Les troubles de la déglutition, également appelés dysphagies, affectent une grande partie des patients traités pour un cancer des voies aérodigestives supérieures, de manière temporaire ou définitive. Découvrez leurs causes et les solutions possibles, avec le Pr Virginie Woisard-Bassols, ORL et phoniatre au CHU de Toulouse, spécialisée dans l’onco-réhabilitation.
Qu’est-ce qu’un trouble de la déglutition ?
« Les troubles de la déglutition renvoient à une difficulté à avaler, soit à transporter les aliments de la bouche jusqu’à l’estomac. Dans le cadre de personnes soignées pour un cancer ORL, on prend en compte les difficultés à transporter le bol alimentaire depuis la bouche jusqu’à l’œsophage précisément », répond le Pr Woisard-Bassols.
Plus largement, les troubles de la déglutition couvrent les problèmes :
- de préparation du bol alimentaire (mastication, salivation, etc.) ;
- de transport de ce bol alimentaire ;
- de fausses routes (passage des aliments vers le larynx et les bronches).
« Le terme de dysphagie est souvent employé comme synonyme de trouble de la déglutition. Il existe quelques nuances dans la définition. On précisera par exemple s’il s’agit d’une dysphagie oro-pharyngée ou œsophagienne », explique l’ORL et phoniatre.
« Les troubles de la déglutition couvrent les problèmes de préparation du bol alimentaire, de transport de ce bol alimentaire et de fausses routes. »
Quelles peuvent en être les causes ?
Ces troubles de la déglutition sont causés par la tumeur et ses traitements, en fonction de son infiltration, sa localisation. En effet, de nombreuses structures anatomiques à proximité peuvent être affectées par les traitements mis en place pour soigner le cancer. « Dans la sphère ORL, les différentes structures anatomiques comme les muscles et les nerfs assurant le bon fonctionnement d’organes tels que le larynx, la langue, la mâchoire et les dents, le palais et revêtent donc des fonctions essentielles. Les traitements laissent potentiellement des séquelles, liés à une perte d’efficacité de ces structures », développe le Pr Virginie Woisard-Bassols.
Conséquences possibles de la chirurgie
« Selon la localisation de la tumeur, même dans les cas où elle n’est pas très grosse, il faut parfois sectionner des nerfs pour la réséquer », illustre la spécialiste. C’est le cas notamment avec les atteintes du nerf facial lors de chirurgies de la glande salivaire parotide. Il est assez facile de visualiser comment l’atteinte de nerfs qui innervent des muscles moteurs (langue, muscles de la mâchoire) impacte négativement la déglutition en raison des paralysies provoquées.
C’est également le cas lors de lésions de la dixième paire de nerfs crâniens, qui passe au niveau du cou et innerve le pharynx, le larynx et l’œsophage. « Les nerfs peuvent être sectionnés lors d’un curage ganglionnaire cervical », détaille la spécialiste ORL. « Les lésions altèrent une partie de la déglutition dont on a moins conscience. En effet, ces nerfs permettent de bien fermer le larynx au moment d’avaler, pour éviter les fausses routes vers les poumons, tout en ouvrant l’entrée de l’œsophage. »
Les effets potentiels de la radiothérapie
« La radiothérapie impacte de manière moins immédiate que la chirurgie, mais au final elle peut aboutir aux mêmes séquelles », poursuit la phoniatre Pr Woisard-Bassols. « Les patients soignés par radiothérapie connaissent des effets aigus, qui apparaissent rapidement puis s’améliorent également rapidement, en quelques semaines après l’arrêt des rayons. Une amélioration, plus lente cette fois, est encore possible pendant 2 à 3 ans. »
Les tissus irradiés subissent des modifications qui impactent leur vieillissement. Ils deviennent plus rigides, on parle alors de sclérose. La radiothérapie a également tendance à affaiblir les nerfs et les muscles et à obstruer les vaisseaux. Par conséquence, une limitation de l’amplitude de l’ouverture de la bouche peut par exemple s’observer (lien vers article trismus) ou encore une perte d’efficacité des nerfs contrôlant les mouvements de la langue, du voile du palais, du larynx, etc.
Au niveau de l’entrée de l’œsophage, les rayons peuvent conduire à une sténose, soit à un rétrécissement, compliquant le passage des aliments.
Enfin, les glandes salivaires peuvent être détériorées par des séances de radiothérapie. Résultat : les patients connaissent des problèmes de salivation, allant d’un manque de salive ou hyposialie à une salive modifiée. Trop épaisse ou trop liquide, elle ne joue plus correctement son rôle dans la préparation des aliments mastiqués, destinés à être avalés.
Point important à connaître : il arrive que des tissus ayant été irradiés se détériorent parfois des années après la fin des séances. « La situation peut se dégrader du fait d’effets tardifs de la radiothérapie », met en garde l’experte. « Face à une dégradation de la déglutition, même 10 ans après la fin des rayons, il ne faut pas hésiter à consulter et surtout à mentionner le fait que vous avez été irradié. »
« Face à une dégradation de la déglutition, même 10 ans après la fin des rayons, il ne faut pas hésiter à consulter et surtout à mentionner le fait que vous avez été irradié. »
Les troubles de la déglutition sont-ils des complications fréquentes ?
Malheureusement oui, puisque plus de 80 % des patients touchés par un cancer ORL connaîtront des troubles de la déglutition, parfois transitoires, parfois définitifs. Leur sévérité varie grandement selon la tumeur initiale et les traitements employés pour la soigner.
Quand faut-il consulter ?
Dans le cadre d’un suivi initial pour un cancer de la sphère ORL, les équipes médicales proposent autant que possible des accompagnements personnalisés. Même à distance des traitements, il peut s’avérer nécessaire de demander un avis, d’abord en s’adressant à son médecin traitant, puis en sollicitant l’expertise d’un spécialiste en oncologie (plus particulièrement pour les patients ayant été irradiés).
De toute évidence, la simple sensation que la déglutition devient plus difficile est une raison suffisante pour demander l’avis d’un professionnel de santé qualifié. D’autres symptômes, moins évidents, sont à surveiller et constituent un motif de consultation, même plusieurs années après la fin des traitements. Le Pr Woisard-Bassols cite :
- une perte de poids inexpliquée ;
- une fatigue générale ;
- des infections pulmonaires ;
- des fausses routes ;
Ces symptômes peuvent être le signe d’un trouble de la déglutition non perçu. Par exemple, certaines atteintes nerveuses sensitives ont pour effet de faire perdre la capacité à tousser en cas de fausses routes, favorisant les infections pulmonaires. En outre, une perte d’efficacité des muscles de la région peut expliquer que les repas deviennent de plus en plus longs et fatigants, se traduisant par une alimentation insuffisante et des conséquences sur la santé générale.
« La simple sensation que la déglutition devient plus difficile est une raison suffisante pour demander l’avis d’un professionnel de santé qualifié. D’autres symptômes, moins évidents, sont aussi à surveiller. »
Quels traitements face à des dysphagies ?
La prise en soin dépend bien évidemment de la cause des troubles, ainsi que de leur sévérité.
« Pour les problèmes de salive persistants, nous n’avons malheureusement pas de solution très efficace. Il est possible de tester quelques médicaments, des techniques de massage, d’employer des lubrifiants… Nous arrivons généralement à obtenir une amélioration mais sans revenir à l’état initial. Si les troubles s’avèrent définitifs, la solution sera d’adapter l’alimentation ou d’utiliser des gels hydratants ou lubrifiants pour palier ces défauts de la salivation », explique l’ORL phoniatre.
Une rééducation peut être proposée, accompagnée par un orthophoniste et/ou un kinésithérapeute. Il existe notamment des techniques de massages et des exercices de mobilisation destinés à améliorer les différentes phases de la déglutition.
Quelques prises en charge médicales sont possibles, au cas par cas :
- des injections de toxine botulique pour éliminer des tensions musculaires ou des spasmes ;
- des injections de produits volumateurs pour combler un manque de contact entre les structures ;
- des gestes de dilatation en cas de sténose à l’entrée de l’œsophage ;
- des corrections chirurgicales ;
- etc.
Un suivi avec un diététicien-nutritionniste est systématiquement proposé. L’objectif ? « Arriver à un état nutritionnel suffisant pour assurer un bon état de forme et une bonne qualité de vie ». Le diététicien-nutritionniste peut suggérer la prise de compléments nutritionnels, des adaptations alimentaires (emploi de lubrifiants, modification de textures pour épaissir ou fluidifier selon les besoins), etc.
La pose d’une gastrostomie (alimentation à l’aide d’un tube relié directement à l’estomac) peut faire partie de l’arsenal thérapeutique. « Il ne faut surtout pas le considérer comme un échec », insiste l’ORL et phoniatre. « La gastrostomie peut être transitoire, dans un premier temps pour que le patient réapprenne à manger par lui-même. Elle peut aussi être mixte, c’est-à-dire complémentaire à une alimentation normale. Il peut s’agir d’une aide précieuse pour faciliter la vie des patients qui mettent beaucoup de temps pour manger, se fatiguent énormément lors des repas. Ils peuvent ainsi assurer une alimentation entérale pour couvrir leurs besoins et poursuivre ensuite avec un repas à table avec leurs proches ou au restaurant. »
Découvrir le témoignage de Mathieu, porteur d’une gastrostomie
« Un suivi avec un diététicien-nutritionniste est systématiquement proposé. L’objectif : arriver à un état nutritionnel suffisant pour assurer un bon état de forme et une bonne qualité de vie »
Le maintien d’une activité physique demeure fondamental pour les patients souffrants de dysphagies. « Il est prouvé que les personnes ayant tendance à avaler de travers font beaucoup moins de complications pulmonaires si elles bougent. Le mouvement stimule les poumons, qui arrivent à évacuer plus facilement les éléments qui ne devraient pas s’y trouver, comme des aliments », conclut Virginie Woisard-Bassols.
Propos recueillis par Violaine Badie
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