repren­dre une ali­men­ta­tion nor­male. Le patient devra réalis­er une réé­d­u­ca­tion avec un ortho­phon­iste. Dans les pre­miers temps, l’alimentation est mixée (potages, com­potes…). Puis en dernier recours, on fera boire le patient avec de l’eau (car cela représente le risque de fauss­es routes le plus important).

Après une laryn­gec­tomie totale, le patient perd com­plète­ment la voix, mais n’aura plus aucun prob­lème de dég­lu­ti­tion. Il n’y a plus de car­refour aérodi­ges­tif puisqu’on sépare com­plète­ment la dég­lu­ti­tion de la respiration.

En combien de temps peut-on ressentir une amélioration, notamment au niveau de l’alimentation ?

C’est assez vari­able en fonc­tion des patients. La plu­part des gens ont des pro­grès assez nets au bout d’un mois ou deux, c’est assez rapi­de. Cela dépend aus­si des inter­ven­tions. Pour cer­taines opéra­tions, la reprise de l’alimentation est plus difficile. 

Les jeunes patients ont beau­coup plus de facil­ité à réap­pren­dre à manger après une inter­ven­tion de chirurgie par­tielle laryngée.

Les cicatrices sont-elles importantes ? Où se situent-elles ?

On essaie de plus en plus, dans la mesure du pos­si­ble, de réalis­er une chirurgie endo­scopique en pas­sant par les voies naturelles pour ne pas avoir de cicatrices.

Lorsqu’il y a besoin de réalis­er un curage gan­glion­naire (abla­tion des gan­glions) ou d’accéder au lar­ynx par voie cer­vi­cale, il y a des cica­tri­ces en général à la base du cou. Elles sont vis­i­bles, mais rel­a­tive­ment discrètes. 

Après une laryn­gec­tomie totale, il y a une cica­trice en « U » qui peut faire jusqu’à 15–20 cm. Mais la plu­part du temps, les cica­tri­ces se voient assez peu, les patients cica­trisent bien.

Lorsque les cicatrices sont visibles, existe-t-il des techniques pour les atténuer ?

Mal­heureuse­ment, la radio­thérapie a un effet posi­tif sur les cica­tri­ces. Les patients traités par irra­di­a­tion après la chirurgie ont des cica­tri­ces qui se voient assez peu. C’est un effet béné­fique de ce traite­ment complémentaire.

Il y a des moyens d’améliorer l’aspect de la cica­trice, soit en réal­isant des mas­sages, soit en met­tant des plaques de sil­i­cone sur la cicatrice. 

Mais hon­nête­ment, c’est rarement le souci des patients. Ce qui les intéresse surtout, c’est de retrou­ver un con­tact avec l’extérieur et de repren­dre une alimentation.

Quelles sont les plus grandes difficultés dont se plaignent les patients dans leur vie quotidienne après une telle chirurgie ?

L’aspect social est surtout impor­tant pour les patients qui ont eu une laryn­gec­tomie totale, parce que le patient ne se voit plus comme avant et n’a plus les mêmes inter­ac­tions sociales. C’est ce qui pose le plus de problèmes.

Pour les patients qui ont eu une laryn­gec­tomie par­tielle, une fois que leur entourage s’est habitué à la voix un peu mod­i­fiée, de moins bonne qual­ité, ils peu­vent repren­dre une activ­ité normale.

Ce qui est très dif­fi­cile pour les patients qui ont du mal à manger au début, c’est d’avoir un con­tact social, de partager un repas, alors qu’eux-mêmes ont des dif­fi­cultés pour s’alimenter et met­tent plus de temps. Cela s’arrange avec le temps.

Quelles sont les séquelles suite à une chirurgie laryngée ?

La tra­chéo­tomie défini­tive de la laryn­gec­tomie totale est une séquelle défini­tive. Le patient aura ce trou à vie. Nous tra­vail­lons à le cacher, le pro­téger (avec un fil­tre pour pro­téger les voies respiratoires). 

Il y a aus­si les séquelles au niveau de la voix dès lors que l’on touche à une corde vocale et que l’on enlève un lig­a­ment vocal.

En cas de chirurgie gan­glion­naire, il peut y avoir des dif­fi­cultés de mobil­ité des bras et des épaules.

Le vis­age n’est pas touché par des séquelles.

Les cica­tri­ces sont exclu­sive­ment dans le cou et peu­vent être cam­ou­flées, grâce à un foulard par exemple.

Quels sont les soins de rééducation à faire après une telle intervention ?

La réé­d­u­ca­tion se fait à l’aide d’un ortho­phon­iste et con­cerne la phona­tion et la déglutition.

Il fau­dra donc à la fois utilis­er la voix au mieux et tra­vailler la res­pi­ra­tion. En par­al­lèle, ou dans un sec­ond temps, il fau­dra tra­vailler la dég­lu­ti­tion (appren­dre des posi­tions et des tex­tures qui facili­tent l’alimentation).

L’idéal est de faire une ou deux séances par semaine pour voir des pro­grès. La durée totale est très vari­able en fonc­tion des patients et des types de chirurgie.

Après une chirurgie laryngée, les risques de fausse route sont-ils plus importants ?

Oui, à par­tir du moment où le lar­ynx est mod­i­fié il existe un risque de fausse route chez les patients qui ont eu une laryn­gec­tomie par­tielle par voie endo­scopique ou externe. C’est aus­si à ça que sert la réé­d­u­ca­tion avec un ortho­phon­iste en ayant une aspi­ra­tion disponible pour que le patient puisse tou­ss­er et élim­in­er les ali­ments passés dans les voies res­pi­ra­toires. Il y a des pré­cau­tions à pren­dre avant de faire une réé­d­u­ca­tion très active, avec des liq­uides notamment.

Par con­tre, ce risque n’existe plus s’il y a eu une laryn­gec­tomie totale puisque la res­pi­ra­tion et la dég­lu­ti­tion sont séparées.

Qu’est-ce que la voix œsophagienne ? Dans quel cas y a‑t-on recours ? Est-ce que cette voix œsophagienne est accessible à tous les opérés du larynx ?

La voix œsophagi­en­ne est réservée aux patients qui ont eu une laryn­gec­tomie totale. C’est une voix qu’on obtient en rotant. Elle vient de l’estomac. Chez les patients qui arrivent à rot­er tous seuls, ils ava­lent de l’air et le ressor­tent en parlant. 

Cette voix œsophagi­en­ne est une réé­d­u­ca­tion qui per­met aux patients qui ont eu une laryn­gec­tomie totale de repar­ler sans aucun arti­fice extérieur. Elle n’est pas du tout néces­saire pour les autres types de patients.

Elle peut don­ner de très bons résul­tats, cer­tains patients arrivent très bien à avoir une con­ver­sa­tion en voix œsophagienne.

C’est beau­coup de tra­vail pour obtenir une voix œsophagi­en­ne de qualité.

Quels sont les différents types d’appareillages suite à une chirurgie laryngée ?

L’appareillage se dis­cute pra­tique­ment exclu­sive­ment pour les patients ayant béné­fi­cié d’une laryn­gec­tomie totale. Les autres peu­vent par­ler sans artifices.

Il y a plusieurs techniques : 

  • la voix œsophagienne
  • la pro­thèse phonatoire
  • le laryn­go­phone

La prothèse phonatoire

Il s’agit d’une inter­face placée entre la tra­chée et l’œsophage. Elle per­met de faire remon­ter l’air depuis les voies res­pi­ra­toires jusque dans la bouche. En fait, nous réal­isons un petit « court-cir­cuit » avec une valve qui va per­me­t­tre aux patients, en appuyant sur leur can­ule de tra­chéos­tomie, de repar­ler. Cela per­met d’avoir une voix de très bonne qual­ité, assez flu­ide, de manière à inter­a­gir facile­ment avec l’extérieur. Le souci, c’est que l’on rajoute une pro­thèse extérieure avec ses petites com­pli­ca­tions par­fois inhérentes à celle-ci (fuites, pro­thèse qui se bouche…). 

Elle per­met d’obtenir un excel­lent résul­tat au niveau de la qual­ité. Il faut absol­u­ment la pro­pos­er au patient si :

  • il est deman­deur de récupér­er très vite une voix de bonne qualité ;
  • la voix œsophagi­en­ne ne fonc­tionne pas.

Il y a aus­si des équipes médi­cales plus favor­ables à plac­er une pro­thèse phona­toire en pre­mière inten­tion à tous les patients. D’autres qui sont un peu plus réti­centes. C’est un choix qui doit se faire avec le patient.

Le laryngophone

Il existe un dernier type d’appareil (en général moins sym­pa­thique en ter­mes de qual­ité de voix, mais qui peut ren­dre ser­vice dans cer­taines sit­u­a­tions) qui est sou­vent un dernier recours. Il s’agit d’un laryn­go­phone. C’est une sorte d’appareil que l’on place sur le cou et qui donne au patient une voix de robot. Il est util­isé chez les patients qui n’ont pas de voix œsophagi­en­ne spon­tanée et chez ceux qui ne veu­lent pas ou n’ont pas sup­porté la pro­thèse phona­toire. Ces patients vont pou­voir par­ler grâce à cet appareil, mais avec une voix robotisée.

C’est comme un appareil élec­trique (cela ressem­ble un peu à un rasoir, mais qui évidem­ment n’envoie pas d’électricité) qui se pose sur le cou et qui trans­met les efforts de phona­tion du patient pour don­ner une voix particulière.

Ces appareil­lages sont inté­grale­ment pris en charge par la sécu­rité sociale.

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