« Les soins de support font partie intégrante du traitement »
De la gestion de la fatigue et de la douleur en passant par les difficultés sociales ou l’image corporelle, les soins de support constituent une arme majeure dans la prise en charge du cancer. Explications avec le Dr Florian Scotté*.
Comment définir les soins de support ?
Les soins oncologiques de support sont destinés à aider les patients à gérer les signes et symptômes de la maladie, mais aussi les effets indésirables des traitements. Ils regroupent l’ensemble des soins et soutiens nécessaires aux personnes malades, et à leurs aidants, tout au long du parcours de soins, du diagnostic à l’après traitement, que la maladie soit localisée (curable) ou non. L’objectif est de permettre à chaque patient d’avoir la meilleure qualité de vie possible sur le plan physique, psychologique et social, grâce à une approche personnalisée. Ils font partie intégrante de la prise en charge du cancer.
On parle aujourd’hui du « panier de soins de support » : de quoi s’agit-il ?
Proposé par l’Inca (institut national du cancer) en 2017, il s’agit du socle de base des quatre soins de support que l’on doit proposer au patient : la prise en charge de la douleur, des problèmes nutritionnels, des difficultés psychologiques, sociales, familiales et professionnelles. Viennent en renfort cinq soins de support complémentaires et deux techniques pour lutter contre la douleur : l’activité physique, les conseils d’hygiène de vie, le soutien psychologique des proches et des aidants, la préservation de la fertilité quand elle est possible, la prise en charge des troubles de la sexualité, l’hypno-analgésie et l’analgésie intrathécale. Dans l’année qui suit la fin des traitements, il existe aussi le « Parcours global de l’après-cancer ». Sur prescription médicale, ce dispositif comprend un bilan fonctionnel et motivationnel d’activité physique, un bilan et/ou des consultations diététiques ainsi qu’un bilan et/ou des consultations psychologiques.
Où peut-on trouver ces soins de support ?
Ces soins peuvent être réalisés au sein de l’hôpital, de la clinique ou du centre de lutte contre le cancer dans lequel le patient est pris en charge, mais aussi auprès de professionnels de ville, exerçant en libéral, dans des structures dédiées ou dans des associations. Leur choix et leur programmation seront faits en concertation entre le patient et son équipe soignante, et seulement avec son accord.
Sont-ils gratuits ?
L’objectif des hôpitaux est un reste à charge zéro pour le patient. En ville, tout dépend des pratiques des structures et des associations : il arrive que des dépassements soient pratiqués. Il faut donc se renseigner. La prise en charge de certains de ces soins par l’Assurance Maladie est possible. De plus, certaines complémentaires santé (mutuelle, assurance) peuvent également proposer un remboursement partiel ou total. Rappelons également qu’un forfait a été débloqué pour 7 consultations de psychologue prises en charge par la sécurité sociale. Un forfait « après cancer » a également été mis en place afin de permettre un accompagnement notamment d’activité physique adaptée, ou d’accompagnement nutritionnel, prescrits par le médecin.
Concrètement, à quel moment les patients y‑ont-ils accès ?
A tout moment de leur prise en charge. Du diagnostic de la maladie ou de la récidive, pendant le traitement en cas de problème de tolérance ou d’évolution particulière, à la fin des traitements. A chaque étape, nous devons évaluer les besoins des patients, leur présenter les soins de support et trouver les ressources et des compétences supplémentaires au sein des établissements de santé ainsi qu’en ville. Nous avons encore trop tendance à réagir quand le patient a perdu 10 kilos, n’a pas le moral ou des problèmes de retour à l’emploi… Il faut absolument intervenir plus précocement, repérer les personnes les plus à risques pour pouvoir anticiper ces dégradations.
Peut-on établir un lien entre les soins de support et l’efficacité des traitements ?
Des études tendent à le mettre en évidence. Par exemple, l’étude CAPRI menée à Gustave Roussy démontre qu’un accompagnement digital ou téléphonique des patients suivant un traitement oral et encadré par une infirmière de coordination améliore la qualité de vie, la dose « intensité relative » à laquelle le traitement est efficace, diminue les toxicités et le recours aux urgences. De son côté, l’étude STAR d’Ethan Basch, basée sur un recours anticipé et facilité à des soins de support, suivant le même modèle que CAPRI, montre en plus que cela améliore la survie des patients.
Voit-on émerger de nouveaux soins de support actuellement ?
Plus que de nouveaux soins de support, on constate des évolutions. Par exemple, dans le traitement de la lutte contre la douleur, la photobiomodulation (luminothérapie), du laser basse fréquence, répare les muqueuses abimées par les traitements. On l’utilise en radiothérapie, pour les mucites, les neuropathies périphériques, les cicatrices, la sécheresse vaginale… L’injection intrathécale, un traitement administré au niveau de la colonne vertébrale, améliore le soulagement et limite les prises de médicaments par la bouche ou par voie intraveineuse, lorsque les douleurs sont difficiles à contrôler. Autre progrès, la préhabilitation/réhabilitation, qui consiste à remettre le patient en condition avant de démarrer le traitement ou après ce dernier. Selon la situation, on propose un accompagnement psychologique, un suivi contre les addictions (tabac, alcool, …), des conseils hygiéno-diététiques, pour que le traitement soit mieux toléré et que le patient retrouve ainsi plus facilement ses capacités et sa place dans la société.
En 2023, quels sont les enjeux des soins de support ?
Il faut renforcer la présence du socle soins de support et les démarches d’évaluation des patients dans le cadre d’un parcours structuré et balisé. Une circulaire de 2022 oblige les établissements à passer de l’intention à l’obligation d’avoir une organisation identifiée des soins de support. Si ce n’est pas le cas, l’accréditation d’exercer la cancérologie pourra leur être retirée. Ce devrait être contrôlé par des audits. Important également, développer et financer la santé digitale et, ce qui est indissociable, valoriser le rôle des infirmières de pratique avancée et de coordination. Ces dernières sont indispensables pour coordonner les soins entre la ville et l’hôpital et fluidifier les parcours patients (prise de rendez-vous, bonne coordination entre les acteurs, notamment le médecin référent, le pharmacien, les infirmières… et le suivi digital). Depuis le confinement, les applis se développent de plus en plus : d’un côté, le « compagnon digital » du patient permet de partager des informations sur ses symptômes, son observance thérapeutique, de l’autre, des professionnels suivent ces données et réagissent en fonction des alertes. En plus d’améliorer la qualité de vie des patients et l’observance thérapeutique, cela réduit les passages aux urgences. Le retour des patients est excellent. Ça les rassure, ils se sentent en confiance, écoutés et accompagnés. C’est déjà en place à Gustave Roussy à Villejuif, à l’institut Curie à Paris, à l’hôpital Foch à Suresnes, au centre hospitalier de Valenciennes ou encore au centre hospitalier de la Côte basque, à Bayonne. L’objectif est de pouvoir le proposer à tous les patients qui disposent d’outils digitaux.
Les patients sont davantage « acteurs » de leur prise en charge ?
Oui, en étant pro-actifs, ils deviennent aussi plus autonomes. Grâce aux auto-questionnaires qu’ils remplissent en ligne, les “Patient reported outcomes” (PRos), on mesure de manière précoce leur perception de leur état de santé, leurs symptômes, leur moral, leur qualité de vie… Tout ne pouvant pas être dit pendant une consultation, c’est une grande aide pour nous, pour anticiper, améliorer leur prise en charge, optimiser les traitements et ainsi leur pronostic.
L’oncologie intégrative est donc en train de trouver sa place en France ?
En France, les centres Léon Bérard, Bergonié, Claudius Regaud, Curie et l’AP-HP ont lancé des programmes de thérapie intégrative, qu’il s’agisse d’ateliers de jardinage, de sport, d’art thérapie, des consultations d’ostéopathie, d’acupuncture, de nutrition… A Gustave Roussy, une structure dédiée a ouvert ses portes, avec le parcours GR. Après évaluation, on proposera au patient des activités complémentaires aux thérapeutiques, avec l’appui du digital pour ceux qui sont équipés. Cela permet d’avoir un suivi très régulier, de pouvoir intervenir de façon anticipée et à terme, de pouvoir prédire le risque de complication chez telle ou telle personne, et donc d’anticiper en adaptant les traitements. Notre mission va bien au-delà des traitements. C’est le message essentiel de la MASCC (association internationale de soins de support): « Supportive Care Makes Excellent Cancer Care Possible », à savoir : « les soins de soutien rendent possibles d’excellents soins contre le cancer », ce qui est relayé par l’AFSOS (association cette fois francophone).
Tout cela n’est possible qu’à condition qu’y ait un véritable dialogue entre le patient et son soignant, ce qui n’est pas toujours évident ?
Tout à fait. Nous nous efforçons d’impliquer le patient dans ses choix thérapeutiques car l’on sait qu’un patient avec lequel on n’échange pas d’explications, dont on ne prend pas les freins en compte, sera moins adhérent au traitement et qu’il y aura une perte de confiance. C’est à ce moment-là qu’il y a des risques de dérives sectaires, vers des personnes qui vont les écouter, leur faire miroiter de bons résultats et les embrigader dans une voie potentiellement dangereuse. Il faut être très vigilant par rapport aux nombreuses pratiques complémentaires non médicamenteuses, non évaluées. Et protéger les patients, notamment avec les référentiels de l’AFSOS**, qui évaluent les pratiques complémentaires et permettent de les orienter vers une juste prescription.
Propos recueillis par Céline Dufranc
*président de la Mutinational Association for Supportive Care in Cancer (MASCC), chef du département interdisciplinaire d’organisation des parcours patients (DIOPP) de Gustave Roussy et vice-président de l’association francophone pour les soins oncologiques de support (AFSOS).
**Association Francophone pour les Soins Oncologiques de Support (www.afsos.org)
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DES LIEUX POUR PRENDRE SOIN DE SOI
Des lieux d’accueil, situés dans les établissements de soins ou en ville, ou des associations, proposent un large éventail de soins de support au cours de séance individuelle ou collective, gratuites pour la plupart, ou sous réserve d’une adhésion à l’association : soutien psychologique, activité physique adaptée, conseil en diététique, socio-esthétique, conseil en image, jardin thérapeutique, accompagnement au retour à l’emploi… Animés par des professionnels et/ou des bénévoles, ces endroits mettent du baume au corps et à l’âme.
Espace Soins et vie Martine Midy, hôpital Avicennes — Bobigny
Maisons RoseUp — Paris & Bordeaux
M@ maison roseup
Centres Ressource — Lyon, Marseille, Saint-Avold, Montélimar, Aix-en-Provence, Reims, Lafrançaise
L’atelier Fondation Cognacq-Jay à Paris
Hôpital Forcilles, Férolles-Attilly, en Seine-et-Marne-Marne
Ligue contre le cancer : les 103 comités répartis sur tout le territoire proposent des soins de support (soins esthétiques, relaxation, musicothérapie, sonothérapie, nutrition, activité physique adaptée, art-thérapie, yoga, méditation…) et un accompagnement social ou psychologique.
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POUR VOUS AIDER
LAVIEAUTOUR.FR : proposée par l’AFSOS (association francophone des soins oncologiques de support),cette carte de France interactive permet de localiser les soins de support non médicamenteux et les associations près de chez vous.
My Charlotte : créé par une ancienne patiente, un programme de soins de support à base d’exercices en vidéo ou audio, pour retrouver chaque jour un peu plus de mieux-être.
Pour les Aidants :
J’aide, je m’évalue : un outil d’évaluation et de prévention du risque d’épuisement créé par la Fondation France Répit.
Bulle d’aide : le média des aidants