Ce sont, de très loin, les cancers les plus fréquents au niveau des voies aérodigestives supérieures. Les carcinomes épidermoïdes se développent à partir des muqueuses, de la bouche, des fosses nasales, des sinus, du pharynx et du larynx. Causes, évolution, traitements… Le point sur ces cancers avec le Dr Caroline Even, responsable de l’unité d’oncologie médicale ORL au centre Gustave-Roussy et coordinatrice du REFCOR (Réseau d’Expertise Français sur les Cancers ORL).
Qu’est-ce qu’un carcinome épidermoïde ?
Il s’agit d’un type particulier de cancer, qui se développe à partir des cellules des muqueuses : « Ces tissus de revêtement sont l’équivalent de la peau, mais à l’intérieur du corps », explique le Dr Caroline Even. C’est la raison pour laquelle des carcinomes épidermoïdes peuvent se retrouver à différents endroits de l’organisme, comme dans l’œsophage, dans les poumons, sur le col de l’utérus, etc. « Ce type histologique n’est pas spécifique à une localisation, mais dépend du type de tissu qui se cancérise. »
Au niveau du nez, de la bouche et la gorge, les carcinomes épidermoïdes représentent les cancers les plus fréquents, soit 95 % des tumeurs cancéreuses. Bien que touchant des tissus de revêtement, ce cancer ne reste pas toujours superficiel. Quand il se cantonne à la partie la plus superficielle de la muqueuse, l’épithélium (équivalent de l’épiderme dans la peau), on parle de carcinome in situ. Cet épithélium est séparé des structures qu’il tapisse par une membrane appelée « membrane basale ». Quand les cellules cancéreuses de l’épithélium détruisent cette membrane basale et envahissent les tissus sous-jacents, on parle alors de carcinome épidermoïde invasif.
« Au niveau de la bouche et la gorge, les carcinomes épidermoïdes représentent les cancers les plus fréquents, soit 95 % des tumeurs cancéreuses »
Où se développent principalement les carcinomes épidermoïdes ORL ?
« Les plus fréquents se retrouvent dans la cavité buccale — intérieur des lèvres, joues, palais, plancher de la bouche, langue mobile -, l’oropharynx — partie du pharynx en arrière de la bouche -, l’hypopharynx — juste en dessous de l’oropharynx et au-dessus de l’œsophage — et le larynx — qui mène aux poumons et comprend les cordes vocales — », répond le Dr Even.
Cependant, les autres localisations des voies aérodigestives supérieures peuvent aussi être touchées, bien que plus rarement. C’est le cas par exemple des sinus maxillaires, du cavum et des fosses nasales.
Quelles sont les causes de ces cancers ?
On note deux grands facteurs de risques principaux : « Le tabac tout d’abord, avec une potentialisation par l’alcool, qui démultiplie le risque en cas de double consommation. » La combinaison tabac + alcool augmente fortement le risque de développer un cancer à tous les niveaux des voies aérodigestives supérieures, hormis pour les sinus et les fosses nasales où ce risque est suspecté mais non avéré.
« Les papillomavirus humains ou HPV, les mêmes que l’on retrouve au niveau du col de l’utérus, constituent le troisième grand facteur de risque. Cette cause est particulièrement observée dans les cancers de l’oropharynx, au niveau des amygdales et de la base de la langue essentiellement », complète la spécialiste en oncologie médicale.
Ces cancers connaissent-ils une évolution particulière ?
« Les carcinomes épidermoïdes n’ont pas une évolution particulièrement rapide. Comme pour tous les cancers, certaines tumeurs vont être plus indolentes et d’autres plus agressives », développe le Dr Caroline Even. Ils présentent des risques de métastases à distance (principalement pulmonaires), mais pas davantage que n’importe quel autre cancer. Ce risque de métastases dépend notamment du stade initial auquel est dépisté le cancer et de l’envahissement ganglionnaire.
En revanche, le risque de rechute loco-régionale est plus fréquent : « Il peut s’agir par exemple d’une récidive très proche de la tumeur initiale, soit dans le champ d’irradiation, soit à la limite du champ de la chirurgie. »
Autre point particulier des carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou, quand ceux-ci sont liés à une exposition au tabac et à l’alcool : « Le risque de développer un second cancer ORL est particulièrement élevé, parfois à distance de la localisation initiale, parfois des années plus tard, en raison de l’infuence néfaste de l’intoxication alcoolo-tabagique sur toutes les muqueuses ». Ce risque de second cancer persiste même après l’arrêt de l’exposition, imposant un suivi très rapproché dans les années qui suivent les traitements de la tumeur initiale (tous les 2 à 3 mois pendant 2 ans, puis la surveillance s’espace).
« Dans le cas des tumeurs liées au tabac et à l’alcool, le risque de développer un second cancer ORL est particulièrement élevé »
Comment reconnaître un carcinome épidermoïde ?
Un carcinome épidermoïde se manifeste de manière différente selon sa localisation.
- Dans la bouche ou dans le pharynx (communément appelé la gorge), les signes les plus précoces sont généralement l’apparition d’une masse ou d’une ulcération (faisant penser à un aphte). La tumeur est généralement douloureuse et peut ainsi provoquer des douleurs lors de la déglutition ou à la palpation.
- Au niveau des fosses nasales, des sinus ou du nasopharynx, un nez bouché, qui coule, qui saigne, de manière unilatérale est le symptôme le plus fréquent.
- Une modification du timbre de voix peut être le signe d’une tumeur au niveau du larynx.
- Enfin, des difficultés à avaler sont ressenties quand des tumeurs se développent dans les voies digestives hautes (cavité buccale, pharynx).
- En cas d’atteinte ganglionnaire, une masse au niveau du cou peut aussi apparaître.
La présence d’un ou de plusieurs de ces symptômes doit conduire à une consultation avec un spécialiste ORL, qui observera la tumeur : soit à l’œil nu si elle est facile d’accès, soit à l’aide d’un naso-fibroscope si elle est plus profonde. Une biopsie est nécessaire pour caractériser précisément le diagnostic de carcinome épidermoïde. Elle est réalisée « au fauteuil » sous anesthésie locale si la tumeur est proche de la cavité buccale ou de la cavité nasale, ou sous anesthésie générale dans les autres cas.
Une panendoscopie (examen de l’ensemble des voies aérodigestives supérieures à l’aide de caméras) est également réalisée, dans le but de pouvoir faire des biopsies, de de déterminer précisément les limites de la tumeur et de rechercher un éventuel cancer secondaire.
« Un carcinome épidermoïde se manifeste de manière différente selon sa localisation »
Cet examen est complété par un bilan d’imagerie comprenant scanner, IRM et TEP-scanner (scintigraphie après injection d’un produit qui permet de détecter des cellules cancéreuses). L’objectif est de voir précisément l’extension loco-régionale et éventuellement à distance du carcinome épidermoïde.
Comment sont soignés ces carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou ?
Chaque protocole de traitement est décidé au cas par cas par un ensemble de spécialistes, au cours d’une réunion de concertation pluridisciplinaire.
« Dans les grandes lignes, un carcinome épidermoïde à un stade précoce peut être soigné soit par chirurgie, soit par radiothérapie, selon sa localisation. À un stade localement plus avancé mais toujours cantonné à la gorge et au cou, nous proposons généralement un traitement multimodal à visée curative, qui va combiner soit une chirurgie et une radiothérapie, soit une radiothérapie et une chimiothérapie », conclut le Dr Even. Ce dernier cas de figure peut être envisagé dans le cadre de tumeurs pour lesquelles les séquelles d’un traitement chirurgical seraient trop lourdes.
Pour les fumeurs, l’arrêt du tabac fait partie intégrante de la prise en charge : en plus de diminuer le risque de récidive et de second cancer, ce sevrage améliore la tolérance et l’efficacité des traitements.
Propos recueillis par Violaine Badie