Rhinopoïèse

Rhinopoïèse : comment se déroule une reconstruction totale du nez ?

Pour soign­er cer­tains can­cers des voies aérodi­ges­tives supérieures, selon leur loca­tion et leur ampleur, une ampu­ta­tion totale du nez s’avère par­fois néces­saire. Passée l’étape des traite­ments, une recon­struc­tion chirur­gi­cale est envis­age­able. Étapes, risques éventuels, ren­du… Toutes les infor­ma­tions sur la rhinopoïèse, avec l’expertise du Dr Nadia Ben­mous­sa-Rebi­bo, chirurgi­en­ne dans le ser­vice ORL de l’Insti­tut Gus­tave Roussy.

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L’exérèse d’une tumeur maligne ORL néces­site par­fois de retir­er des vol­umes impor­tants. Quand la tumeur atteint le nez, une ampu­ta­tion est par­fois inex­orable, par­tielle ou totale selon l’étendue de la lésion et des marges chirur­gi­cales car­ci­nologiques néces­saires. Cette inter­ven­tion, bien qu’indispensable pour pren­dre en charge le can­cer, se révèle très dif­fi­cile à vivre. Des solu­tions exis­tent pour amélior­er l’esthétique du vis­age, comme la recon­struc­tion chirurgicale.

Qu’est-ce qu’une rhinopoïèse ?

Le terme de rhinopoïèse fait référence à une répa­ra­tion chirur­gi­cale visant à recon­stru­ire le nez dans sa total­ité. Plusieurs tech­niques peu­vent être employées, qui ont toutes en com­mun de restau­r­er les trois couch­es de tis­sus com­pris­es dans le nez, à savoir la muqueuse interne, le car­ti­lage puis la peau. Les tis­sus des­tinés à cette recon­struc­tion sont prélevés sur le patient lui-même. On par­le de « lambeau ».

« L’objectif d’une rhinopoïèse est avant tout esthé­tique. Il faut savoir que cette recon­struc­tion bouche légère­ment les fos­s­es nasales donc la res­pi­ra­tion devient un peu plus dif­fi­cile », explique la prati­ci­enne spé­cial­isée des Cen­tres de Lutte Con­tre le Can­cer, Dr Ben­mous­sa-Rebi­bo. Quant à la per­cep­tion des odeurs, elle ne sem­ble pas vrai­ment per­tur­bée lors d’une rhinopoïèse. « Si des mod­i­fi­ca­tions sont observées, elles étaient présentes avant, causées notam­ment par la chirurgie et la radio­thérapie au niveau du nez. »

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» Con­sul­tez nos arti­cles sur les trou­bles de l’odorat suite à un can­cer ORL et la réé­d­u­ca­tion olfac­tive.

Qui peut bénéficier d’une rhinopoïèse ?

Tous les patients ayant été amputés du nez suite à un can­cer de la Tête et du Cou peu­vent poten­tielle­ment deman­der cette recon­struc­tion totale. « La chirurgie est très lourde, com­prend beau­coup d’étapes et demande un engage­ment fort de la part des patients. C’est pourquoi la demande doit tou­jours venir d’eux », avise le Dr Ben­mous­sa-Rebi­bo. « Il faut qu’ils soient en bon état général, puisqu’ils doivent être en capac­ité de sup­port­er au moins cinq ou six anesthésies générales. » Il n’existe donc pas de con­tre-indi­ca­tion à pro­pre­ment par­ler, sauf dans des cas extrêmes après de mul­ti­ples recon­struc­tions, où il ne reste mal­heureuse­ment plus assez de tis­sus à prélever.

« Dans notre cen­tre, tous les patients amputés du nez passent d’abord par la case épithèse (pro­thèse du nez, NLDR). Bien évidem­ment tout de suite après l’amputation, tous deman­dent une recon­struc­tion, sou­vent car ils ont une très mau­vaise image des pro­thès­es. Quand ils décou­vrent le ren­du esthé­tique, très réus­si, beau­coup préfèrent s’arrêter là et n’envisagent plus la recon­struc­tion », pour­suit la chirurgi­en­ne ORL. Env­i­ron 20 % seule­ment fran­chissent le cap de la rhinopoïèse.

La chirurgie répara­trice ne pour­ra débuter qu’ 1 an à 1 an et demi après l’arrêt des traite­ments (chirurgie et radio­thérapie), afin de s’assurer qu’il n’y ait pas de récidive du cancer.

Rhinopoïèse vs épithèse : avantages et inconvénients

La rhinopoïèse représente une chirurgie lourde, en plusieurs étapes, mais le résul­tat est défini­tif. Il n’y a plus de pré­cau­tion par­ti­c­ulière à pren­dre une fois les opéra­tions ter­minées. Seuls bémols : une cir­cu­la­tion de l’air réduite à tra­vers les nar­ines qui peut gên­er la res­pi­ra­tion et une esthé­tique dif­férente du nez initial.

L’épithèse est une pro­thèse amovi­ble. Le ren­du esthé­tique sera tou­jours meilleur que celui d’une rhinopoïèse. La res­pi­ra­tion est égale­ment plus con­fort­able. Cepen­dant, il est néces­saire d’enlever la pro­thèse pour dormir ou pour se baign­er, ce qui peut con­stituer une gêne.

» Pour en savoir plus, décou­vrez notre arti­cle sur les épithèses

La recon­struc­tion chirur­gi­cale et la pro­thèse sont toutes deux pris­es en charge à 100 % par l’Assurance mal­adie après un can­cer ORL.

Quelles sont les étapes d’une reconstruction totale du nez ?

Il existe plusieurs tech­niques chirur­gi­cales des­tinées à recon­stru­ire inté­grale­ment un nez. À titre indi­catif, Dr Nadia Ben­mous­sa-Rebi­bo détaille les étapes de cette chirurgie répara­trice telle qu’effectuée à l’Institut Gus­tave Roussy (IGR) :

  • étape 1. Il s’agit de la recon­struc­tion de la muqueuse interne du nez avec un lam­beau libre antébrachial radi­al. Une zone de peau très fine est prélevée sur la face interne de l’avant-bras, accom­pa­g­née des vais­seaux qui l’alimentent (on par­le de pédicule, soit l’ensemble veine + artère). Le lam­beau est dit « libre » car il est entière­ment détaché de la zone de prélève­ment pour être déposé au niveau du nez. Les vais­seaux sont ensuite rac­cordés à des vais­seaux du cou via un tun­nel créé sous la peau. Durant cette étape, il est par­fois pos­si­ble de débuter la recon­struc­tion de l’armature du nez, en prél­e­vant un peu de car­ti­lage au niveau des côtes.
  • étape 2. Elle com­prend deux parties : 
    • un prélève­ment de car­ti­lage au niveau d’une côte ou de l’oreille pour pour­suiv­re ou débuter la recon­struc­tion de l’armature du nez ;
    • le prélève­ment d’un lam­beau con­sti­tué de peau et de mus­cle au niveau du front (dit lam­beau frontal) pour con­stituer la peau externe du nez. La peau est ain­si déplacée mais les vais­seaux asso­ciés restent pour l’instant en place. Ils passent alors devant le champ visuel en atten­dant les prochaines interventions.
  • étape 3. Elle con­siste à dégraiss­er le lam­beau frontal déposé sur le nez, afin de l’affiner. Le pédicule reste encore en place.
  • étape 4. Le pédicule du lam­beau frontal qui gênait la vision est coupé.
  • étape 5 à 8. Des retouch­es sont effec­tuées pour amélior­er l’esthétique du nez et élargir les nar­ines afin de faciliter le pas­sage de l’air et la respiration.

Bien évidem­ment, les étapes de la recon­struc­tion s’adaptent au cas par cas. « Selon ce qui doit être recon­stru­it, nous pou­vons être amenés à en ajouter ou à en sup­primer », com­plète le Dr Ben­mous­sa-Rebi­bo. Par exem­ple, si le front n’est pas assez large pour prélever un lam­beau, un expandeur peut être mis en place avant l’étape 2 décrite ci-dessus. Un bal­lon (vide au départ) est placé sous la peau puis rem­pli pro­gres­sive­ment de sérum phys­i­ologique afin d’obtenir le gain de peau nécessaire. 

Il faut compter au min­i­mum 6 mois entre la pre­mière inter­ven­tion et la dernière. Ce délai peut être allongé selon le temps néces­saire à une bonne cica­tri­sa­tion entre chaque étape, ou si une étape doit être répétée en cas de complication.

» Plus de détails sur les étapes chirur­gi­cales de la rhinopoïèse, à lire sur le livret rédigé par le Dr Ben­mous­sa-Rebi­bo sur le site de l’Institut Gus­tave Roussy.

Quelles sont les complications possibles ?

Comme tout acte chirur­gi­cal, des com­pli­ca­tions peu­vent sur­venir. La plus fréquente est l’infection, traitée par antibio­thérapie. Des trou­bles de la cica­tri­sa­tion néces­si­tent par­fois de pro­longer l’hospitalisation post-chirur­gi­cale ou de procéder à des retouch­es. Enfin, il peut arriv­er qu’un cail­lot san­guin bouche les vais­seaux qui ali­mentent les lam­beaux, entraî­nant une nécrose totale ou par­tielle de la peau. Une chirurgie sup­plé­men­taire est alors néces­saire pour retir­er les zones nécrosées. Si tout le lam­beau doit être retiré, il fau­dra en prélever un nouveau. 

« Les com­pli­ca­tions sont sur­veil­lées entre chaque étape chirur­gi­cale. Si un prob­lème appa­raît, nous ne pas­sons pas à l’étape suiv­ante tant que tout n’est pas ren­tré dans l’ordre », sig­nale la chirurgi­en­ne de l’IGR. « Une fois la recon­struc­tion achevée, il peut y avoir des évo­lu­tions défa­vor­ables, mais cela reste très rare. C’est le cas notam­ment en cas d’infection du car­ti­lage. La recon­struc­tion peut être com­pro­mise mais ces cas s’observent dans les suites immé­di­ates de la chirurgie. Une fois la rhinopoïèse ter­minée et à dis­tance des inter­ven­tions, le résul­tat est générale­ment définitif. »

Et après, à quel rendu s’attendre ?

Le ren­du final ne sera jamais exacte­ment le même que le nez d’origine. Dr Ben­mous­sa-Rebi­bo développe : « Per­son­nelle­ment, je mon­tre tou­jours des pho­tos à mes patients, de sit­u­a­tions qui se rap­prochent le plus de la leur. Je présente bien toutes les étapes, je développe les résul­tats atten­dus, les défauts atten­dus aus­si. Il faut vrai­ment que les patients s’engagent dans ce proces­sus de recon­struc­tion de manière sere­ine et pleine­ment informés. »

Après une radio­thérapie au niveau du nez, la rhinopoïèse présente générale­ment des résul­tats moins sat­is­faisants que sur des tis­sus de départ non irradiés. Les risques de com­pli­ca­tions sont égale­ment plus impor­tants en sit­u­a­tion post radique. 

Reconstruction totale du nez : quelles perspectives pour l’avenir ?

Nous vous présen­tions fin 2022 une prouesse tech­nologique qui avait per­mis à Carine, soignée pour un can­cer des fos­s­es nasales, de béné­fici­er d’une recon­struc­tion nasale totale­ment inno­vante. Un gref­fon imprimé en 3D à par­tir de bio­matéri­aux avait été mis « en nour­rice » sous la peau de l’avant-bras de la patiente, le temps que ses pro­pres cel­lules vien­nent le colonis­er. La pro­thèse avait ensuite pu être gref­fée au niveau du nez. 

» Décou­vrez les détails de cette inno­va­tion à tra­vers notre inter­view du Pr Agnès Dupret-Bories et le témoignage de Carine.

Cette ini­tia­tive, bien qu’encore expéri­men­tale, offre d’immenses espoirs. D’autres pistes pour­raient faire un jour évoluer la recon­struc­tion chirur­gi­cale totale du nez après un can­cer ORL. Dr Nadia Ben­mous­sa-Rebi­bo évoque par exem­ple : « La pos­si­bil­ité d’imprimer une trame de car­ti­lage en 3D, qu’il faudrait ensuite sim­ple­ment recou­vrir avec la peau du patient. Mieux encore, ce serait de recourir à l’ingénierie tis­su­laire afin de régénér­er des tis­sus à par­tir des tis­sus du patient lui-même. Mais cela reste encore de la sci­ence fic­tion à l’heure où je parle. »

Bien que cette chirurgie soit lourde et déli­cate, la rhinopoïèse con­stitue une tech­nique fiable pour per­me­t­tre aux patients ORL amputés de retrou­ver un nez, à con­di­tion d’être pra­tiquée par des chirurgiens spé­cial­isés et expéri­men­tés dans ce domaine.

Par Vio­laine Badie

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